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Le geste historique de Bourguiba, Par Foued Zaouche

 

Le geste historique de Bourguiba

 

Par Foued Zaouche

Je voudrais en cette période de Ramadan rendre hommage au geste d’un homme au courage implacable, un geste qui, en son temps, a tenté de changer les mentalités et de secouer les pesanteurs culturelles qui lestent parfois les consciences d’un poids opprimant… 
Ce geste est celui du président Habib Bourguiba qui, dans les années 60, a saisi un verre de jus de fruit et l’a bu en public, en plein jour et en plein mois du Ramadan, pour mettre le peuple tunisien face à ses responsabilités. Ce geste bien évidemment a choqué et il déclencha force polémiques. Il n’empêche qu’un chef d’Etat l’avait osé, ce qui est inimaginable pour un autre homme politique en ces temps présents, si emplis d’une religiosité tatillonne et de plus en plus formelle. 

Le mois de Ramadan est loin de correspondre à ce mois de recueillement, de frugalité et de méditation voulu par les textes, il est devenu un mois de consommation outrancière, de bombances et de prétextes à s’empiffrer qui fait le bonheur de tous les marchands du temple qui tirent profit de cette frénésie d’achats.
Ce geste du président Bourguiba, je le considère comme historique tant il est chargé de symboles. Il a voulu, en l’osant, signifier que la première des priorités pour un pays du Tiers-Monde est son développement et que le jeûne ne doit pas être un prétexte à la paresse et au relâchement. Les priorités sont restées les mêmes et la valeur du travail demeure la valeur suprême. Elle est, en ces temps de concurrence généralisée, « la différence qui tue ». Il y a deux sortes de peuples, ceux qui érigent la valeur du travail comme valeur essentielle qui prime toutes les autres et ceux qui, drapés dans leur Histoire rigide, choisissent un temps immobile peuplé d’ombres glorieuses.

Nous sortons de deux mois d’été avec une séance unique, nous sommes en train de vivre un mois de Ramadan avec des horaires encore plus allégés et notre pays a l’ambition de se placer au milieu d’une compétition mondiale féroce où les plus productifs et les plus créatifs seront ceux qui gagneront le pari du développement. Nous croyons pouvoir attirer les investissements étrangers et les engager à venir en Tunisie et notre peuple s’offre le luxe de travailler trois mois à mi-temps. C’ est audacieux !
C’est pourquoi je crois sincèrement que le geste du président Bourguiba n’a pas été un geste qui voulait choquer mais un geste salvateur qui voulait libérer les consciences, semblable à celui qu’il a accompli en dévoilant la femme tunisienne. Il a tenté de faire entrer son peuple dans la modernité avec la conviction pleine et entière que la première des prières du croyant est son comportement envers l’autre et non par rapport à lui-même. Le jeûne ne doit pas être un obstacle à l’exercice de son devoir national s’il est un prétexte au relâchement. Rien ne sert de prier, de jeûner et d’accomplir les autres rituels si on n’apprend pas à devenir véritablement comptable de son action par rapport aux autres. Combien peuvent témoigner de l’extraordinaire déficit de travail qui est constaté durant ce mois et combien le regrettent avec un fatalisme teinté de découragement comme s’il n’y avait rien à faire pour y remédier. 
Bien évidemment, beaucoup me rétorqueront que le jeûne ne les empêche pas de travailler et certains peuvent rajouter que le jeûne les engage à travailler avec encore plus d’acharnement. 

Est-ce vraiment ce que nous pouvons observer au quotidien et les exceptions héroïques confirment-elles la règle ? Bien sûr que le geste du président Bourguiba n’a pas été suivi d’effets et qu’il est resté dans les mémoires comme la simple provocation d’un homme qui se pensait peut-être au-dessus « des lois », un pêché d’orgueil comme dirait les Chrétiens. Il n’empêche qu’il ne l’a pas fait par «mécréance » comme certains esprits obtus peuvent le penser, mais par amour pour son pays, pour le faire sortir du sous-développement car il avait compris que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Personne ne nous fera de cadeau et notre seule priorité est notre développement.

Le travail est la clé de tous les autres possibles, tant espérés par les esprits chagrins. 
Il reste qu’un jour, proche ou lointain, la question se posera avec plus d’acuité et il faudra choisir entre vivre au diapason des pays compétitifs en apprenant à faire la part des choses… ou vivre à l’écart de l’horloge du monde, bercé par une musique douce et nostalgique qui rassure les consciences.

Foued Zaouche est écrivain et artiste peintre tunisien. Il publie, chaque semaine, une chronique « En toute liberté » dans le magazine Réalités.

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