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Le Boukhoukhou ou l’univers fantastique de LEA, par Mustapha Chelbi

Lea Vera Tahar

 

Le Boukhoukhou ou l’univers fantastique de LEA

 

 

 

On peut refaire le monde à l’aide d’un mot, d’une musique, d’un poème ou d’un tableau. Chacun d’entre nous a des obsessions ; avec toutefois, une espèce de puissance démiurgique à gérer le « délire intérieur » joliment nommé par Léa : BOUKHOUKHOU…

Rêve d’enfant qui se perpétue à l’âge adulte, en projections utopiques et virtuelles, comme une sorte d’alliance avec le sacré.

On devient ainsi le passeur de son propre Ego à l’aide d’énergies profondes venant du chaos originel prenant le dessus sur tout ce que l’on a bâti de raisonnable.L’univers pictural de Léa exprime la complexité de nos rapports avec l’amour, le sexe, l’autre,soi…Désordre rythmés de visions et de rêves, anarchie balisée de personnages fantastiques et hideux.

Chagall, Tobiasse, Raya Sorkine, Matta et Halimi no sont pas loin de cet enchantement total orchestré par Léa…

La rencontre entre l’art et Léa provoque un véritable séisme entre l’idée de peindre et le projet de la représentation : en effet il ne s’agit plus de peindre la nature telle qu’elle est en faisant de la toile le miroir sublimé de la réalité.

Désormais l’objet de la peinture est autre puisque Léa s’assigne pour but de libérer son imaginaire et de s’inscrire dans le trajet ardent d’une explosion cosmique engendrant une spirale onirique n’ayant ni but , ni origine.

Errance prophétique dans le désert de la parole d’avant l’invention du langage : discours à l’état brut comme le rêvaient Dubuffet et Chaissac.

Léa est claire à ce sujet : « quand je m’installe devant la toile blanche, je ne sais ni comment la commencer, ni comment la finir…parfois, je commence à peindre un personnage ayant les traits d’une femme et qui deviendra au fur et à mesure de sa conception un homme, de même je peux peindre un clochard qui se transformera en prince…

C’est pour dire qui rien ne détermine ma liberté de peindre sinon la peinture elle-même. C’est la toile qui commande son destin…Je suis là pour aider à venir quelque chose qui vient du plus profond de moi et que j’appelle : « Boukhoukhou ».

Telle Shéhérazade, Léa s’installe devant la toile et se met à raconter l’univers romanesque dont elle est porteuse en prenant la précaution de mettre en évidence l’originalité et la richesse de chaque personnage.

 

UN ART BRUT RAFFINE

Poète et plasticienne, femme de lettres et de l’être, peintre et sculpteur, Léa bouillonne de créativités et d’idées nouvelles.

Je m’étonne qu’à ce jour et malgré son travail considérable elle reste peu connue sur la scène culturelle tunisienne et souhaite que dans un proche avenir on lui rende l’hommage qu’elle mérite.

Dans une incroyable et époustouflante profusion de couleurs elle met en scène sur la toile les symboles mythiques de Tunisie : la main, les cinq doigts, l’oeil et le poisson. Parallèlement à ses toiles, elle pratique la sculpture sur papier mâché et ne mâche pas ses mots.

Elle pratique un art brut fantastique et c’est probablement cette singularité qui la rapproche de notre compatriote Richard Halimi.

Même si on ressent ça et là des parentés avec Chaissac, Matta ou Halimi, son univers pictural est propre à elle et porte son identité et les signes évidents de sa riche personnalité.

Sa peinture se déploie comme une histoire sans fin à l’image de la comédie humaine prenant parfois l’allure comique d’un cirque, d’un dessin animé ou d'une BD…

Léa ne nous laisse pas insensibles, elle nous porte, nous emporte et nous transporte avec allégresse vers son univers de rêve qui fait fi de la réalité…

Il y a dans son univers quelque chose de vernaculaire qui rappelle Chaibiya et Beya…Mémoire berbère du Maghreb enfin célébrée !

Les anges et les démons survolant les toits de la médina s’imbriquent les uns dans les autres comme dans les contes des mille et une nuits.

Dessin dans le dessin, histoire dans une histoire, personnage dans un personnage…Peuple imaginaire qui s’invente sans cesse et qui s’accorde le bonheur d’exister même s’il est condamné à l’exil et à l’errance.

Léa est présente dans ce qu’elle peint . Elle rappelle souvent qu’elle ne sait pas dessiner , et c’est tant mieux, car c’est de cette façon qu’elle a pu mettre en évidence son propre dessin…N’est-ce pas là le sens et l’essence de l’art brut ?

Bien sûr qu’elle a été à l’école, au lycée, à l’Université, en Sorbonne ; Bien sûr qu’elle a plein de diplômes et de titres ; mais ce qui fait sa force et sa vérité c’est qu’en peinture elle affirme sa culture populaire en jetant par-dessus bord toutes les références académiques.

Elle ne s’embarrasse pas de dogmes ou d’idéologies.

La peinture doit couler de source comme du hénné sur la main , de la merdouma dans les cheveux et du harkous sur le visage .

Elle peint comme elle respire, comme elle cuisine, comme elle chante et comme elle danse.

Léa libère les forces de l’imaginaire véhiculant ainsi une nouvelle façon de lire et d’écrire le discours pictural de Tunisie.

Ses personnages sortent d’elle pour aller vers la toile puis sortent de ses peintures pour devenir des sculptures : double naissance et double métamorphose…

Hommes, femmes, enfants,animaux,êtres étranges,monstres et fées circulent librement dans ce Big Bazar…Il règne entre les personnages de Léa une sorte de fraternité subjective leur donnant un air de parenté malgré leur spectaculaire différence : c’est ici même qu’on se trouve face au génie de Léa :c’est la différence qui fait la richesse du monde.

Chaque individu apporte, grâce à ses différences, plus de saveur à la collectivité.

Dans les tableaux de Léa personne ne ressemble à personne et pourtant chaque élément du tavbleau contribue à l’harmonie de l’ensemble…

C’est la magie de Léa qui en a décidé …

Elle est la souveraine d’un univers fantastique qu’elle explore avec bonheur et spontanéité pour en préserver la fraicheur et l’innocence…

Qu’il en soit ainsi.

 

Mustapha Chelbi

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