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L’écrivain algérien Boualem Sansal : Le monde dit arabe se fracture inéluctablement ; seuls les islamistes portent un projet mondial conquérant

 

 

L’écrivain algérien Boualem Sansal : Le monde dit arabe se fracture inéluctablement ; seuls les islamistes portent un projet mondial conquérant

 

 

 

Le journal algérien en français El-Watan affichait une interview de Boualem Sansal, écrivain algérien francophone, auteur de 2084, paru en 2015, ainsi que de nombreux autres romans et essais. Faisant ouvertement référence à 1984 de George Orwell, 2084 décrit un régime totalitaire fortement inspiré par l’islam. Le livre a été couronné du Grand prix du roman de l’Académie française en 2015.

Dans l’entretien dont voici des extraits ci-dessous, Sansal revient sur l’accueil mitigé fait à l’ouvrage, sur sa situation personnelle dans son pays, et sur la situation dans le monde arabe et en Occident face à la progression du projet islamiste.

Boualem Sansal : « décrire ce que serait le monde si l’islamisation radicale se poursuivait »[1]

Journaliste : Vous m’avez confié que votre roman 2084, qui a été élu meilleur livre de l’année 2015, était sorti à un bien mauvais moment, pourquoi ? Vous aviez bien prédit les attentats de Paris…

Boualem Sansal : 2084 se voulait une réflexion sur les systèmes totalitaires religieux, inspirée en partie par 1984, le chef-d’œuvre de George Orwell, paru en 1949, qui décrivait un système totalitaire de type stalinien. J’ai commencé à l’écrire en 2013 au moment où je publiais Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le Monde arabe.

Dans cette dystopie, je tente de décrire ce que serait le monde si l’islamisation radicale se poursuit dans le monde comme elle s’est faite ces dernières années dans certains pays (Afghanistan, Algérie, Mali, Nigeria). Et voilà qu’au moment où j’envoyais le manuscrit à mon éditeur, se multiplient les attentats islamistes dans le monde, particulièrement en France, et que Houellebecq venait de sortir un roman choc, Soumission, décrivant une France gouvernée par un parti islamiste modéré.

J’ai immédiatement compris que mon livre se verrait détourner de son objet et lire  comme s’il traitait de l’actualité et prédisait l’avenir. Cela n’allait pas arranger ma réputation, le livre risquait de devenir un bréviaire pour islamophobes. Mon éditeur et moi en avons parlé et au final, après quelques modifications, nous avons décidé de publier. Hélas, ce que nous craignions est arrivé. (…)

« Ce qui est triste, c’est de voir des intellectuels jouer à la police de la pensée et s’en prendre à leurs confrères »

Journaliste :Vous suscitez toujours des polémiques en parlant de sujets qui fâchent,vous êtes allé en Israël et vous en parlez presque avec fierté, vous vous attaquez à l’islam… Le pouvoir algérien ne vous a jamais condamné, vous êtes plutôt ciblé par vos compatriotes intellectuels…

Boualem Sansal : A part le fait de m’avoir limogé en 2003 et d’avoir interdit Poste restante Alger, le pouvoir ne m’a jamais ennuyé. Il n’a, à ma connaissance, ennuyé personne.

Bon, il a limogé Yasmina Khadra de son poste de directeur du Centre culturel algérien à Paris pour avoir osé postuler à une candidature à la dernière élection présidentielle, et s’est montré cruellement indifférent au sort de Kamel Daoud quand celui-ci se faisait condamner à mort par un illuminé. La question de la polémique ne renvoie pas à ma personne. C’est une question de culture et, ici comme ailleurs, on accepte mal les comportements non conformes à la doxa.

Ce qui est triste, c’est de voir des intellectuels jouer à la police de la pensée et s’en prendre à leurs confrères. C’est triste de les voir se faire les avocats gracieux d’un pouvoir qui les opprime, eux aussi, même s’ils ne le voient pas. Ça me rappelle le procès que des intellectuels français ont instruit contre Kamel Daoud pour avoir exprimé un simple point de vue sur «l’affaire» dite de Cologne.

Ceci dit, un intellectuel qui écrit des platitudes qui ne dérangent rien ni personne n’est pas un intellectuel. Je revendique le droit et la liberté de traiter de sujets qui m’intéressent, même s’ils fâchent le grand nombre et enragent la police de la pensée.

Aller en Israël n’est pas un crime, l’Algérie n’est pas en guerre avec ce pays, elle s’est rangée sur le droit international édicté par le Conseil de sécurité et milite politiquement et diplomatiquement pour faire valoir les droits des Palestiniens à avoir un Etat, à côté de l’Etat d’Israël. Je rappelle aux esprits chagrins la poignée de mains chaleureuse entre Bouteflika et Ehud Barak à Rabat, lors des obsèques de Hassan II.

« le monde arabe (…) est entré dans un processus de dislocation incontrôlable » ; « aujourd’hui, les seuls à porter un projet mondial conquérant et avoir l’énergie de le réaliser sont les islamistes »

Journaliste : «L’Occident est si naïf concernant le Printemps arabe», avez-vous dit un jour. Pourquoi ?

L’Occident n’a jamais compris ou cherché à comprendre les pays dits arabes. La révolte contre les dictateurs arabes a été comprise comme une révolution pour la démocratie comme celle qui a sorti les pays d’Europe de l’Est de la dictature communiste pour les emmener vers la démocratie.

Ensuite, on a compris qu’elle était une révolution islamiste et aujourd’hui on commence à percevoir que le Monde arabe est une chimère inventée par les Occidentaux eux-mêmes et qu’il est entré dans un processus de dislocation incontrôlable (en Libye, en Algérie, en Egypte, au Yémen, au Liban, en Irak et en Syrie), la dislocation s’opérant sur des lignes de failles ethniques, religieuses, politiques et économiques.

Le même processus semble à l’œuvre en Europe. Tout cela favorise les islamistes qui sont, aujourd’hui, les seuls à porter un projet mondial conquérant et avoir l’énergie de le réaliser, ce qui exalte les jeunes de toutes conditions et de toutes confessions.

[1] Les sous-titres ont été ajoutés par MEMRI

Memri.fr

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