Inventaire, par Max Galula

Inventaire, par Max Galula

Quand la Grande Synagogue de Tunis, située tout prés de chez eux, a flambé, lors de la Guerre des Six jours, quand, dans leur solitude, loin des leurs, à travers les rideaux de leur fenêtre, ils ont entrevu cette foule hurlante et haineuse de la ‘’rue arabe’’, ils ont vite compris qu’il fallait quitter le pays de leur enfance.

Ils nous ont donc rejoints à Paris, par le premier avion.

Dans sa valise ma mère emportait quelques photos, et une cuillère en métal argenté qui lui rappellerait le service reçu à son mariage.

La rapidité avec laquelle ils se sont coulés dans leurs nouveaux habits de parisiens, m’a laissé un souvenir étonné, admiratif et heureux. Il est vrai qu’ils avaient eu la chance d’éviter la banlieue, catastrophique à leur âge. 

A soixante ans, mon père n’est pas resté inactif. 

Son beau-frère Georges, grâce à ses gains à la loterie nationale, avait acquis, une épicerie- restaurant, prés des Folies Bergères. Il en fit son homme de confiance, et, mon père ne connut pas ce désoeuvrement involontaire et dépressif des chômeurs actuels. 
Le bus No 42, où bien des conducteurs et des passagers habituels le saluaient, le respect que tous lui témoignaient dans le quartier de son travail, l’aide qu’il apportait à ceux, incultes ou noyés dans des démarches administratives kafkaïennes, son importance aux heures de pointe, trônant derrière sa caisse, ne lui firent jamais regretter Tunis.
C’était un collectionneur impénitent de tous les diplômes des enfants et petits enfants (voire des bulletins trimestriels !).

Depuis le Front Populaire, il était de Gauche, et, comme syndicaliste, il représentait les clercs d’avocats et de notaires. Il devint, en effet, secrétaire général de la Basoche.
Sa devise, soulignant sa sagesse et sa tempérance, était : ‘’ Trop de plaisir n’est plus du plaisir’’

Source... « INVENTAIRE » par Max GALULA