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La Tunisie, et après ? Par Jacques Attali

 

La Tunisie, et après?

Par Jacques Attali

La révolution est en marche dans le monde arabe? Rien d'étonnant pour Jacques Attali. Retour sur les conditions du succès d'une révolution.

Rien n'était plus attendu que la révolution du jasmin. Rien n'était moins prévisible que la date de son déclenchement. Tout le monde sait, en effet, depuis vingt ans au minimum, que la démocratie est en marche dans le monde entier. Non par le jeu du politique, mais par l'économie de marché. Au moins en théorie : on est conscient, depuis l'analyse de l'histoire anglaise par Karl Marx, que le marché crée les conditions de l'émergence de la démocratie. Parce qu'il donne naissance à une bourgeoisie, qui a besoin de sécurité juridique et de liberté d'innovation. Sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, la théorie de l'auteur du Capital est avérée. D'abord en Europe, d'abord de l'Ouest, puis de l'Est, en Russie, en Amérique du Sud, enfin dans des pans entiers de l'Afrique et de l'Asie. 

Une grande partie de ces deux derniers continents et la quasi-totalité du monde arabe restaient jusqu'alors privés des bases de la démocratie. Certains pseudo-experts, traumatisés par la révolution détournée en Iran, le massacre de la place Tiananmen et les difficultés birmanes, allaient jusqu'à soutenir que la dictature est l'avenir ! Et que la démocratie reculerait bientôt partout, notamment devant le fondamentalisme religieux. 

Ce qui vient de se passer en Tunisie prouve au contraire que la démonstration de Marx reste valable : la Tunisie, passée à l'économie de marché, ne pouvait que devenir une démocratie. Et après elle, ce sera le cas de l'Egypte, du Vietnam, de la Chine, de l'Afrique subsaharienne et, bien plus tard, parce que l'économie de marché y est balbutiante, de l'Algérie et de la Syrie. Cependant, Marx ne pouvait prévoir ni le moment ni la tactique. Même s'il avait réfléchi, à partir du cas de la Commune de Paris, à la façon dont une révolution peut avorter ou déraper vers une dictature. 

La France est particulièrement concernée par ce débat, parce que nombre de ces pays incertains sont ses anciennes colonies, qui demeurent francophones. 

D'abord, il lui faut évaluer les conditions du succès de la révolution. De fait, pour qu'une révolution se transforme en une réelle démocratie, elle doit réunir cinq conditions. 1/Une bourgeoisie formée et puissante. 2/Une armée laïque. 3/Une jeunesse n'ayant rien à perdre. 4/L'absence de leader populiste charismatique. 5/Un environnement international favorable. 

Lorsque le succès est possible, la France doit savoir accompagner ces changements. Et, pour cela, elle doit dire, haut et fort, que la démocratie est le seul système tolérable, qu'un leader ne peut rester vingt ans au pouvoir et qu'il ne peut pas réserver sa succession à son fils. Elle doit dire, enfin, qu'elle est l'amie d'une nation et non d'un président, même si cela peut nuire, brièvement, aux intérêts de nos entreprises. 

Enfin, pour bien comprendre ce qui se joue dans chacun de ces pays, la France doit utiliser les formidables réseaux que représentent, sur notre sol, les diverses communautés d'immigrés (ils en savent beaucoup plus que les diplomates français sur ce qu'il se passe dans leurs pays d'origine) et, à l'étranger, les considérables groupes de Français expatriés (ils en savent, eux aussi, plus que les diplomates sur ce qu'il se déroule dans leurs pays de résidence). 

Espérons qu'on n'oubliera pas ces leçons avant la prochaine révolution, des bougainvillées ou du roseau... 

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