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Immigrants syriens : pas ceux que l’on croit

Des Syriens en Hongrie : tout sauf des sauvages incultes et sans le sou

Immigrants syriens : pas ceux que l’on croit(info # 010709/15)[Analyse]

Par Patricia La Mosca © MetulaNewsAgency

 

Je reviens à peine de trois jours en Hongrie, où j’ai partagé une partie du sort des réfugiés syriens, en les accompagnant, notamment à pied sur une vingtaine de kilomètres. Je n’y suis évidemment pas allée pour juger les gens mais pour essayer de comprendre ce qui se passe, assaillie par les non-dits des autres media que j’ai appris à déchiffrer presque instinctivement.

 

Je rentre hébétée, à nouveau subjuguée par la masse d’informations erronées qui empêchent le public de saisir le drame qui se déroule actuellement. Ce que l’on vous raconte s’articule, comme toujours, sur une grille de lecture binaire : on aurait, d’un côté, des émigrants, privés de tout, qui fuiraient les conflits moyen-orientaux, en particulier la Guerre Civile Syrienne, et de l’autre, les Hongrois, partagés entre leur désir d’aider les migrants et celui de préserver leur authenticité judéo-chrétienne, au demeurant mise en péril par l’afflux de réfugiés musulmans.

 

La suite est à l’avenant, le récit des journalistes dépendant surtout de la sensibilité du media pour lequel ils travaillent ; humaniste pour les progressistes, qui trouvent scandaleux de traiter les déportés de la sorte, et conservateur pour ceux de droite, qui préviennent que si cela continue, l’Europe va être submergée.

 

Ce discours se retrouve dans celui de Marine Le Pen à l’université du FN, avant-hier à Marseille, lorsqu’elle martèle, à plusieurs reprises, que la France ne peut plus en accepter un seul.

 

Plus encore que dans les autres situations que j’ai couvertes, cette hyper-simplification caricaturale n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Par exemple, quelqu’un devrait dire à la fille de Jean-Marie, que notre pays est très peu concerné par cette vague d’immigration : je pense ainsi qu’il y a moins de dix mille Syriens qui ont choisi l’Hexagone comme terre de refuge depuis le début de la Guerre Civile.

 

La France n’est pas du tout leur priorité car ils sont très bien renseignés. Notre pays est surtout concerné par l’immigration des pays du Maghreb et, marginalement, par celle en provenance de Libye. Comme dans le cas de la Hongrie, la France reste un territoire de transit pour ces réfugiés, en direction de l’Angleterre et des Etats du nord de l’Europe.

 

Ce sont certainement moins de 3 000 participants à cet exode qui tenteront de s’installer en Hongrie, ce qui ne représente, avouons-le, qu’une menace très réduite de saper ses fondements traditionnels.

 

Même l’Autriche, pourtant autrement plus riche que cet ancien membre du bloc soviétique, ne retiendra pas beaucoup plus de migrants, ceux-ci étant, pour la plupart -19 sur 20 de ceux auxquels j’ai parlé -fermement décidés à s’établir en Allemagne. En Allemagne, où Angela Merkel, faisant à nouveau preuve de courage politique, quitte à perdre des soutiens sur son flanc droit, vient d’annoncer qu’elle les accueillera tous.

 

Ce qui n’est pas particulièrement étonnant, une fois qu’on a tordu le cou à une autre fable concernant cet exode : ceux qui en font partie ne sont pas des misérables désargentés. Pas du tout, même.

 

Ils constituent en fait l’élite de la société syrienne. Parmi les cinq millions de personnes à avoir quitté leur pays qui en comptait vingt-trois millions il y a cinq ans, celles-ci sont les plus aisées. Les autres sont parquées dans des camps de toile en Turquie, deux millions, au Liban, un million cent-mille, et en Jordanie, six-cent-trente-mille. On s’en convainc d’abord en constatant que le budget en cash dont ils disposent est au minimum de quatre mille euros par personne, y compris les enfants.

 

Contrairement à l’impression donnée par les images TV que l’on vous montre, ils ont tous payé leur périple jusqu’à destination ; ils sont tous détenteurs de titres de voyage, souvent achetés à l’avance, avant leur départ, ou lors de leur passage en Turquie ou en Grèce. Leur principale revendication par rapport aux Hongrois est de leur fournir le transport dont ils se sont acquittés du prix, et rien d’autre. Il n’existe pas de vraie raison à une altercation violente entre les migrants et les autorités locales.

 

Quant aux autorités hongroises, elles pestent contre les Etats – la Grèce et l’Italie en particulier - par lesquels les migrants sont entrés dans Schengen, qui avaient l’obligation de les prendre en charge et qui ne l’ont pas fait, s’évitant des frais et des tracas. Budapest réclame aux autres Européens un partage des débours de prise en charge et de gestion, avançant que la Hongrie effectue un travail qui n’est pas le sien. Sur quoi, elle a parfaitement raison, même s’il n’y avait pas de quoi paniquer pour gérer le transit de 54 000 migrants.

 

L’autre découverte quant aux migrants syriens est leur niveau d’éducation et de qualification professionnelle ; beaucoup s’expriment très aisément en anglais, ce qui, en Syrie, n’était pas donné à tout le monde, une minorité parle français avec un accent qui ressemble à celui des francophones libanais.

 

J’ai discuté avec un chirurgien, des ingénieurs en électronique et en aéronautique, un chercheur et des directeurs d’entreprises. La plupart sont sunnites, craignant à la fois les forces du régime et DAESH, d’autres sont alaouites, mais ne se reconnaissent pas dans le régime des al Assad ou n’ont pas envie de se battre pour lui. Entre eux, je n’ai pas constaté de tension perceptible. Les fanatiques religieux, à en juger par leur habillement, sont fort peu nombreux dans cet exode. On ne peut non plus exclure que cet exil compte également quelques centaines de sympathisants de l’Etat Islamique, cela semblant inévitable, mais, si c’est le cas, on parlera d’une petite minorité non représentative.

 

S’ils vont en Allemagne, c’est parce qu’ils savent que du travail les y attend. Cela fera les affaires de tous, des compatriotes de Madame Merkel, qui trouveront en eux des travailleurs qualifiés disposés à accepter des traitements minimums ; et les leurs, qui ont envie d’une nouvelle vie. Ils vous expliquent que la Syrie cela ne veut rien dire, que ce n’est qu’une mosaïque disparate d’une trentaine de communautés, de langues, de cultures et de religions ; que c’est le fruit du découpage effectué à la va-vite par les puissances coloniales, au début du siècle passé, sans se soucier le moins du monde des conséquences futures de leurs décisions.

 

Tant qu’une dictature unique détenait le pouvoir, chacun devait se contenter de son sort et baisser la tête, mais maintenant, face aux exactions des uns et des autres, s’accrocher à un bout de terre qui, ils le disent tous, ne redeviendra jamais un pays, n’a aucun sens.

 

Ils partent pour ne jamais revenir. Ils parlent d’une guerre qui peut encore durer dix ou quinze ans et qui ne les intéresse pas.

 

Un ex-pilote de ligne chrétien, très sympa, de la Syrian Airlines me précise que tous les gens que je vois disposent d’un téléphone mobile et de connaissances supérieures à la moyenne des Hongrois en informatique, en géographie et en économie. Pour nous, le dilemme, c’était moisir dans un pays pauvre dans lequel notre vie était en danger, sans avenir, alors que nous distinguions, à l’horizon, une montagne d’or sur laquelle nous avons les capacités requises pour nous installer.

 

Il y a aussi l’exagération des chiffres, enflés pour faire le buzz ou pour créer la panique. Leur Eldorado absolu, l’Allemagne, a accueilli 67 000 Syriens en tout jusqu’en janvier 2015, soit 0.08% de sa population. Elle s’apprête à en recevoir 150 000, y compris les réfugiés d’autres provenances, jusqu’à la fin de cette année.

 

Et même s’ils devaient hypothétiquement être un million, sur une population de 82 millions, comme certains spécialistes allemands l’envisagent, cela resterait un grain de sable profitable pour le marché du travail et, partant, pour l’économie de la plus grande puissance européenne.

 

Conformément à la décision prise hier (lundi) par la Commission Européenne, l’Allemagne s’est engagée à accueillir 31 443 d’entre les 120 000 réfugiés des zones de guerres arrivés en Europe durant les trois derniers mois, et la France, 24 000.

 

A part les Pays-Bas, le Danemark, la Bulgarie, l’Autriche et la Suède (60 000 !), aucun pays européen n’a accueilli plus de dix mille réfugiés syriens jusqu’à présent. L’Arabie Saoudite n’en a accueilli aucun, de même que les émirats du Golfe, dont les portes sont également demeurées closes. La solidarité panarabe demeure un mythe.

 

L’Egypte, malgré le marasme dans lequel elle baigne, en a recueillis 130 000. L’Irak, particulièrement la région kurde, 250 000.

 

Au Liban, l’apport des Syriens sunnites (20% de la population libanaise totale) a sensiblement modifié le rapport entre les communautés sunnite et chiite, cette dernière s’étant constituée, avec l’aide de Téhéran, un Etat dans l’Etat, disposant de sa propre armée, de ses tribunaux et de son système de communications.

 

En Jordanie, les 630 000 Syriens – exactement 10% de la population du royaume – renforcent le pouvoir du roi et de ses bédouins au détriment des Palestiniens, largement majoritaires jusqu’alors. Suite à ce mouvement démographique, la Jordanie, grâce à sa "nouvelle diversité", va cesser de constituer le "véritable Etat de Palestine".

 

Il existe très nettement une immigration à deux et même à trois vitesses, celle des Syriens pauvres, qui franchissent une frontière et s’installent dans une ville de tentes, celle qui fait l’actualité, ces jours-ci , du côté de Budapest, et la troisième, celle des "très pauvres" qui errent d’une région de Syrie à l’autre, fuyant les combats.

 

Ils seraient sept millions à avoir été contraints de quitter leur domicile, en étant jetés sur des routes dangereuses. En tout, c’est la moitié de la population qui est partie de chez elle, en plus des 340 000 morts et des deux millions de blessés. La catastrophe a pris des proportions dantesques.

 

On s’aperçoit, en grattant un peu le politiquement correct, que l’Europe n’a rien à craindre de cette vague d’immigration spécifique. François Hollande devrait d’ailleurs tempérer ses ardeurs guerrières et bien penser à tout avant d’envoyer nos soldats combattre DAESH en Syrie.

 

D’abord, parce que la situation ne le justifie pas, ensuite, parce que notre armée ne peut rien changer en intervenant seule ; enfin, parce que le président normal n’est pas assez au fait des intérêts réels des puissances qui s’affrontent, directement ou par supplétifs interposés, sur les champs de bataille syrien et irakien. La guerre, comme le reste, n’est jamais ce qu’elle paraît être.

 

Il dit vouloir se limiter à faire de l’observation aérienne, mais ce n’est certes pas cela qui fera reculer DAESH. Cette déclaration de Hollande est d’ailleurs surprenante : les Américains, qui bombardent le califat islamique quotidiennement, le font-ils sans repérages préalables ? La France ne se satisfait-elle pas des repérages réalisés par les Yankees ? Ou est-ce que les Boys ne partagent pas les informations qu’ils recueillent avec leurs alliés français, pourtant déjà sur place et membres de la même coalition ? Chacune de ces hypothèses est inquiétante et on risquerait la vie de nos aviateurs pour effectuer un travail qui a déjà été réalisé par d’autres, avec des moyens plus sophistiqués et plus nombreux que les nôtres. A moins qu’il ne s’agisse d’un délire présidentiel destiné à faire croire que l’Armée ne reste pas inactive face aux problèmes posés par cette vague d’immigration. Dans ce cas, le plan d’enfumage est loupé.

 

Puis, en frappant les djihadistes sunnites, on laisserait le champ libre aux Iraniens. Et même si je sais que des délégations d’hommes d’affaires font la queue sur le vol Paris-Téhéran, je me demande si une rupture de l’équilibre précaire qui prévaut entre les satrapes sunnites et chiites servirait l’intérêt de l’Occident.

 

La "crise hongroise" est cependant un avatar d’un problème terriblement plus préoccupant. Celui de la montagne d’or. Pour les jeunes Maghrébins, les Africains en général, et les populations des grands pays sunnites, elle brille de mille feux pendant qu’ils ont les pieds profondément enlisés dans la mélasse.

 

Sûr que pour empêcher que la situation nedevienne réellement incontrôlable, il faudra "aller faire de l’ordre là-bas". Et pas comme les amateurs qui nous gouvernent ont cru le faire en déboulonnant Kadhafi et Moubarak au profit des islamistes et en s’en prenant à la dictature d’al Assad, qui avait l’avantage, comme les experts de la Ména l’avaient écrit des années durant avant la Guerre Civile, d’être le méchant flic qui maintenait le statu quo dans un pays ingouvernable.

 

Quant à l’accord sur le nucléaire iranien, il ne va qu’accentuer les tensions, inévitablement, en donnant accès aux ayatollahs à des sommes considérables et en levant le boycott qui les frappait sur les armes. Deux ingrédients assurés pour la création de la prochaine vague d’immigrants.

 

C’est la fin de cette vue de l’esprit qui laissait grossir un monde à deux vitesses. D’un côté, celui des nantis libres, de l’autre, celui des pauvres brimés par des autocraties. Les dictatures, c’est comme le racisme, il n’y en a pas d’acceptables. Il n’en existe pas, à terme, qui accouchent d’autre chose que de la guerre, et de ses corollaires inséparables que sont la mort, la misère et l’immigration.

 

Surtout si on fait tomber les garde-fous pro-occidentaux du genre de Kadhafi, Moubarak et al Assad. Mais où en sont les Printemps arabes ? C’est la question qu’il faut poser aux centaines d’observateurs et de gouvernants européens bon teint que la révolution djihadiste avait fait verser dans l’extase.

 

En fin de compte, il faudra aller imposer l’ordre en Syrie-Irak-Liban-Iran, il en va de la sauvegarde de la montagne d’or : soit on élargit sa surface, soit on l’entoure d’un mur de sécurité. Il sera également nécessaire d’y maintenir le calme jusqu’à ce qu’émergent des structures politiques fiables. Ne me demandez pas comment on doit s’y prendre, car je n’en ai pas la moindre idée. Le drame, c’est que nos responsables politiques non plus. Maisla différence, c’est que ce n’est pas moi qui ai foutu le bordel.   

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Analyse remarquable de Patricia La Mosca!
En filigrane: la responasabilité des Occidentaux qui mérite d'être mieux dénoncée. Elle a bien remarqué que la chute de Kadhafi, de Saddam et l'intrusion conte Assad ont perturbé considérablement les sociétés y vivant et ont engendré des vagues de migrations phénoménales.Les objectifs inavoués des grandes puissances, prétextant de démolir les dictatures (sic), ont des effets boomerang qui étaient attendus, quoi qu'en dise.
Pourquoi les grandes puissances qui ont fait tant de mal à travers la colonisation, les destructions de peuples (Tasmaniens, Guanches; Juifs etc.) sont-ils, paradoxalement, obsédés par la "libération" de leurs ex-victimes? Pourquoi l'expression violente d'intervention guerrière qui en découle ne se retrouve-t-elle pas ches les Suédois, les Danois, les Norvégiens, les Chinois, les Japonais etc.
En intervenant, cette fois, directement en Syrie, Hollande va encore attiser le feu et entretenir le flux migratoire. Et il le sait. Car l'objectif n'est pas tant de "libérer" les Syriens que de déboulonner Assad par pure obsession politique et stratégique à travers le cheval de Troie dit "démocratie".

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