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LE PÈLERINAGE DE REBBI FRAJI DE TESTOUR, par Emile Tubiana

 

LE PÈLERINAGE DE REBBI FRAJI DE TESTOUR  par Emile Tubiana

 

INTRODUCTION

Rebbi Fraji Chaouat de Beja était venu en Tunisie avec les refugies Arabes et Juifs qui étaient expulsés de l’Andalousie par les Espagnols de 1492 à 1855. La plupart se sont installés à Testour et certains se sont installés dans la région qui s’étend jusqu'à Tunis et en Algerie jusqu’ à Bône Annaba

 

Je me souviens des beaux pèlerinages de Testour, auxquels j’ai participé avec mes parents et mes cousins et cousines. Tous les ans on allait au pèlerinage de Rebbi Fraji Chaouat de Béja. L’aperçu historique se base sur la chanson de geste, chantée par les femmes et les hommes des communautés qui participaient aux pèlerinages ; sur les contes de mon père, les récits qu’il me transmit de son père et de son grand-père, que je n’avais hélas pas connus, et sur les dires de ma mère, de ma grand-mère paternelle et de ma grand-mère maternelle, ainsi que sur les confirmations de mon arrière-grand-père, de mon arrière-grand-mère et de son frère, qui étaient encore vivants quand j’étais jeune. À cela s’ajoutent mes propres expériences des pèlerinages auxquels j’ai participé depuis mon jeune âge et les maassiot (histoires) que nos rabbins nous racontaient lorsque nous étions sages au cotab, sans oublier les témoignages de la communauté de ma ville Béja, où j’ai grandi.

Personne ne connaissait le nom du secrétaire du rabbin, mais vu que je considère son témoignage comme une des bases de ce récit, j’ai trouvé nécessaire de donner un nom à un homme aussi important. J’ai choisi le nom de Haï pour le secrétaire de Rebbi Fraji, car selon la tradition, une personne qui est passée dans l’au-delà est toujours vivante et on use de ce nom pour se référer à elle. On dit que celui qui sert un tzadik (un juste) devient lui-même un juste. Dans la chanson de geste on parle de la fonction de la personne qui assistait le rabbin comme d’un « gozbar » ce qui veut dire secrétaire.

 

Je sais qu’il y a d’autres versions, toutefois pas béjaoises, qui sont légèrement différentes de la mienne et qui parlent d’un serviteur et non d’un secrétaire ainsi que d’une mule et non d’une jument. De ma part je n’ai jamais entendu parler d’une mule à Béja et la chanson de geste confirme la version avec la jument. Du reste, cela m’aurait étonné que Rebbi Fraji ait demandé que son corps soit mis sur un animal croisé, pas naturel. Je sais que mon grand-père qui était religieux et croyant ne montait jamais sur une mule. La plupart des vieux de son âge avaient des juments et pas des chevaux.

 

LA LÉGENDE

On raconte qu'au début du dix-septième siècle Rebbi Fraji Chaouat vivait à Béja. Il était très pieux et charitable et savait guérir les malades. La communauté juive de Béja, qui le vénérait pour ses connaissances de la Torah et sa gentillesse exceptionnelle, avait mis à sa disposition un secrétaire juif qui s’occupait de ses besoins quotidiens. Ce secrétaire avait une chambre dans la même maison, il n’avait qu’à traverser la cour intérieure pour aller chez le rabbin. Le nom du secrétaire était Haï. C’était un vieux célibataire qui avait presque soixante ans lors de la mort de Rebbi Fraji et qui avait servi le charitable et généreux rabbin avec grand dévouement.

Rebbi Fraji était économe et comptait chaque sou, mais quand Haï lui faisait ses achats, le rabbin tenait à rembourser la somme dépensée en y ajoutant toujours une somme pour honorer le secrétaire. À chaque fois Haï refusait de prendre de l’argent, tant il vénérait le rabbin. Un jour Rebbi Fraji lui dit :

 « Mon cher ami, puisque D’ t’a envoyé à moi Il attend de moi que je sois bon avec toi, car si j’avais été seul, que serait-il advenu de moi ? Je t'en prie, si tu veux m’aider, ne refuse pas l’argent que je te dois pour tes efforts ». Le secrétaire prit l’argent que lui offrait le rabbin et avant de s’éloigner il lui baisa la main. À son tour Rebbi Fraji le bénit avec ces paroles hébraïques en passant la main sur sa tête :

 « Yevarekha Adonaï Veyichmerekha. » (Que D’ te bénisse et te garde.) D’après les dires du secrétaire, à chaque fois que le rabbin le bénissait, il sentait un courant agréable qui traversait tout son être et le laissait dans un état serein et paisible pour la durée de la journée.

Un jour, avant de se retirer, Haï demanda au rabbin s’il avait encore besoin de quelque chose. Rebbi Fraji lui dit :

 « Haï, que le Seigneur te donne une longue vie, je crois que là-haut on m’appelle et je vais tout faire de sorte que le matin je serai lavé et habillé de ma robe de nuit blanche. Quand tu rentreras le matin dans ma chambre je serai déjà parti, mais ne t’inquiète de rien, tu n’auras rien à faire, simplement tu diras aux membres de la communauté juive de Béja de mettre mon corps sur ma jument. Elle connaît le chemin vers ma loge finale sur cette terre et là où elle s’arrêtera c’est là qu'il faudra creuser. Ma tombe doit être simple et sans ornement. Haï écouta son maître, tout ému baisa sa main et se retira lentement vers sa chambre ne sachant quoi penser de ce qu’il venait d’entendre de la bouche du rabbin.

A peine rentré dans sa chambre, il se jeta dans son lit, et sans même avoir enlevé ses habits, le fidèle secrétaire mit sa tête sur son oreiller et le sommeil l’emporta. Tôt le matin, il se réveilla en sursaut lorsqu’il vit les premiers rayons de soleil pénétrer par la fenêtre qui donnait vers la cour. Haï s’en voulait de ne pas s’être réveillé plus tôt pour voir le rabbin. Il fit une rapide toilette et se dirigea vers la chambre du rabbin.

D’habitude lorsqu’il s’approchait de la chambre, le rabbin disait toujours :

 « C’est toi Haï ? » Cette fois-ci il y avait un silence et à nouveau il sentit les mêmes sensations que lorsque le rabbin le bénissait. Il entra dans la chambre. Il trouva le rabbin allongé sur son lit comme s’il dormait. Haï ne croyait pas que le rabbin était mort, il s’approcha du lit pour voir de plus près et à sa grande surprise le corps du rabbin avait les yeux fermés et semblait plongé dans un sommeil éternel. Haï mit sa main droite sur les yeux du rabbin et fit « Chema Israël » puis il ferma gentiment la porte pour ne pas faire de bruit et s’empressa vers la synagogue d’E'in Esemch pour alerter les Juifs qui faisaient encore la prière de « chahrit » . La nouvelle du départ du rabbin secoua les présents, puis tous interrompirent brièvement la prière matinale pour écouter les dires de Haï sur la dernière volonté du rabbin.

Après que la prière matinale fut terminée, la communauté entière, du petit au grand, se précipita vers la maison du rabbin. Ils prirent le corps du rabbin et le mirent sur sa jument, comme le rabbin l’avait voulu. Ensuite, tous les présents formèrent un cortège. Aussitôt la jument prit la direction du sud-est. Elle avança vers ce qui est aujourd’hui l’avenue Sidi Frej. Au fur et à mesure qu’elle avançait, les membres de la communauté juive la rattrapaient et le cortège s’agrandissait.

Dans ce temps-là la Tunisie était gouvernée par le bey qui était nommé par l’empire ottoman. Sa fonction était comme celle d’un gouverneur mais il devait rendre des comptes au sultan turc pour les activités quotidiennes et encaisser les impôts des habitants et des commerçants. En général, le bey chargeait son fils ou désignait un officier pour encaisser les impôts. Il mettait à leur disposition des jeunes soldats (des janissaires) que l’empire lui envoyait. Le fils du bey ou l’officier allait d’une région à l’autre pour encaisser les impôts et pour cela il campait dans certaines régions. Dans le cas de cette histoire le campement des soldats du bey était dans la région du nord. On appelait ces camps des camps volants. Quand les impôts étaient encaissés le fils du bey et ses soldats rentraient avec l’argent à la résidence du bey à Tunis.

Après des heures et des heures de marche, la jument atteignit un camp volant du bey. Le gardien qui était à l’entrée du camp leva la main pour arrêter le cortège et d’après les dires de papa, sa main resta en l’air et il ne put plus la rabaisser. La jument avança tranquillement. La même chose qu’au gardien arriva à l’officier qui voulait intervenir. Les soldats qui voyaient cette scène étaient furieux et ne comprenant pas ce qui s’était passé accoururent pour arrêter et même frapper toutes les personnes du cortège. Ces soldats à leur tour s’immobilisèrent devant la jument qui continuait gentiment son chemin dans la direction de Testour, sans souci.

 « Oh, mon Dieu ! » disaient les soldats du Bey, voyant que tous les bras qui voulaient frapper le saint et ses compagnons étaient paralysés. Chacun croyait pouvoir vite intervenir, mais bientôt ils furent plus de cent soldats avec le bras en l’air sans pouvoir le bouger. Le prince, alarmé par le bruit des soldats, sortit de sa tente et voyant ses soldats affolés, il comprit qu’il s’agissait de quelque chose de très particulier et non pas d’une révolte ou d’une attaque. Il salua le cortège et demanda aux gens qui accompagnaient la jument :

 « Qui est ce mort ? » Haï, le secrétaire de Rebbi Fraji, avança et se présenta au prince en disant :

 « Votre Altesse Beylicale, je suis le secrétaire de cet honorable rabbin et c’est sa dernière volonté d’être enterré là où sa jument s’arrêtera. Nous suivons justement la jument afin que sa volonté soit respectée. » Le prince comprit et s’exclama :

 « Alors dites-moi que c’est un saint ! » Toute la communauté qui n’osait pas dire un mot sur Rebbi Fraji fit comme d’une seule voix :

 « Oui, notre prince, c’est même un grand saint ! »

Le prince se précipita devant la jument et fit :

 « Samahna Ya Sidi Ma Refnachi Karek. » (Sire, pardonnez-nous, nous ne connaissions pas votre honneur et grandeur.) Puis il s’adressa à ses officiers et soldats et leur dit :

 « Mais vous êtes des imbéciles, vous ne voyez pas qu’il s’agit là d’un saint ! Allez, exécutez sa dernière volonté. » Ensuite il s’adressa au rabbin avec ces paroles :

 « Ya Sidi, Enouaslouek Bel Tabal ou Bel Zokra Hata Lel Emken. » (Sire, nous vous accompagnerons avec le tambour et le biniou jusqu’à votre endroit.) Et ainsi tous les soldats se trouvèrent les mains libérées et se joignirent au cortège avec la musique et les tambours. La jument fidèle à son maître continua son chemin et arrivée à Testour, à la fin d’une rue du village, elle s’arrêta et s’assit comme une femme fatiguée. Les Juifs et les Arabes qui accompagnaient le rabbin se mirent à creuser la tombe selon le rite juif.

Depuis ce temps, Rebbi Fraji est très respecté par les communautés juive et musulmane de Béja et de Testour.

 

LE PÈLERINAGE

Depuis la mort du rabbin, le pèlerinage annuel se tenait à Testour auprès de sa tombe. De notre temps, la route avait changé et passait par les montagnes du Monchar et par Medgez-El-Bab.

C’était la tradition que chaque année les Juifs de toute la région du nord, de Tunis jusqu’en Algérie fissaient le pèlerinage de Rebbi Fraji Chaouat qui était enterré à Testour. La plupart des Juifs de Béja et des alentours y allaient à pied. Le fait que la jument de Rebbi Fraji ait choisi Testour n’était peut-être pas un simple hasard. Selon certains, « Testour » en sumérien veut bien dire Terre Sainte.

Chaque année on se préparait à l’avance pour ce pèlerinage, qui se tenait à Soukot, la fête des tabernacles, qui symbolise la vie dans le désert durant l’exode des Israélites d’Egypte. L’après-midi du premier jour de Hol-ha-moëd (les jours ouvrables entre les premiers et les derniers jours de la fête) toutes les familles juives se groupaient sur l’esplanade de l’avenue de la République et chaque famille formait une caravane. Chacune apportait avec elle des victuailles et un mouton. Il y avait des familles qui préféraient l’abattre à Béja, d’autres suivant le rite des sacrifices le prenaient vivant et l’abattaient à Testour. Les caravanes comptaient quelques centaines de personnes. Elles se formaient devant l’ancien Café Bijaoui d’avant guerre. Les caravanes se composaient des membres de chaque famille, et à ceux-là se joignaient les voisins ou certains amis qui avaient une même affinité. Certaines amitiés se nouaient juste avant ou pendant les jours du pèlerinage.

Pour nous, les enfants, c’était une grande excursion et aventure. Chaque famille essayait de tenir les enfants à côté, mais les familles s’entremêlaient et les parents commençaient à perdre patience. Plus d’une fois une famille chercha un de ses enfants, ou un enfant égaré chercha ses parents. Ces délais retardaient le départ de la grande caravane béjaoise.

Les habitants musulmans de notre ville venaient nous souhaiter un bon pèlerinage et nous apportaient des fruits et des pains frais.

J’avais plusieurs fois participé aux pèlerinages. D’année en année les amitiés changeaient. C’était ainsi que les familles faisaient la connaissance des enfants, des parents et des grands-parents des autres. Les caravanes commençaient la marche d’abord vers le stade de football afin de s’organiser et de créer des distances entre les grandes familles. Les vieux de chaque famille étaient les chefs de file. Ceux-là marchaient devant, en tête de chaque famille. Les hommes et les enfants qui pouvaient marcher allaient à pied. Les vieilles femmes montaient sur des charrettes ou en calèche, que certains possédaient et certains louaient. Certains vieux montaient à cheval ou à dos d’âne. Certains louaient des ânes avec leurs propriétaires. Les jeunes hommes de chaque famille restaient à l’arrière pour protéger les femmes. Certaines familles étaient très grandes. La caravane du pèlerinage était si longue qu’on ne voyait pas sa fin. Presque tout le monde était, d’une façon ou d’une autre, cousins et cousines, du fait que les mariages entre Béjaois étaient fréquents. Un jour mon père me dit :

 « Si tu veux savoir, tout Béja est une seule famille. »

La route de Béja à Testour passe par Medjez-El-Bab. La distance est d’environ soixante-dix kilomètres. La première étape est de quarante-cinq kilomètres et la deuxième, de Medjez-El-Bab à Testour, est de vingt-cinq kilomètres. Les premiers kilomètres étaient les plus agréables. La route était plus ou moins droite, les jeunes se sentaient les plus forts, un esprit de compétition se créait parmi eux. Mais dès que l’on dépassait les vieux, nos pères nous rappelaient qu’il fallait ralentir pour permettre aux femmes et aux vieilles personnes de maintenir le rythme avec nous. Le trajet de Béja jusqu’à Medjez-El-Bab durait jusqu’au matin, on allait doucement, on chantait des chants judéo-arabes.

Medjez-El-Bab représentait la première étape et notre caravane de Béja était toujours la première. On y arrivait tôt le matin. On attendait sous les eucalyptus. On profitait de cet arrêt pour manger. Certains tiraient de leurs sacs des sandwichs, du pain de maison, des œufs durs, des olives, d’autres des ma’akoud ou des plats cuisinés, ou encore des boulous, des cakes, des bichcoutous et des fruits. Tout était froid mais bien mangeable, car après cette longue marche nous avions tous grande faim. Les enfants sautaient d’une famille à l’autre et se ramenaient avec des friandises que les autres familles leur offraient. Chaque famille donnait de ses bonnes choses aux autres.

Vers dix heures du matin les premières caravanes de Tunis et d’autres villes arrivaient à Medjez-El-Bab. Les caravanes s’arrêtaient pour se reposer et se débarbouiller et retrouvaient les Béjaois qui les attendaient. Les eucalyptus faisaient un ombrage agréable aux familles qui se réorganisaient pour la dernière étape vers Testour.

La caravane de Tunis arrivait toujours avec des musiciens qui jouaient de la Zokra (flûte tunisienne ou biniou), de la Darbouka (un genre de tambour nord- africain) et d’autres qui jouaient el Oud ouel Ejrana (du luth et du violon). On continuait ensemble la route jusqu’à Testour.

Quand on arrivait, les habitants de Testour, qui du reste étaient paraît-il les descendants des Arabes et des Juifs venus ensemble d’Andalousie après la défaite arabe en Espagne, nous attendaient avec des youyous. Il faut retenir que les juifs et les musulmans ouvraient leurs portes aux pèlerins. Chaque famille juive était hébergée dans une maison. Les maisons de Testour étaient construites autour d’une cour qui donnait accès à chaque chambre. Les habitants libéraient une ou plusieurs chambres et chaque famille juive en prenait une. Une fois que les familles avaient pris possession temporaire des lieux, celles-ci étaient libres d’aller à la tombe du saint à tout moment.

Les femmes de Testour préparaient des Jradeqs, un genre de pita (les Tunisois l’appellent « Khobz Tabouna », bien connue dans le nord de la Tunisie). La plupart des musulmans refusaient le payement pour le logis et pour les Jradeqs. Ma maman avait toujours besoin de beaucoup de temps pour s’occuper de la famille avant d’aller visiter la tombe. En attendant, nous les jeunes, qui étions impatients, nous sortions dehors comme les premiers éclaireurs. Les rues de Testour étaient semblables aux rues du quartier arabe de Béja. Nous nous amusions à visiter d’autres rues sans toutefois perdre de vue la rue de notre domicile temporaire. À cette occasion on faisait la connaissance de jeunes enfants venus d’autres villes, certains nous invitaient chez eux, nous invitions des nouveaux amis chez nous. Ainsi nous maintenions nos parents toujours en action. On passait un jour ou deux à Testour, pleins de joie et de gaieté.

Pour les Juifs du nord de la Tunisie y compris les Juifs de Bone et de Constantine, le pèlerinage de Testour était aussi important que le pèlerinage de la Ghriba à Djerba l'est pour les Juifs du sud tunisien. On dit que l’avenue Sidi Frej de Béja était au nom de Rebbi Fraji. Alors, le chemin de Testour passait par le pont Trajan ; le cortège de Rebbi Fraji passait par le chemin qui était devenu Sidi Frej. Certaines familles faisaient le pèlerinage de la Ghriba à Djerba, du Maarabi près de Gabès, et enfin de Rebbi Fraji à Testour. Les Tunisois avaient aussi leur saint, Rebbi Hai Taieb Lo Met, au vieux cimetière de Tunis. Son pèlerinage était très important pour les Juifs tunisois.

Je me souviens de notre première visite à la tombe du saint. Le mausolée de Rebbi Fraji était plein de pèlerins. La tombe se trouvait au centre d’une grande salle. Les femmes et les enfants chantaient et faisaient des vœux. Puis du coup le corps des musiciens avec les binious et les tambours jouait des sons qui résonnaient et électrisaient tous ceux qui étaient présents, avec le rythme accéléré de la chanson de Rebbi Fraji. « Lah Y Lana, Lah Y Lana Essayed Icoun Ema’ana. » Certains rentraient dans l’extase de la danse, certaines femmes suivaient le rythme, jusqu’à en perdre la tête. Dans ce chahut je me souviens aussi du moment où comme un silence de l’âme s’accapara de moi et je sentis le rayonnement qui emplissait tout l’espace et mon être. C’est ainsi que je saisis la croyance en une force suprême. De même je comprenais que cette force jaillît dès que nous nous trouvions dans la joie. Dans ces moments, tous les problèmes qui nous accablaient tous les jours disparaissaient. Les visiteurs donnaient des offrandes sans réserve. Ils apportaient des plateaux de bricks, de makrouds, de yoyos, des beignets au miel, des manicotti, des dragées, des cakes, des boulous, des bichcoutous, etc. Certains distribuaient même de l’argent. Une atmosphère de sérénité et d’une douceur particulière remplissait nos cœurs. La bonté et la générosité abondaient. Les musulmans se réjouissaient avec nous. Nous nous sentions du coup des frères et des sœurs. Voici ce que les souvenirs des pèlerinages de Rebbi Fraji réveillent en moi et j’espère que cette joie se répand sur tous ceux qui lisent ces lignes.

J’ai entendu beaucoup d’histoires sur les miracles que le pèlerinage de Rebbi Fraji avait apportés. C’était devenu une tradition chez les juifs et chez les musulmans, que celui qui avait un vœu allât prier sur sa tombe et son vœu était exaucé. J’avais été témoin d’une amie de ma mère qui habitait à Bone « Anaba » (Algérie) et qui n’avait pas pu avoir d’enfants depuis qu’elle s’était mariée. Elle était restée treize ans sans enfants. Ma mère l’avait invitée à participer avec nous au pèlerinage de « Rebbi Fraji » afin de prier pour un enfant. L’année d’après, elle avait visité avec nous la tombe du saint et neuf mois plus tard elle avait accouché d’un garçon. Depuis, chaque année elle venait au pèlerinage avec son fils.

 

LA CHANSON DE REBBI FRAJI

À travers les âges une chanson de geste a été créée. Elle nous a été transmise de génération en génération et reflète le côté historique du personnage de Rebbi Fraji et du chemin que sa jument avait choisi. En toute occasion heureuse on chante cette chanson de joie, qui raffermit la foi des Juifs tunisiens.

Voici la chanson de geste de Rebbi Fraji Chaouat, selon ma mémoire et la mémoire des membres de notre ville. Elle est encore incomplète. Je remercie ceux des lecteurs qui se rappellent d’autres versets de bien vouloir me les transmettre, afin que je puisse les insérer et conserver la chanson complète pour les générations à venir.

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Ourebi Fraji Machi Ema’ana

Lah Y Lana, Lah Y Lana, et Rebbi Fraji marche avec nous

 

Yagozbar Eija Kodami Esma Ou Matekhlefchi Klami

Secrétaire, venez devant moi, écoutez et ne changez pas mes paroles

 

Rani Lioum Mkemel Ayami, Ou Machi A’nd Rabbi Moulana

Aujourd’hui-même mes jours vont s’achever et j’irai chez notre Seigneur

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Essayed Icoun Ema’ana.

Lah Y Lana, Lah Y Lana, le seigneur* sera avec nous

 

Erebbi Sala Minha Oujdoudou Za’akou Bel Farha,

Le Rabbin a prié Minha et ses ancêtres ont crié de joie

 

Oulioum Na’amlou Simha Le Sayed Elima’na.

Et aujourd’hui on fera une fête pour le seigneur* qui est avec nous.

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Ourebi Fraji Ichebet Ema’ana

Lah Y Lana, Lah Y Lana, et Rebbi Fraji passera le shabbat avec nous

 

Zaylet Erebi Mshat Ousebket Jmi El Qahal Alaha Kholtet,

La jument du rabbin s’avançait et la communauté la rattrapait

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Al Emra El A’yana,

Lah Y Lana, Lah Y Lana, pour la femelle fatiguée

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Ourebi Fraji Machi Ema’ana

Lah Y Lana, Lah Y Lana, et Rebbi Fraji marche avec nous

 

El Assas Qaed Io’ss Yebssed Yedou A’l Leqfal,

Le soldat montait la garde et sa main s’est raidie sur la gâchette

 

Qal Oualah Manheb Eno’ss Hata Yessarhni Maoulana.

Il a dit : « Pour l’amour de Dieu, je ne veux plus garder,

Jusqu’à ce que ce seigneur* me libère ».

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Essayed Icoun Ema’ana.

Lah Y Lana, Lah Y Lana, et le seigneur* sera avec nous

 

Samahna Ya Sidi Ma Refnachi Karek

« Sire, pardonnez-nous, nous ne connaissions pas votre valeur

 

Enouaslouek Bel Tabal ou Bel Zokra, Hata Lel Emken

Nous vous accompagnerons avec le tambour et le biniou jusqu’à votre endroit. ».

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Ou Rebbi Fraji Ichebet Ema’ana

Lah Y Lana, Lah Y Lana, et Rebbi Fraji fera le shabbat avec nous

 

Zayled Erebi Mshat Oosebqet OuJat Fi Qalb Testour Ouberket La jument du Rabbin marchait et devançait. Elle est arrivée au cœur de Testour et s’est affalée

 

Lah Y Lana, Lah Y Lana, Metlet Emra El A’yana

Lah Y Lana, Lah Y Lana, comme une femme fatiguée.

 

* Rebbi Fraji

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Je me souviens
être allée à Testour avec mes parents et mes sœurs un jour de pèlerinage merci pour l'historique que je ne connaissait pas . Dans mon esprit c'etait pour tout le monde : je suis une catholique de Béja et c'est vrai "Beja
était une grande famille "

Ce serait super de filmer quelqu'un qui chante la chanson et de rajouter le film a votre histoire

Je trouve ce blog très agréable et surtout j'aime la simplicité des graphismes quelque soient les thèmes choisis.
Un grand bravo et merci pour le travail que tu partages

 

 

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