LA TUNISIE TRADITIONNELLE - Les encens: symbolique de la fumée
"La fumée est, certes, la composante essentielle de l'encens. Se déployant simultanément sur deux plans, vertical et horizontal, la fumée joue une fonction éminemment médiatisante, à la fois entre la terre et le ciel, le profane et le sacré, le visible et l'invisible, et entre les personnes qui partagent hic et nunc, en une sorte de communion olfactive, une même expérience rituelle, et qui bénéficient, en son contact, des vertus que l'encens est censé transporter dans ses volutes et ses effluves odoriférantes.
Par ailleurs, si les encens interviennent, au niveau religieux, dans la relation entre l'homme et la divinité, étant chargé d'élever la prière vers le ciel, ils sont censés mettre aussi, au niveau magique, " les esprits supérieurs au service de ceux qui les nourrissent de leur fumée" (Douté); la fumée et l'odeur étant, en effet, au même titre que le souffle le véhicule de la force magique, sinon la force magique elle-même(Douté); d'où leur emploi fréquent chez les peuples anciens, dans les sacrifices et les offrandes aux dieux, et, également, leur utilisation par les devins et voyants; ou , plus prosaîquement, dans la vie quotidienne, où elles conservent " leur pouvoir d'écarter les maux menaçants, les démons avides de sang, comme les mauvaises odeurs qui sont aussi des maléfices ou des âmes errantes et sinistres "(Gobert).
C'est la dimension verticale qui donne, certes, le plus de sens à la fumée de l'encens dans la mesure où " les colonnes de fumées s'élevant du bas vers le haut symbolisent la jonction de la terre et du ciel et une spiritualisation de l'homme" (Chevalier et Gheerbrant).
La verticalisation de la fumée était même considérée, dans les rituels, aussi bien religieux que magiques comme relevant d'une impérieuse nécessité. Ainsi, par exemple, selon la Bible, la "ketoreth", parfum sacré destiné à être brûlé matin et soir, dans le Sanctuaire, doit être composé en parties égales, de stacté (styrax), ongle odorant(onyx), galbanum et encens pur (oliban), mélangés avec du sel ( Exode,30: 34-38 ).
A ces quatre ingrédients initiaux, les rabins ajoutèrent sept autres, en plus petites quantités, "myrrhe, casse, safran ou curcuma, costus, écorce aromatique et cinnamome ou cannelle "(Virya ); ainsi qu'une herbe fumigène appelée "maaleh ashan ", ayant notamment la propriété de rendre " la fumée de l'encens verticale "
(Vigouroux, 1889); entreprise à la fois mystérieuse, " seule une famille, celle d' Abtinos en connaissait le secret, d'après le Talmud de Jérusalem,; et, d'autre part fort périlleuse, car en cas d'échec, autrement dit si la fumée ne s'élevait pas en colonne droite, ou si l'on omettait une des substances essentielles, " on était passible de la peine de mort " ( Vigouroux) ."
Extrait de " Magie et Sacre de l'Odeur ", J.L.N.NAKBI, Ed. Contemporary Bookstore, Paris, 2014
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