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Je suis Tunisien, par Laurent Sagalovitsch

 

Je suis Tunisien, par Laurent Sagalovitsch 

 

Non, je n’essaye pas, au regard de l’effroyable massacre d’avant-hier, de m’approprier un nouveau slogan afin de montrer ma solidarité avec les malheureuses victimes de l’attentat ou affirmer ma solidarité avec la population locale.

Non quand j’écris ” Je suis Tunisien ”, je ne fais qu’émettre là qu’une simple vérité identitaire.

Je sais bien qu’avec mon nom à coucher à Moscou, avec ce patronyme qui sent bon le kolkhoze, les plaines de Sibérie et les romans de Dostoïevski, l’assertion a de quoi surprendre.

Disons que de se revendiquer de cette identité tunisienne semble être tout aussi incongru que si Poutine proclamait avoir des origines berbères, ou Marine Le Pen des ascendants chypriotes.

Et pourtant coule dans mon sang le parfum des jasmins, l’odeur des champs d’oliviers, les senteurs du thé à la menthe (et aux pignons), ces déclinaisons sensorielles si typiques de ce petit pays adossé à la Méditerranée.

C’est que, aussi loin que les généalogistes puissent remonter, ma famille du côté de ma mère a toujours résidé en ce pays.

Ma grand-mère est née à Tunis, ma mère à Sousse, mon grand-père est enterré dans cette même ville et j’ai pour ce pays un attachement d’autant plus marqué que je fus élevé en partie par cette grand-mère qui, condamnée à quitter son pays natal lors du processus de décolonisation, garda toute sa vie durant une nostalgie féroce de sa Tunisie chérie, à mi-chemin entre l’amertume d’avoir dû l’abandonner et la reconnaissance d’y avoir vécu.

Tout comme ma mère.

Elle était née dans un pays béni des Dieux, cette Tunisie intemporelle éclairée par le chaud soleil de l’Orient, baignée par une Méditerranée de carte postale, illuminée par l’azur enchanteur d’un ciel fiancé avec l’éternité, cette tendre alliance de la lumière et de la mer, si propice à cette douceur de vivre qui marqua à tout jamais sa jeunesse.

Et la mienne aussi.      

J’ai grandi avec les souvenirs de la Goulette et de la Marsa, de Gammarth et de Carthage, de Sidi Bou Saïd et de Nabeul, d’Hammamet et d’Hammam Sousse.

Avant même d’y séjourner, je savais la morsure du sable brûlant sur la paume des pieds,  je connaissais la langueur des siestes pratiquées derrière des volets clos, dans le chuchotis de la maison où à la cuisine, grain après grain, ma grand-mère confectionnait ce couscous qu’elle servirait le soir venu accompagné de boulettes gouleyantes de pommes de terre et d’artichauts.

Plusieurs fois, nous retournâmes en ces lieux prisés des Dieux.

Le gouvernement ayant confisqué arbitrairement leurs champs d’oliviers et l’argent l’accompagnant, avait consenti à ce que nous puissions dépenser une somme forfaitaire de dinars à chacune de nos visites.

Il fallait toujours batailler avec le responsable du compte pour qu’il nous délivre quelque argent, ce qui nous permettait de partir sur les traces de leurs vies passées, revisitant ces maisons, ces rues, ces quartiers où Juifs et Arabes avaient durant des temps immémoriaux appris à gommer leurs différences pour mieux vivre dans une relative harmonie et un sens réel de la concorde.

Je ressentais alors toute cette palpitation d’un pays doué pour le bonheur, où le blanc des maisons se mariait avec le bleu du ciel, dans des épousailles si parfaites  qu’elles donnaient naissance à une félicité qui ne pouvait être que l’apanage de quelques divinités ayant élu domicile en ce paradis terrestre.

Et si aujourd’hui, je vis loin d’elle, en des contrées reculées, je continue à me sentir et à me revendiquer, aussi étrange que cela puisse apparaître, comme Tunisien.

J’ai en moi, tapi dans le repli de ma conscience, à l’ombre de mon cœur naufragé, parmi le désordre de mon âme déchirée, le goût de l’indolence, l’appétence pour des nourritures grasses et réconfortantes, l’inclinaison à l’hospitalité que viennent contrebalancer mes origines russes, qui me poussent à fuir ce même soleil que ma mémoire recèle, à abriter une litanie de tourments, à devoir cohabiter avec une attirance certaine pour tout ce qui est sombre, noir, désespéré.

Et si je suis une terre de contraste, je n’en demeure pas moins ce fils de Lisette et ce petit-fils d’Yvette M. qui m’ont transmis, à leur manière, l’amour immodéré pour ce pays nommé Tunisie.

Je suis Tunisien.

Laurent Sagalovitsch            

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Cher Laurent,
Vous êtes le fils de ma très chère amie Lisette,
Vous avez décrit avec bonheur la vie à Sousse,
dans ce pays qui fut la lumière de notre jeunesse.
Vous êtes tunisien et, comme tous nos enfants
héritiers de notre belle et difficile histoire,
dans une fidélité à nos racines.
Claire Rubinstein-Cohen
Auteur d'une thèse sur cette Communauté juive de Sousse.
Claire.rubinstein@free.fr

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