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Le mendiant aveugle, par Emile M. Tubiana

Le mendiant aveugle, par Emile M. Tubiana

 

 

 

Un vieux mendiant aveugle était assis tous les jours à la même place, pas loin du chemin qui menait au palais du roi. Ainsi il espérait être vu par les riches qui se rendaient souvent au palais. A côté de lui, un petit plat en argile contenait les pieces que les passants charitables lui jetaient. Il était unique dans son genre. Il n’avait jamais accepté de l’aumône avant d’être d’abord giflé. Personne n’avait jamais osé lui demander la raison pour ces gifles. Certains le prenaient pour un fou d’autres le considéraient comme un pauvre malheureux. Il était devenu plutôt un objet de discussion et d’amusement. C’était de cette façon qu’il gagnait son pain quotidien. Un jour le roi voulait visiter sa ville avec son ministre, afin de sentir l’atmosphère et d’évaluer le pouls de ces citoyens. A la fin de sa visite il vint à passer près de ce pauvre mendiant aveugle et généreusement lui lança un pièce en or dans son assiette. Le mendiant refusa l’aumône que le roi venait de lui donner. Le roi tout étonné demanda la raison de son refus. Mais le mendiant insistait:

 

“Je ne peux pas prendre la pièce avant que vous me gifliez.” Le roi sans aucune hésitation donna une gifle au mendiant et continua son chemin. Dans son parcours il avait vu certains sujets qui avait attiré son attention. Mais quand il arriva de retour au palais le roi était surtout tourmenté par ce mendiant. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi ce pauvre mendiant qui était déjà aveugle devait encore gagner son existence d’une manière aussi humiliante. Le jour suivant le roi convoqua son ministre et lui demanda de lui faire venir au palais, ce pauvre mendiant. Il donna les instructions nécéssaires à ce qu’on lui présente ce mendiant dans un état agréable et humain.  

Il insista qu’on lui fasse un bain, que le coiffeur du roi s’occupe de ses cheveux et que le tailleur de la cour lui trouve des habits respectables. Il voulait s’entretenir tête-à-tête avec ce mendiant. Quand le mendiant arriva au palais les servants firent ce que le roi avait ordonné. Après le bain et la coiffure, ils l’habillèrent somptueusement et le présentèrent au roi. A la vue du mendiant bien habillé le roi avait saisi que ce malheureux avait dû être un homme honnête et respectable. Il devait certainement avoir un destin très particulier se disait-il. Le mendiant ne savait pas ce qui lui arrivait lorsque les soldats du roi étaient venus le chercher en calèche, mais quand il arriva au palais il réalisa d’après le nombre de marches des escaliers qu’il venait de monter qu’il devait bien être dans le palais royal. Le roi l’accueilli chaleureusement et le fit assoir dans un fauteuil confortable. Puis sans perdre du temps le roi commença par ces questions:

 

“Vous rappelez-vous de la pièce en or que je vous avais jetée.hier?” Le pauvre mendiant répliqua:

“Oh oui, j’avais reconnu par le son que c’était bien une pièce en or, mon roi.” Le roi fut stupéfait d’entendre ceci de ce mendiant, qui ne pouvait pas savoir qu’il était le roi, et répondit:

“ Mais comment saviez-vous que je suis le roi, puisque vous êtes aveugle?” Le mendiant fit un grand sourire et continua:

 

“ Mon roi, qui dans cette ville peut se permettre de donner à un mendiant comme moi une telle pièce?” Le roi sourit aussi, puis fit:

 

“Puisque vous avez deviné que je suis le roi, alors racontez-moi pourquoi m’aviez-vous demandé de vous gifler?” Le mendiant secouant sa tête lui répondit:

 

“Mon roi, c’est une longue et bien triste histoire!”

“Allez-y continuez!” fit le roi qui était très curieux d’entendre la suite. Le pauvre mendiant fit d’abord un lourd soupire puis avec une voix pleine de tristesse, commença:

 

“Mon roi, j’était une fois un homme très heureux et je gagnais bien ma vie, honnêtement, dans mon atelier d’artisan, je faisais les meilleurs bijoux dans toute cette région et je n’étais pas riche mais pas pauvre non plus. Je vivais aisément, je possédais ma propre maison avec un beau jardin que ma femme aimait soigner, car elle adorait les fleurs. Puis un beau jour un homme que je ne connaissais pas et qui paraissait être sérieux vint me visiter. Je l’avais bien reçu comme c’est la coutume de notre pays. Ce bonhomme prit l’habitude de me visiter presque tous les jours.et il me parlait tout le temps des trésors qu’il avait à sa disposition. Un jour il me prometta de partager avec moi tous les trésors du monde. Sa seule condition, selon ce qu’il disait était: ‘Je devais bien l’écouter et le suivre’. Honnêtement je ne voulais pas le croire, car à juger selon ses habits un peu froissés et démodés, il ne me paraissait pas posséder des trésors.” Le mendiant soupira profondément avant de continuer.

“Un beau jour ce monsieur s’amena avec une boîte toute ornée de diamants, mais toute minuscule, qu’on pouvait bien cacher dans une main, et me dit:

 

‘Vous voyez cette boîte? Et bien elle m’ouvre tous les trésors du monde.’ Comme je ne savais plus quoi en penser de ses propos je lui répondis:

 

‘Mais que voulez-vous de moi, et bien allez-y apportez des trésors pour vous-même!” Le monsieur répliqua presqu’en colère et s’exclama:

 

‘Mais je n’ai pas de chameaux pour transporter ces trésors!’ Je vous l’avoue, mon roi, que j’avais presque pitié de lui et pour le calmer, je lui dis:

 

‘Je vous achèterai bien un chameau si cela peut bien vous aider!’ Le monsieur à la boîte s’exclama encore une fois:

‘Un chameau pour tant de trésors! Il nous faut au moins dix chameaux et j’aurais aussi besoin de votre aide. Avez-vous été dans le désert? Savez-vous ce que c’est que d’être dans ces étendues de sable? Croyez-moi cela n’est pas agréable.’ Puis il continua:

 

‘Après tout je le fais pour nous deux, vous cinq chameaux et moi cinq chameaux, avec ça on aura assez pour vivre aisément dix fois cette vie.’

Mon roi” reprit le mendiant: “Par ses dires il paraissait bien savoir ce qu’il disait et en effet j’étais bien tenté de ces trésors qui me semblaient bien être à ma portée. Vous savez, mon roi, l’or tente sûrement bien les hommes les plus honnêtes et ainsi je m’étais dit:

 

‘Il a peut-être raison après tout, un aller-retour d’ici au désert ce n’est pas la fin du monde et puis on sera les deux riches en un jour, alors que je travaille toute ma vie et je ne suis pas encore devenu riche.’ Ainsi je cédai à l’envie d’être riche et je m’adressai au monsieur avec ces paroles:

 

‘Est-ce que vous vous connaissez dans les chameaux, car moi je ne m’y connais pas du tout’. Mais, mon roi, à vrai dire je connaissais très bien les chameaux et je savais bien les maîtriser. .Je voulais tout simplement savoir si lui il connaissait les chameaux et je continuais ainsi:

 

‘Vous voyez, je suis un artisan et je connais bien mon métier.” Le monsieur à la boîte répondit:

 

‘Oh, ne vous inquiètez pas! Moi et les chameaux nous avons grandi ensemble dans le désert.’ Je me sentais un peu réconforté par ces dires et je décidai spontanément de lui accorder ma foi et je lui dis:

 

‘Voici dix pièces d’or de mes épargnes.’ Et quelques heures plus tard nous allâmes tout deux vers le marché des animaux pour acheter les dix chameaux. Le lendemain à l’heure convenue nous nous mîmes en route, chacun avec cinq chameaux attachés l’un après l’autre vers une destination qui m’était inconnue et qui d’après le monsieur devait aboutir à l’endroit des trésors. C’était encore bien avant le lever du soleil. Les chameaux marchaient des heures dans le désert et chacun de nous était juché sur le dos de son chameaux. Nous étions fatigués et assoiffés lorsque nous attaignâmes un chemin très étroit qui ne semblait pas être fréquenté, car il était loin des artères principales du désert. Nous prîmes ce sentier et nous nous trouvâmes subitement dans une place qui semblait être cachée à la vue des passants. Ensuite, un autre petit chemin, encore plus étroit que l’autre conduisait devant une montagne qui n’était pas très haute, lorsque le guide du trésor s’arrêta:

‘Nous voilà arrivés!’ fit-il. Puis il ajouta:

 

‘Reposez-vous un peu, car dans un moment, nous allons commencer à charger nos chameaux de diamants et d’or.’ J’étais tout étonné et curieux à la fois, car je ne voyais rien autour de nous qui semblerait pouvoir cacher un trésor, puis je lui dis:

 

‘Mais où sont ces trésors?’ Le monsieur se tourna vers la montagne et me dit:

 

‘Vous voyez, à l’intérieur de la montagne!’ Je voulais quand-même bien le croire, quoique je ne voyais toujours pas les trésors. Il m’était dur à imaginer qu’une telle montagne pourrait s’ouvrir, mais je voulais bien qu’il me surprenne agréablement, car j’étais déjà bien embaumé du flair de la richesse. Moi qui toute ma vie avais travaillé dur pour gagner mon pain, je commençais à me faire des rêves. J’imaginais comment ma femme réagirait lorsqu’elle verrait des bijoux qu’elle n’avait jamais vus de sa vie. Alors que je songeais, soudain! le monsieur prit la boîte en main comme une boussole et commença à trouver la direction du trésor. Je n’avais jamais vu une telle boîte, je me tournai curieusement vers la montagne lorsqu’à ma stupéfaction je vis tout-à-coup la montagne qui s’ouvrait petit-à-petit. Je n’en revenais pas, tellement j’étais émerveillé et béat de voir une si grande montagne s’ouvrir à la commande d’une boîte aussi minuscule. Le monsieur avec la boîte me dit:

 

‘Apportez vos chameaux et commençons le travail, vous voyez ces trésors!’ Je ne savais plus quoi dire devant de telles merveilles. En effet, la montagne ouverte donna accès à une grotte pleine de trésors. Il y avait de tout: des chaînes en or, des colliers en or, des perles, des diamants d’une grandeurs que je n’avais jamais vue. Je ne savait plus si j’avais à faire à un mirage ou à une hallucination. Je vous avoue, mon roi, que mon corps commençait à frissonner et je me disais:

 

‘Une telle boîte dans les mains d’un ignorant pareil? Vous m’écoutez, mon roi?”

“Allez-y, continuez!” répliqua le roi.

Le mendiant continua::

 

“Mon Dieu, je ne l’avait pas cru, je croyais bien qu’il était un fou et heureusement que j’avais consenti à le suivre.”

Le roi écoutait silencieusement ce pauvre mendiant, sans l’interrompre une seule fois. Le roi était lui-même étonné et émerveillé de ce qu’il entendait, il ne savait pas s’il fallait prendre cette histoire au sérieux. Puis le mendiant continua:

 

“Nous avons chargé chameau après chameau et après que le dernier était chargé, nous quittâmes les lieux mystérieux. Une fois que nous étions dehors, le monsieur ferma le couvert de la boîte et la montagne se referma petit-à-petit, comme elle s’était ouverte, c’était fascinant, mon roi de voir une montagne s’ouvrir et se refermer. Le monsieur de la boîte ne paraissait pas être content de son trésor et me dit:

 

‘Choisisez vos cinq chameaux et laissez-moi mes cinq chameaux, car moi je vais dans une autre direction que vous.’ Chacun de nous deux prit son chemin et suivait les pas lents des chameux alourdis par le poids de leur précieuse marchandise. Honnêtement j’étais devenu très envieux de la richesse après avoir vu tous ces trésors. Je trouvais que ce bonhomme à la boîte ne méritait pas tant de chameaux avec un si grand trésor. Ensuite comme je ne voulais pas qu’il s’éloigne de trop je l’appelais en criant:

 

‘Hé! bonhomme! Je m’inquiètais pour vous, qu’allez-vous faire avec tant de chameaux remplis de trésors. En plein désert les bandits peuvent vous attaquer et je serais bien loin pour pouvoir venir à votre secours.’ Le monsieur à la boîte répondit:

 

‘Vous avez raison, que dois-je faire?’ Alors mon roi, je voyais que mes arguments avaient agi sur cet homme et j’ajoutais:

 

‘J’avais justement pensé à celà. J’ai apporté avec moi un petit sac de pièces d’or, de quoi suffire pour toute une vie. Ainsi vous n’auriez plus à craindre qui que se soit et vous seriez débarrassé de ce fardeau de marchandise et de ces animaux bêtes qu’il faudra encore soigner. Vous ne seriez plus une simple proie dans les mains des voleurs du désert.’ Le bonhomme à la boîte miraculeuse répondit:

 

‘Que voulez-vous en échange pour ces pièces d’or?’ Tout joyeux en moi-même de voir mon dessein se réaliser, je lui dis:

 

‘Ah, donnez-moi quelques chameaux! Et vous seriez plus libre” Le pauvre monsieur à la boîte me dit:

‘Est-ce que trois chameaux vous suffiront? pour vos pièces d’or?’ Je lui dis:

 

‘Evidemment, j’accepterai cet échange, même à perte, trois chameaux contre mon sac de pièces d’or.’ J’ajoutai les trois chameaux à mes cinq et à nouveau nous continuâmes à marcher sur nos différents chemins, mais après un court moment, je me retournai encore une fois, car je trouvais que ce bonhomme ne méritait pas deux chameaux pleins d’or et de diamants et je trouvais aussi qu’il n’était pas un commerçant pour pouvoir gérer ces marchandises, en plus qu’il était ignorant en la matière de commerce, surtout lorsqu’il s’agissait d’or et de diamants. Je pensais que j’étais mieux placé que lui pour ce genre d’affaires et à nouveau je l’appelai:

‘Mon cher ami, que voulez-vous faire avec ces deux chameaux pleins de trèsors, vous ne connaissez même pas la valeur de ces bijoux, les commerçants sont des vautours et ils vont vous rouler, et peut-être même vous tuer!’ Le bonhomme naïvement me répondit:

 

‘Que voulez-vous que je fasse?’ Je souriais dans mon coeur car je voyais qu’il n’était pas intelligent comme je l’avais pensé et je lui répondis:

 

‘J’ai pitié de vous! Voilà encore un sac d’or et je prendrai sur moi ce lourd fardeau de négocier avec les commerçants, et à savoir si je vais réussir à tout vendre.’ Le pauvre monsieur me remit ses deux derniers chameux, en échange pour le sac de pièces d’or et se mit à nouveaux sur son chemin. J’étais content de moi même, j’attachais les dix chameaux l’un après l’autre, puis, après un moment de marche, je me tournai à nouveau et je criai:

 

‘Mon cher ami, vous connaisssez bien le désert, qu’avez-vous besoin de cette boîte, vous n’avez même pas des chameaux pour transporter des trésors.’ Le monsieur s’arrêta et me dit:

 

‘Que voulez-vous que je fasse?’ Je profitai de cette dernière chance et je lui répondis:

 

‘Passez-moi cette boîte et je vous donnerai encore un petit sac d’or, et vous n’auriez plus de soucis. Vous auriez assez d’argent pour vivre comme un roi.’ Le bonhomme semblait être convaincu des mes arguments mais avant de me remettre la boîte il me dit:

 

‘Vous voyez cette boîte, elle a deux côtés, le côté bas et le côté haut. Quand vous voulez ouvrir la montagne, ouvrez toujours le côté haut, jamais le côté bas.’ J’était finalement satisfait et content d’avoir réussi à lui soustraire les dix chameaux chargés de trésors, et encore plus d’avoir acquis la possibilité d’accéder à tous les trésors, à ma guise, à.l’aide de cette boîte.” Le mendiant leva un peu la tête, comme s’il pouvait voir le roi, et dit:

“Mon roi, imaginez-vous, dix chameaux, de quoi rendre mille familles riches. Et bien, je voulais encore plus. Je fis plus de cent fois l’aller-retour avec ces chameaux et j’avais remplis au moins dix dépôts. Un beau jour, je m’étais posé la question:

 

‘Pourquoi ce monsieur, ne voulait-il pas que j’ouvre le côté bas de la boîte, il devait y avoir une raison. Certainement il a connaissance d’autres trésors qui ne s’ouvrent qu’à l’aide de la partie basse de la boîte’, me disais-je et j’étais tellement curieux de découvrir peut-être de meilleurs trésors qu’ignorant les conseils de ce gentil bonhomme j’ouvris le côté bas de la boîte et soudain, une lumière éblouissante et incroyable sortit de la boîte et m’aveugla instantanément. Depuis ce jour-là je ne pouvais plus rien voir, ni gérer mes biens. Ma femme m’avais quitté et s’empara de toute ma fortune. C’est ainsi que je devins le mendiant que je suis. C’est la raison pour laquelle je vous ai demandé de me donner une gifle. Je mérite cette gifle, parce que je n’étais jamais satisfait.” Le roi écouta l’histoire jusqu’à la fin et dit au mendiant:

 

“Maintenant je comprends pourquoi vous êtes dans cette misère et dans cet état, car vous avez échangé votre bonheur pour des faux trésors.” Il lui tendit encore une pièce et le gifla à nouveau et lui dit:

“C’est vous qui avez choisi votre sort, allez-y vivre avec. A un certain moment j’avais pensé vous venir en aide, mais je vois que c’est vous qui avez tracé votre destin.”

 

Emile M. Tubiana

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