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LE DANGER D'UN NOUVEAU STATUT POUR LES JUIFS D'EUROPE

LE DANGER D'UN NOUVEAU STATUT POUR LES JUIFS D'EUROPE

 

Shmuel Trigano

 

On n'a pas fini de mesurer les implications du vote du parlement européen sur la circoncision. Il porte en puissance des développements extrêmement négatifs que l'on peut prévoir, non seulement parce que la résolution appelle les États européens à prendre des dispositions dans le sens recommandé mais aussi parce qu'elle fraie la voie à une logique génératrice d'exclusion sociale et politique pour les Juifs. Pour l'instant nous en sommes au stade des symboles, mais le propre d'un symbole c'est de fédérer des énergies. Sur ce plan, le discours et la résolution européenne sur la circoncision  indiquent une direction: ils stigmatisent implicitement la cruauté, la violence appliquées à l'enfant (ou à l'animal avec la cacheroute), en un mot la barbarie des Juifs ou plutôt, dans le langage feutré de la rapporteure, la "face sombre" de leur "identité". L'argument de l'"atteinte à l'intégrité " de l'enfant mis en rapport avec les droits de l'homme indexe en effet le rite juif à l'inhumanité.

 

La référence morale de ce jugement n'est plus comme hier, le christianisme et l'héritage du crime rituel mais la nouvelle religion écologique: l'égalité des sexes, le "care", le souci pour la non-violence, la tolérance, etc., un discours fondé sur la pureté, l'hygiène, si typique des pays germaniques et nordiques.

 

La menace (toujours indirecte) d'une mise au ban internationale que l'Union Européenne fait planer sur Israël s'il n'obtempère pas à son diktat sur ses frontières est une première expression des penchants troubles de l'Union en ce qui concerne le sort des Juifs européens. Son intention fondamentale est d'interdire la circoncision car elle est néfaste ("des pratiques du Moyen âge" dirait Fillon).  À défaut d'y réussir, elle voudra la réglementer. Il faut savoir que les "règles" européennes, prises par des "commissaires" transnationaux, jouent en Europe le rôle de dispositifs de gouvernement des États. Or, cette réglementation ne s'appliquera pas à tout "citoyen" européen mais uniquement aux Juifs (on verra la question des musulmans plus loin), ainsi désignés et constitués comme entité séparée.

 

De quelle nature sera cette entité transétatique, régie par un règlement quoique non alignée sur une identité (l'Europe est elle-même acéphale et se dénie toute identité et surtout pas "judéo-chrétienne") mais sur des valeurs écologiques, hygiénistes, réputées "neutres"? Ce néant identitaire, pourtant objet d'une règle ayant force de loi en ce qui concerne les Juifs, est d'autant plus grave que cette assignation sélective fera référence à une dimension essentialiste parce qu'elle est en rapport avec la naissance (la circoncision) et la subsistance (la nourriture cachère) [1].

 

Mais cette réglementation sera dans son principe même très problématique. Expression de la "tolérance" européenne, elle fera exception à la règle commune européenne et sera concédée aux Juifs à titre de "privilège". Ce qui sera concédé aux Juifs sera de facto interdit aux non-Juifs pour les protéger contre la "barbarie" juive.

 

Comment définir une telle situation si ce n'est comme la reconstitution d'un ghetto sans murs, "juridique", "moral", "hygiénique" comme l'aime l'U.E., elle qui dispense sans cesse des leçons de morale à l'humanité et particulièrement à l'État d'Israël.

 

Vers un nouveau statut pour les Juifs dans l'Union Européenne

 

Nous sommes en fait au début d'une transformation silencieuse et implicite du statut des Juifs européens. À l'instar de leurs concitoyens, ils ne sont plus déjà objectivement des nationaux d'Etats-nations dont l'existence est en sursis du fait de l'unification européenne et de l'action de la Cour européenne des droits de l'homme qui impose ses décisions aux Etats que leurs citoyens peuvent désormais controurner. La résolution du parlement européen en matière de circoncision et son appel à sa réalisation dans les diverses législations post-nationales laissent donc augurer d'une redéfinition de la condition politique des Juifs d'Europe comme d'une "religion", religion cependant exclue de la norme, celle des valeurs du postmodernisme, religion néanmoins tolérée à condition qu'elle respecte une règle conforme au credo "droitsdel'hommiste" de l'U.E., religion sous tutelle, religion dont on veut protéger les Juifs et bien sûr les non Juifs. Les protéger contre leurs propres penchants jugés dangereux! L'ambition d'une régénération, d'une rééducation, des Juifs est ainsi posée sur la table.

 

C'est là où s'explique l'articulation des Juifs avec les musulmans dont le poids démographique est autrement significatif. Il s'agit d'intégrer ces derniers en les tenant à distance, enfermés dans les limites de leur religion (ce qui est peut être leur volonté mais qui ne doit être en aucun cas la nôtre), et comme on les craint, on implique les Juifs - élément très fort dans la symbolique européenne et islamique-  pour faire "équitable". En fait, pour la bureaucratie de l'Union, cette démarche s'inscrit dans le projet plus vaste d'affaiblir la citoyenneté des Etats nationaux, au nom de droits supérieurs qui ne sont plus les droits de la citoyenneté mais les "droits de l'homme", les droits de l'homme contre les droits du citoyen - ce que la Cour européenne est chargée d'orchestrer -  afin d'installer un nouveau pouvoir central qui coiffe et annule les Etats.

 

Dans cette entreprise, force est de constater que, sur le plan des symboles et de l'imaginaire social, les citoyens juifs, dont les comportements contreviennent aux "droits de l'homme", seront indexés à l'inhumanité (cf. le référent de l'enfant et des droits de l'homme). Cette inhumanité sera malgré tout tolérée et donc inscrite dans un ghetto juridique qui les identifiera de facto, seul lieu d'expression de ces groupes juifs ainsi distingués de la règle commune, dissociés de la société, exclus sous la forme en apparence positive d'une "tolérance" ou d'un "privilège" mais en fait stigmatisés dans une UE où les individus ne seront plus que des "Hommes" et pas des citoyens nationaux. Ce serait un tournant pour la condition des Juifs depuis deux siècles.

 

C'est exactement ce que fut le statut des minorités non musulmanes dans l'Empire ottoman, ce qui prend tout son sens quand on sait que la Turquie néo-ottomane d'Erdogan, avec ses 100 millions d'habitants est candidate à l'entrée dans l'UE.

 

Note :

1 - L'Union européenne est en effet si "éclairée" qu'elle n'impose pas de croyances mais, par contre, elle réglemente les corps  (on a déjà vu la façon dont elle le fait avec les sexes et les genres) et l'être ensemble au nom (immigration et multiculturalisme) de la "neutralité". Bientôt on va appeler cela "l'universalisme" européen contre tous les "sectarismes"?

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