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Et maintenant la IVème République ?

Yaïr Lapid, surtout ne pas répéter les erreurs de son père

 

Et maintenant la IVème République ? (info # 012301/13) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Hier soir, une heure avant l’annonce des premières estimations, l’analyse de la Ména avertissait que c’était l’incertitude qui primait sur toute autre conclusion quant au résultat des élections générales israéliennes.

Nous mettions également en garde sur le fait que les résultats changeraient certainement durant la nuit et jusqu’au dépouillement final. D’ailleurs, nous réitérons cet appel à la prudence, alors que 99,5% du décompte officiel sont connus, mais qu’il reste encore des bulletins de soldats à comptabiliser.

Il était clair que face à des scores aussi serrés que ceux que l’on pressentait, alors que la majorité au parlement ne dépendait que d’un seul siège, il était beaucoup trop tôt pour couronner un vainqueur à l’issue de la consultation populaire.

A Métula, sur notre promontoire, nous sommes à nouveau étonnés de ce que la quasi-totalité des confrères ait passé des heures à digresser sur des chiffres qui allaient assurément changer.

D’où un flot de bavardages qui tenait plus de l’acrobatie et de l’orientation des commentateurs que de la réalité.

A l’étranger comme en Israël on a brodé sur la courte victoire du bloc de droite, et donc de Binyamin Netanyahu, alors que ce matin, le tri officiel des bulletins donne les deux blocs à égalité parfaite de 60 sièges chacun.

Au titre des estimations hasardeuses dont nous faisons état, on peut citer la une du Monde, sous la plume de Gilles Paris : « Benyamin Nétanyahou, moins triomphant que prévu ». Et le confrère de s’enfoncer encore davantage dans son erreur, lorsqu’au cœur de son analyse, il écrivait : « La conséquence de ces estimations est claire même si les résultats définitifs feront probablement jouer un siège ou deux, plus probablement au profit de la droite (…) ».

Pour Paris, comme pour la majorité de ses confrères, il ne faisait presque aucun doute que la droite et les ultraedennistes disposeraient de 61 sièges à la Knesset, et donc de la majorité.

On peut légitimement se demander, face à cet empressement, si la victoire du Likud et de ses alliés ne les arrangeait pas un peu. Elle leur aurait en effet permis de poursuivre, sans trop se poser de questions, leur stigmatisation systématique de l’Etat hébreu et de la « propension de ses habitants à s’opposer radicalement à toute perspective d’arrangement avec l’Autorité Palestinienne ».

Ce n’est cependant pas du tout la volonté de l’opinion israélienne, qui, au contraire, a remis le ballon au centre du terrain, exprimant ainsi son objection à voir l’échiquier politique de leur pays se déplacer à l’extrême-droite et sur le pré carré des edennistes.

L’électorat a été également fortement irrité par les discussions prématurées au sein de la coalition au pouvoir, dans laquelle on se partageait allègrement les portefeuilles et autres postes décisionnaires avant même la tenue de la consultation populaire.

Les citoyens n’ont pas apprécié que ses membres vendent la peau de l’ours avant de l’avoir tué, comprenant parfaitement que l’ours, c’était eux. Les électeurs hébreux ont rappelé aux politiciens que le vrai patron c’était eux, encore, et qu’ils n’acceptaient pas que l’on décide de tout à leur place.

D’où la nécessité de revenir brièvement sur les deux graves erreurs d’estimation commises par le Premier Ministre sortant : d’une part, il s’est trompé en jugeant que la majorité du public avait basculé du côté de l’extrême-droite, et, de l’autre, il a commis la faute, inexplicable pour un politicien aussi expérimenté que lui, de fusionner son parti avec Israel Beitenou (Israël notre maison) d’Avigdor Lieberman.

Car Lieberman est un populiste sulfureux, qui proposait jadis de bombarder le barrage d’Assouan afin de submerger l’Egypte sous deux mètres d’eau. Il est certes adulé par les partisans des idées simplistes, mais détesté par tous les autres. Pour ne rien arranger, il vient de devoir quitter le poste de ministre des Affaires Etrangères après avoir été inculpé par la justice dans une affaire pénale.

Or les Israéliens respectent leur système judiciaire et n’apprécient pas qu’on les appelle à voter pour un personnage embourbé dans ce genre de situation.

Résultat des courses : le Likud-Beitenou n’obtient que 31 sièges contre les 42 qu’avaient gagnés le Likud et le parti de Lieberman aux dernières élections, lorsqu’ils se présentèrent devant l’électeur en ordre séparé.

Ce n’est peut-être pas une débâcle, mais c’est un sérieux revers. Une défaite résultant d’un mauvais jugement – c’est Netanyahu qui a convoqué des élections anticipées alors que rien ne l’obligeait à le faire – du Premier Ministre.

Ce dernier était persuadé qu’il disposait d’une grosse marge d’avance dans les intentions du public. Il voulait l’exploiter, afin de s’assurer de quatre ans de règne supplémentaire et paisible à la tête de l’Etat.

La Ména fut l’un des seuls media à n’avoir eu de cesse de mettre son lectorat en garde au sujet de l’incertitude des conséquences de la manœuvre de Netanyahu.

Un jour avant le scrutin, même les leaders des formations de centre-gauche dissertaient sur le fait qu’il était fort improbable qu’ils puissent empêcher Binyamin Netanyahu de devenir à nouveau président du conseil. 

A noter aussi le charlatanisme des instituts de sondages, qui se sont tous fourvoyés jusqu’aux oreilles quant à leurs prédictions. Fait intéressant : ils étaient au diapason et publiaient tous les mêmes estimations hallucinées.

C’est au moins la quatrième fois consécutive que ces instituts se plantent, non sans avoir empoché des centaines de millions de shekels en route. Il serait avisé de leur part de revoir entièrement leurs techniques de sondage, quoique, même s’ils ne le font pas, ils sont hélas pratiquement assurés de pouvoir recommencer dans quatre ans.

Nous en déduisons que les élections ne se remportent pas dans les sondages mais dans les urnes. Et les observateurs sages s’en rappelleront.

Dans les jours qui viennent, le Président Shimon Pérès devra choisir, après avoir consulté les représentants de tous les partis, le candidat à la formation du prochain gouvernement.

En principe, ce devrait être la personnalité qui détient le plus de chances d’y parvenir ; mais cette fois, même cette tâche sera difficile.

Si la parité de 60-60 se confirme, il y aura deux prétendants potentiels à la gouvernance : Netanyahu, bien sûr, qui conserve ses chances, et le nouveau venu en politique, Yaïr Lapid.

Lapid, qui a joué à fond la carte de Monsieur Propre, se présentant comme l’homme providentiel, sans passé politique – jusqu’à deux ans de cela, il était présentateur de télévision – et donc dénué de la propension aux combines et aux magouilles, que, dans tous les systèmes, le peuple prête à ses politiciens.

La tête de liste de Yesh Atid (Il y a un avenir) a poussé l’effet Mister Clean jusqu’à choisir des colistiers qui eux non plus ne possèdent pratiquement pas de passé parlementaire.

Mais les électeurs ont eux aussi la mémoire courte et se plaisent à oublier que les hommes et les partis qui tombent à pic ont généralement une vie publique aussi courte que leur succès fulgurant.

A Métula, nous nous rappelons pourtant de l’épopée chaotique du parti Dash, qui faussa le jeu politique durant plusieurs années, et, beaucoup plus près de nous, de Kadima, qui a pratiquement cessé d’exister après avoir brillement remporté les élections de 2009. Sans faire l’impasse sur l’émergence éphémère de Shinouï (changement) au milieu de la première décennie de ce siècle, créé par le propre père de Yaïr, Tommy.

Cela aussi, les observateurs ont eu tendance à l’occulter, mais hier, on s’est surtout partagé les restes des 28 sièges qu’avait obtenus Kadima d’Olmert et de Tsipi Livni.

Disparu, Kadima ? Pas tout à fait, puisque le Kadima nouvelle mouture, dirigé par l’ancien général Shaul Mofaz, obtiendrait tout de même, sur le fil du rasoir, les voix lui permettant de passer le quorum et d’obtenir ainsi deux sièges à la nouvelle Knesset.

Or ce sont ces deux sièges qui feraient la différence, octroyant à l’opposition 60 mandats, exactement le même chiffre que celui remporté par la coalition.

A première vue, il semble que ladite coalition sortante demeure un peu plus homogène que le bloc hétéroclite formé par les partis de centre-gauche ainsi que les formations de la minorité arabe, qui se voient décerner 8 sièges par le souverain, et les communistes, avec les 4 mandats parlementaires qu’ils ont recueillis.

A ce propos, il est évident que, dans des conditions acceptables par la majorité sioniste, les députés arabes et communistes refuseront de se rallier au centre-gauche afin de former une coalition de gouvernement.

Le plus petit dénominateur commun de l’opposition consiste ainsi en sa volonté de refuser le vote de confiance à tout cabinet que lui proposera Binyamin Netanyahu.

Nous sommes donc en présence d’un bloc de droite se proposant de continuer à gouverner et d’un bloc d’opposition qui n’est pas en état de le faire. Ce qui va vraisemblablement convaincre Shimon Pérès de donner la première chance à l’actuel Premier Ministre en vue de former le nouveau gouvernement.

S’il n’y parvient pas, il aura droit à une période d’essai supplémentaire. Et s’il n’y réussit toujours pas, le président s’adressera sans doute à Yaïr Lapid pour qu’il tente le pari à son tour.

Avec toujours un mince avantage à Monsieur Netanyahu, qui pourra essayer de former une nouvelle coalition, mais cette fois, de centre-droit, en y incorporant un ou plusieurs des partis centristes.

Ceux-ci, toutefois, ne répondront pas favorablement à l’appel de la sirène Bibi tant qu’ils conserveront l’espoir de monter sur la plus haute des marches à sa place.

Reste que pour séduire les centristes, le Likud devra invariablement se séparer de Lieberman, des extrémistes de droite et des edennistes, qui ne sont pas fréquentables aux yeux de Lapid, de Yékhimovitch et de Livni. Ce sera surtout un problème de principes et de projets communs, qui risquent de frotter méchamment sur la question des négociations avec Mahmoud Abbas.

Pour Netanyahu, renoncer à son aile droite au profit des centristes aurait pour conséquence de se priver définitivement de son soutien. On peut également imaginer, qu’au sein même du Likud, les faucons emmenés par Moshé Feiglin fassent sécession au cas où le Premier Ministre déciderait de s’allier aux travaillistes, par exemple.

Pour le novice Yaïr Lapid, l’équation est encore plus simple : pour devenir président du conseil, il lui faudrait impérativement débaucher un ou plusieurs partis de la coalition actuelle. Un exercice difficile, tant on connaît les réflexes sécuritaires des électeurs de tous les partis de l’alliance actuellement au pouvoir.

Il semble que pour avoir une chance de devenir le numéro un israélien, Lapid doive se mettre à prier afin que Netanyahu ne parvienne pas, dans un premier temps, à obtenir le vote de confiance du parlement.

On le constate, les résultats quasi-définitifs de la consultation d’hier, loin d’amener la lumière sur le microcosme politique hébreu, font régner l’incertitude.

Ce mercredi matin, une atmosphère tenace de IVème République française plane sur la nation des Hébreux. La faute à ses législateurs, de s’être montrés incapables d’introduire une dose de proportionnelle dans le système électoral.

Mais que voulez-vous, les grands partis au pouvoir depuis des années n’allaient tout de même pas chambouler un système leur permettant de s’y accrocher !

Dans sa globalité, le vote d’hier consacre le recentrage de la politique israélienne et rappelle à tous que l’alternance, dans ce pays, est toujours d’actualité. Dans ce sens, il aura été bénéfique, voire rafraîchissant. Ce, pour autant qu’il ne nous maintienne pas trop longtemps dans une situation de chienlit. Car certains dossiers brûlants ne nous en laisseront pas le loisir : l’Iran, d’abord, le mécontentement social, qui a beaucoup compté dans la mini-révolution démocratique de mardi, et la question des négociations avec les Palestiniens.

La situation est passionnante mais périlleuse. 

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