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Et si l’hirondelle tunisienne faisait le printemps de la paix…

 

Et si l’hirondelle tunisienne faisait le printemps de la paix…

Dans une édifiante analyse, notre concitoyen, Mansour Feki, Universitaire installé au Canada, réagit contre les allégations d’anti-sémitisme en Tunisie, proférées, sur Internet, par un certain «adorateur» de la droite israélienne Souheil Ftouh. Si près de 4 mille amis juifs se trouvent actuellement à Djerba, cela accréditerait toutes les thèses possibles, sauf celle de l’anti-sémitisme.

Les hommes épris de paix, de justice et de dialogue des religions ne se découragent pas : chaque année la Ghriba allume ses cierges pour qu’une lueur d’espoir parvienne jusqu’à Jérusalem …

Un avocat, journaliste à ses heures, monsieur Souheil Ftouh, est parti en croisade, corps et âme, pour promouvoir son idolâtrie pour Israël. Il y va avec les outils primaires de l’art de la propagande en s’alignant sur le discours de la droite Israélienne la plus extrémiste, ceci ne le singularise pas seulement en tant que nord africain, mais en absolu, car même les militants les plus ardus de la droite israélienne savent que ce qu’ils sont en train de faire ne relève ni de la démocratie ni de l’éthique la plus basique. Ce journaliste ne peut être mu que d’opportunisme primaire ou épris par un amour inconditionnel pour l’extrême droite israélienne.

Quant au groupe de journalistes tunisiens et co qui s’offusquent à outrance des propos du journaliste, kamikaze de la plume, qui traite la Tunisie et les Tunisiens d’antisémites, ils doivent mettre un peu d’eau dans leur vin ou leur café, car si ces propos sont de la rhétorique extrémiste qui crée ex nihilo cette notion d’antisémitisme en Tunisie, ils doivent faire l’effort de sortir d’une certaine hypocrisie légendaire qui fait que nous Tunisiens nous sommes tout blancs et nets par rapport à notre relation avec les Juifs.

Déchirements

Les gens de ma génération, fin de la quarantaine début cinquantaine, sommes déchirés entre une enfance heureuse avec nos amis nos voisins, nos frères juifs tunisiens, avec qui on a partagé la lumière de l’enfance heureuse dans l’harmonie et l’entraide fraternelle et l’air du temps imprégné d’un certain antisémitisme, larvé, polissé, un peu partout dans le monde. A l’enfance, nous nous sommes bâti un paysage sensoriel commun : qui peut oublier ces exhalaisons de la terre, asséchée, assoiffée par le soleil de l’été, lors des premières pluies d’automne, ces arcs-en-ciel qui comme une traînée de guirlandes décorent le ciel lumineux de fin de pluie de printemps… la brise, de la mer, l’odeur du jasmin et les hirondelles qui voltigent dans le ciel, ceci est la Tunisie de notre enfance. Juifs, Musulmans et quelques Chrétiens étions heureux de partager nos fêtes, le Shabbat, la maimouna… l’Aïd Essghir, l’Aïd El Kbir, Noël, Nouvel An, Achoura, Roch Achana… nos circoncisions, nos mariages, nos enterrements… Mes amis s’appelaient, Sami, David, Fekri, Marc, Kammouna, Ali, Stéphane, Joëlle… oui ce sont mes frères et sœurs… Je le dis sans aucune animosité ni pour les Arabes, ni pour les Musulmans mais avec l’authenticité du cœur et de la raison ce qui me lie à mes frères juifs tunisiens en particulier et aux Juifs nord-africains en général c’est que, quand je les regarde je me reconnais en eux, dans leur sourire, dans leurs larmes, dans leurs attitudes, dans leurs joies et dans leurs tristesses…Ce qui me lie à eux, au-delà du sang, beaucoup plus, la tunisianité, ce ciment qui a lié hier nos parents et nos grands-parents et continue, je l’espère pour longtemps, à nous lier à nos frères juifs sépharades en général et Juifs tunisiens en particulier.

L’élan d’ouverture sereine

La Tunisie a eu la chance d’avoir toujours eu des dirigeants qui l’ont protégée à différents degrés des affres de l’antisémitisme : le Bey qui avait affirmé qu’il n’avait pas des sujets juifs et des sujets musulmans quand on lui a demandé de mettre à l’index les juifs… Bourguiba à sa manière… sans oublier – et ce sont des faits historiques – que c’est bien dans les années soixante et soixante-dix que la Tunisie a perdu l’essentiel de sa belle communauté juive (avec l’aide des agences d’immigration israéliennes, il faut le dire). Celui qui a donné à la tunisianité son sens le plus profond et à la démocratie son sens supra communautaire au-dessus de tout clivage, religieux, ethnique et de genre reste et il faut le dire c’est avec Ben Ali que la réconciliation proactive des différentes strates de Tunisiens a vu le jour, faisant fi des clivages sociaux, économiques, religieux, ethnique, de genre… Il s’est occupé des personnes âgées, des enfants, des handicapés, de la femme,… et il a institutionnalisé la solidarité tuniso-tunisienne et réconcilié les Tunisiens entre eux y compris  nos frères juifs qui ont senti cet élan d’ouverture  sereine et respectueuse qui a fait qu’aujourd’hui, ils reviennent dans leur pays d’origine, souvent en visite et parfois pour se réinstaller, ça reste assez timide mais encourageant.

Une hirondelle ne fait pas le printemps ; l’élan de la Tunisie ne peut prendre forme dans toute sa splendeur sans la convergence de plusieurs acteurs nationaux et internationaux et sans que nos propres  frères juifs de Tunisie ne prennent leur responsabilité, saisissent l’opportunité et préservent ce patrimoine commun qu’est la tunisianité et que nos ancêtres ont bâti pendant des millinaires dans cette Ifriqiya qui a donné son nom à tout un continent ; les Juifs tunisiens sont aussi responsables que les Tunisiens restés au pays et complices de ceux qui veulent les empêcher de revendiquer leur authenticité.

Concernant nos journalistes offusqués par les propos de monsieur Ftouh, tout en étant aux antipodes de ses allégations d’antisémitisme tunisien, je dois dire que la médiocrité, d’une certaine partie, de l’espace journalistique tunisien, écrit et audio-visuel compris, conjugué à la prolifération des médias satellitaires et numériques arabes et à l’anémie idéologique, font que l’espace idéologique ouvert par le processus démocratique émergeant les vingt dernières années profite parfois aux idéologies  parasites de tout horizon et essentiellement arabes et islamistes de mauvaises qualités et d’éthique  très discutable. La société tunisienne est malheureusement, en train de s’orientaliser ; la francophonie d’hier se transforme insidieusement en arabophonie exclusive, la mode vestimentaire s’orientalise, les leaders d’opinions  deviennent Amrou Khaled, Qotb et Tarak Ramadhan ; c’est ça le plus grand danger qui guette la Tunisie. Ces médias véhiculent  un discours antisémite polissé et primaire, d’une façon larvée, insidieuse et non déclarée, ainsi des allocutions, devenues courantes sans que personne ne s’en offusque.

Quand on évoque le «Juif», les théories de la conspiration trouvent  un terreau propice à son développement, où tous les maux sont l’œuvre du «Juif». Certains pays arabes, certains pays musulmans ont besoin de ce «Juif» qui devient leur seul consensus, sur lequel ils cristallisent leurs échecs et leurs décadences.

Les Tunisiens ne sont pas antisémites

La Tunisie des vingt dernières années est un pays qui réussit, qui performe et en aucun cas il n’a besoin de cet exécutoire de bas étage, il n’empêche que des chaînes numériques et satellitaires déversent  leurs haines dans l’espace socioculturel tunisien. Al Jazira, Al Manar, Iqraa… toutes des chaînes satellitaires dont l’éthique est fortement décriée. Contrecarrer cette  déferlante médiatique sur l’Afrique du Nord ne relève pas que des gouvernements régionaux, c’est une responsabilité méditerranéenne et américaine, comme hier le monde s’est organisé pour lutter contre le nazisme, aujourd’hui il doit le faire contre le repli xénophobe contre l’intolérance, contre le sexisme, tous les extrémismes religieux, juif, musulman ou chrétien qui font tous le terreau du terrorisme intellectuel, de l’exclusion et entre autre de l’antisémitisme même polissé. Quant la Tunisie a crié haut et fort sa préoccupation à l’égard de ce fléau, nos amis et partenaires ont fait la sourde oreille, nos détracteurs ont crié à l’obstruction à la liberté de la presse.

L’administration israélienne s’est arrogé le droit de représenter les intérêts de tout juif, indépendamment  de son origine et avec l’accord tacite de ceux-ci. Les exactions, l’arrogance et le mépris du droit international des gouvernements israéliens imprègnent la perception des juifs et sèment la confusion et font les choux gras des mass-médias suscités.

Les Palestiniens et les Israéliens se sont mis d’accord à ne jamais être d’accord, quand l’un est pour la paix l’autre décline l’invitation et vice versa. En ce qui nous concerne, nous autres Tunisiens, toujours et à chaque époque avec des modalités différentes, nous avons appuyé  la paix et la réconciliation régionale. D’une époque à l’autre, l’arrogance et le mépris changent de camp, il fut un temps où nos amis palestiniens ont préféré l’arrogance du nationalisme arabe de Nasser au pragmatisme de Bourguiba ; aujourd’hui l’arrogance aveugle de Netanyahu et la belligérance de l’extrême droite isarélienne font obstruction à une paix juste, que d’occasions perdues pour les deux peuples et pour la région. Pourquoi  nos frères Juifs tunisiens, nos africains, sépharades devraient-il pâtir  de cette situation ? Pourquoi devraient-ils renier une partie d’eux-mêmes pour satisfaire l’une des deux composantes de leurs identités ? Oui on peut être juif tunisien et israélophile comme on peut être musulman tunisien  et palestinophile.

Non la Tunisie et les Tunisiens ne sont pas antisémites et ne peuvent pas l’être, parce qu’ils sont sémites en premier lieu et puis la désapprobation de la maltraitance, du non respect du droit international, même aux dépens de l’Etat d’Israël n’est pas de l’antisémitisme ; il faut que tous les amis d’Israël, les Etats-Unis d’Amérique, l’Europe, l’AIPAC, J Street,… convainquent les israéliens qu’il n’y aura pas de victoire finale et qu’il n’y aura de paix qu’une paix juste et concertée avec les Palestiniens.

Les Juifs tunisiens sont une partie de nous-mêmes, leur nombre a diminué drastiquement ; si cette hémorragie continue, dans moins de deux générations, il n’y aura plus de juifs tunisiens en Tunisie. Quel gâchis, quelle perte pour tous les Tunisiens ; la tunisianité sera tronquée de son âme et la Tunisie de ses peuples fondateurs d’une civilisation millénaire.

Les Juifs tunisiens sont une espèce  en voie de disparition, nous avons le devoir de les aider à prendre racine chez eux, dans leur terroir naturel. Ainsi la Tunisie vivra toujours.

Mansour Feki, Universitaire tunisien  installé au Canada

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