La liberté des médias en Tunisie : du rêve à la réalite
Journaliste tunisien pour Assabah et Kapitalis, Mourad Teyeb affirme que la liberté des médias au lendemain de la révolte populaire tient plus du rêve que de la réalité. Pour lui, des mesures doivent être prises sans tarder par les journaux, la télévision et l’Internet pour réformer une corruption tenace et un journalisme irresponsable.
Au lendemain des révoltes populaires du 14 janvier qui ont mis fin au règne du président Zine el-Abidine Ben Ali, les Tunisiens se sont retrouvés dans l’illusion d’une société libre et prospère. Les journalistes ont savouré une liberté sans précédent dans les domaines de la presse écrite et de la télévision, jusqu’alors très étroitement contrôlés. Or, malgré un accomplissement dont nous pouvions être fiers, le sens que cette liberté nouvelle devait avoir dans le domaine des médias s’est évanoui après quelques jours.
La liberté a été interprétée au pied de la lettre, et les médias se permettent aujourd’hui de dire ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. Les critiques, et même les insultes, à l’encontre de membres du gouvernement, sont devenues monnaie courante dans les émissions radiophoniques et télévisées ; les journaux regorgent aujourd’hui de contenus indécents et provocateurs. Les journalistes n’ont pas compris que liberté rime avec responsabilité.
D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre que les médias cachent la vérité en ce qui concerne la réalité politique au sujet la sécurité, du chômage et des différents partis.
Depuis le mois de janvier, une centaine de journaux et magazines – quotidiens et hebdomadaires – ainsi qu’une douzaine de stations FM locales ont été autorisés à publier et à diffuser des informations ; plus de 30 licences ont été accordées à des chaînes de télévision. Deux hautes commissions ont été créées en vue de la révision du code de la presse, qui, sous le régime de Ben Ali, définissait les sujets à traiter et spécifiait les amendes et peines en cas de violation de l’ancienne législation sur les médias.
Cette effervescence marque une grande réussite en ce qui concerne la liberté des médias. Toutefois, de nombreux sondages d’opinion révèlent une insatisfaction quant aux nouvelles tendances médiatiques : ces dernières n’auraient pas su tirer parti du changement. Une enquête menée par SIGMA Conseil, une société d’études de marché établie en Tunisie, a révélé à la fin du mois de juillet que les 85% de la population tunisienne n’étaient pas satisfaits des médias du pays.
Même après la chute du président de Ben Ali, la plupart des journalistes sont incapables de venir à bout de problèmes majeurs tels que la corruption ou le financement ; de faire la différence entre liberté et chaos ; et de dresser un bilan des entreprises et investisseurs corrompus, mais qui, à travers des publicités et l’achat d’un grand nombre d’abonnements, contribuent à la survie des entreprises médiatiques, permettant ainsi aux éditeurs et aux journalistes de conserver leurs emplois. En effet, 80% des magnats ont encore mainmise sur le domaine des médias et, bien que de nombreuses sociétés qui appartenaient au clan Ben Ali aient été fermées, il est impossible de mettre tout le monde derrière les barreaux.
Ridha Kéfi, journaliste de haut niveau et membre de la sous-commission chargée de la réforme des médias créée pour enquêter sur la corruption administrative et financière dans le milieu médiatique, pense qu’il est « très difficile » pour les journalistes tunisiens, « de se défaire de mauvaises pratiques, telles que la corruption ou le mensonge, auxquelles ils se sont habitués depuis plus de trois décennies ».
Kéfi, dont le magazine L’Expression, qui avait été privé de publicité avant d’être obligé de fermer en 2009 sous le régime de Ben Ali, pense également que « le peu d’expérience des journalistes, leur réticence à développer des compétences, la pression du travail, qui se passe dans de mauvaises conditions, poussent les journalistes tunisiens à adopter ces tendances et à éviter des affrontements avec leurs employeurs, ce qui risquerait de leur coûter leurs postes. »
Des expériences semblables dans d’autres pays, comme la Géorgie, la Bulgarie, la Chine et l’Afrique du Sud, montrent comment un passage brutal vers la démocratie peut mettre à mal le développement de la liberté des médias. Après 50 ans d’oppression, une voix et un parti uniques sont difficiles à surmonter de manière instantanée. L’élite politique et la société civile tunisiennes n’ont aucune expérience de ce qu’une transition vers la démocratie exige.
De plus, les médias doivent composer avec un si grand nombre de demandes internes, qu’il leur semble absurde de s’occuper des questions de censure ou de corruption.
Aujourd’hui, des débats publics et privés montrent une prise de conscience de la part journalistes, de plus en plus nombreux, du besoin de repartir à zéro avec un sens de l’autocritique et une évaluation plus approfondis. Le refus de travailler dans un milieu corrompu est un premier pas vers la réforme. Le rejet de toute interférence du gouvernement est le début d’une guerre contre la censure. Il est essentiel de prendre des initiatives et de s’attaquer à des questions qui concernent l’actualité en Tunisie si l’on veut libérer les médias tunisiens de problèmes dépassés et de techniques démodées.
La démocratie ne peut pas assurer des médias libres, mais des médias libres peuvent amener le succès de la démocratie. Reste l’espoir que le marché se vide des journalistes incompétents, créant ainsi des médias qui soient non seulement libres, mais au service de l’information.
La révolution populaire de 2011 en Tunisie doit être une force ascendante qui donne naissance à une législation et à un cadre permettant à des médias sans restriction, mais responsables, d’exister à un moment où il est indispensable de casser avec le passé.
TUNIS | CGNews
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