Share |

LE PESSAH DES DERNIERS JUIFS DE TUNISIE

La dernière boucherie cacher à Tunis (Photo Paul Rosenfeld)

 

 

 

 

 

 

 

 

LE PESSAH DES DERNIERS JUIFS DE TUNISIE

 

 

Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps

 

 

 

Deux juifs américains, Paul Rosenfeld et Noah Rayman sont partis à la recherche des juifs de Tunisie à l’occasion des fêtes de Pessah et ils ont rapporté un témoignage émouvant, surtout pour ceux qui ont connu l’âge d’or de ce pays. Ils ont côtoyé les derniers juifs qui s’accrochent encore à leurs racines, face à l’exode irrémédiable d’une communauté qui n’a plus d’avenir.

 

 

Pessah triste

 

Ils ont rencontré le rabbin Daniel Cohen qui, avec sa femme et ses dix enfants, a migré pour la fête de Pessah, de leur appartement de Tunis vers leur maison située en bord de mer à la Goulette, à une dizaine de kilomètres de la capitale. Daniel est l’homme à tout faire pour les affaires religieuses de la communauté qui ne compte plus que 300 à 400 âmes à Tunis. D’ordinaire il enseigne en semaine à 27 élèves de la seule école juive existante et il passe tous les week-ends à officier dans l’unique synagogue de la Goulette, ville qui comptait, à l’âge d’or, plus de 13 lieux de culte. Le Deauville de Tunis était longtemps resté le lieu de villégiature du week-end et des vacances lorsque la population prospère de Tunisie s’y installait dans ses villas. 

Synagogue Beith Mordechai à la Goulette avec le fils Cohen

 

 

Daniel a passé la semaine à superviser la production de produits alimentaires cachers, souvent importés, avant de rejoindre son hypothétique «miniane», le nombre minimum de dix juifs pour participer à l’office du Shabbat. Le Talmud de Jérusalem fait le lien entre le nombre de 10 personnes exigées pour le miniane et les 10 frères de Joseph lorsqu'ils descendent en Égypte lors de la famine dans le pays de Canaan. C'est pourquoi l'on prie en groupe, non seulement pour soi, mais pour le groupe avec la volonté de changer les choses.

 

Il est loin le temps où Daniel se déplaçait en kippa ornée d’un liséré en or, alors qu'à présent il la cache sous sa casquette de base-ball Nike.  Il ne craint pas pour sa vie mais il estime qu’il est inutile de faire de la provocation en ces temps islamistes. Il sait qu’il ne fait pas illusion. Il est vrai qu'il reste reconnaissable parmi la population arabe mais il avoue que «les tunisiens ne font plus de différence aujourd’hui entre les juifs et Israël». 

Cimetière profané au Kef

    
Il reste cependant mitigé sur le nouveau régime bien qu’il affirme que, depuis la révolution de 2011, le gouvernement islamiste tunisien s’est engagé à protéger la communauté juive qui a compté jusqu’à 110.000 juifs exilés en France et en Israël en trois vagues, l’indépendance de la Tunisie en 1956, la crise de Bizerte en 1961 et la Guerre de Six-Jours en 1967. Il estime qu’il ne voit aucun avenir dans cette communauté qui vient de subir encore la profanation de plusieurs cimetières juifs, suffisamment pour susciter l’inquiétude de ses derniers résidents irréductibles. En effet, le 4 février dans le cimetière du Kef, plusieurs tombes juives ont été profanées avec des sigles nazis.

 

 

Vestiges de la tradition juive

 

Plus d’un millier de juifs s’accrochent encore à leur terre natale, en majorité dans l’ile de Djerba. À Tunis la gestion de la communauté s’effectue dans une ancienne école juive qui pour l’occasion permet aux juifs pratiquants de trouver les principaux produits cachers comme le vin, les épices et les matsot.     

Brigitte Hayoun (Photo Paul Rosenfeld)


Brigitte Hayoun, installée dans l’auditorium de l’ancienne école,  présente les quelques produits indispensables à la confection des mets cachers de Pessah : «c’est peu de choses mais il y a le minimum. A Paris on considèrerait cela comme négligeable». Son fils vient d’arriver de Paris pour les vacances et elle veut jouir de cet instant éphémère de bonheur : «Pour l'instant, nous sommes ici. Demain, nous ne savons pas.»

 

Des centaines de boucheries cachères, épiceries et restaurant de l’époque, il ne reste plus que deux vestiges qui vivotent difficilement. L’usine de matsot de la rue Arago n’existe plus. Le rabbin Daniel a dû se démener pour obtenir la supervision d’une fabrication spéciale de vin car les caves juives Bokobsa ont définitivement fermé en Tunisie. 
La communauté juive s’étiole et avec elle la jeunesse. Moshé Uzan, un jeune de 24 ans, explique qu’il est le seul de ses camarades de classe primaire à être resté, «les autres sont partis en France ou à l’étranger» ; pour lui l’étranger est un euphémisme car il se refuse à prononcer Israël dans cette terre d’islam. Il est un cas spécial car il a passé ses dix dernières années à étudier à Paris, en Israël et à New-York pour décider malgré tout de retourner à Tunis. Il vient d’y ouvrir une société immobilière chargée des biens des expatriés : «J’ai un contrat moral avec mes parents. Je peux aller à l’étranger mais je dois revenir pour les vacances et les fêtes. Je n’ai jamais raté Pessah ».

 

 

Pas de politique

 

Roger Bismuth et les dirigeants d'Ennahda

 

Roger Bismuth, président de la communauté juive de Tunisie refuse de s’adresser aux médias étrangers sur les problèmes des juifs tunisiens : «Je ne suis pas une minorité dans mon pays. Je suis un tunisien. Je suis le président de la communauté juive, mais je refuse de parler des juifs et des juifs face aux problèmes du pays.».

Le grand rabbin Bittan avec le président Marzouki

 

Haïm Bittan, Grand Rabbin de Tunisie préfère lui aussi qu’on ne parle pas trop de sa communauté. La mise à la lumière de ses ouailles peut leur causer du tort à l’heure où les islamistes régentent tout. Il a d’ailleurs refusé le projet de loi qui devait accorder des sièges au Parlement, réservés à des représentants de la communauté juive en Tunisie : «la communauté juive en Tunisie compte 1.700 membres sur une population globale de 11 millions, un chiffre qui ne permet pas logiquement de postuler à un siège au Parlement».

 

Les juifs de Tunisie sont comme toutes les minorités infimes dans les pays arabes. Ils s’accrochent désespérément à leur terre natale malgré une vie dominée par les islamistes, soit pour des raisons bassement matérielles, soit par conviction. Ils attendent sereinement le jour où ils seront contraints de la quitter sous la pression politique ou sous la pression des antisémites qui voient dans tout juif un israélien déguisé.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

The Last Jews of Tunisia

by 

 

On the eve of Passover, a small community reflects on a modern exodus.

 

Daniel Cohen packs the taxi trunk with a jug of canola oil, a week’s worth of clothes, and a pair of dress shoes. His wife and 10 kids have already made the 30-minute trip from their apartment in Tunis to their 3-bedroom home in the waterfront suburb of La Goulette, where Cohen and his family will spend the Passover holiday that starts on Monday.

130324-Vanishing-Jews-Tunisia-tease

A butcher takes a break from work to smoke “shisha,” the Tunisian word for “water pipe,” outside one of the two remaining kosher meat sellers in Tunis. The word “kosher” is written on the shop in both Hebrew and Arabic. (Paul Rosenfeld)

Cohen is something of an all-purpose religious leader in the dwindling community of 300 Jews here in Tunisia’s capital. During the week, he’s a teacher at the region’s only Jewish school (enrollment: 27) in downtown Tunis, and on the weekend he’s the unofficial rabbi at the only synagogue in La Goulette, a town once known for its thriving Jewish population that filled 13 synagogues.

Having spent the week overseeing production of the Tunis’s kosher-for-Passover food, Cohen is returning Friday afternoon to lead his congregation, all 10 who show up, in Sabbath services.

He strikes up conversation with the cab driver, the gold trim of his yarmulke, the Jewish head covering, slightly exposed from under the back of his Nike baseball cap.

Later, in French, he explains that he prefers to keep his yarmulke hidden.

“Tunisians don’t understand Jews,” he says. “All they know is Israel.”

Rabbi Daniel Cohen speaks about Passover in Tunisia.

Following the 2011 revolution, the moderate Islamist-led Tunisian government pledged to protect its dwindling Jewish community, which once numbered more than 100,000. But the recent desecration of several Jewish cemeteries is only the latest incident to spark concern over the long-term viability of this storied Jewish community.

The first mass exodus began in 1956, with Tunisia’s independence from France coinciding with a surge in Arab nationalism. Over the next 10 years, following the Bizerte crisis (1961) with France and the Six-Day War (1967), tens of thousands fled the country amid anti-Jewish riots.

Today Tunisia is home to about 1,000 Jews, most of whom reside in the isolated community on the southern coastal island of Djerba.

In Tunis, the privately run Jewish Community in Tunisia, housed in a former Jewish school downtown, has become the lifeline for observant Jews preparing for the Passover holiday, selling kosher-for-Passover Tunisian wine, spices, and baked goods (with an almond or potato base), as well as imported matzo.

“Look, we don’t have much,” says Brigitte Hayoun, who staffs a table in the former school’s auditorium strewn with eight types of Tunisian-grown spices specially ground according to Passover requirements. “There’s just the minimum. If we were in Paris, there would be the little things.”

130324-Vanishing-Jews-Tunisia-embed

Rabbi Daniel Cohen’s son Carmiel stands outside the Beit Mordechai Synagogue in La Goulette before Friday-night services. Rabbi Cohen serves as a schoolteacher and rabbi for the remaining 300 Jews in Tunisia’s capital city and its suburbs. (Paul Rosenfeld)

“Tunisians don’t understand Jews,” he says. “All they know is Israel.”

Two kosher butcher shops are the only vestiges of the kosher markets, grocers, restaurants, and even a matzo factory that once served the community’s dietary restrictions.

Last year the city’s only remaining kosher winery closed up shop as its owner went into retirement. Scrambling to find a replacement in time to put in an order for the coming holiday, Cohen found a producer who agreed to allow him to oversee production of a kosher batch for Passover.

But the challenges facing the future of a Tunisian Jewish community are most apparent among the younger generation—or lack thereof. Among his eight primary school classmates, 24-year-old Moshe Uzan says that only one other remains in Tunisia. The rest left for France or “abroad,” he says, a Tunisian Jewry code word to avoid association with Israel.

Uzan spent the previous 10 years studying in Paris, Israel, and New York City, returning to Tunis this winter to start a real estate business focused on managing expat Tunisians’ property.

“The contract with my parents is like this: I can go abroad, but I have to come back for holidays,” he says. “Sukkoth, I missed it twice. Passover, I never missed it.”

For the older generation, the community here is inextricably linked to Tunisian society and its postrevolution ailments, including an unemployment rate above 16 percent.

130324-Vanishing-Jews-Tunisia-embed-02

Brigitte Hayoun sells kosher-for-Passover Tunisian spices and wine from the auditorium of one of the former Jewish day schools, which now serves as the office for the Jewish Community in Tunisia. (Paul Rosenfeld)

Roger Bismuth, the president of the Jewish Community of Tunisia, has a self-imposed rule against talking to foreign journalists about Tunisian Jews.

“I am not a minority in my country. I am a Tunisian,” Bismuth says. “I am president of the Jewish community, but I refuse to talk about the Jews. The Jews face the problems of the country.”

Hayoun, selling kosher goods for Passover at the Jewish Community offices, says she has no plans to leave Tunisia.

“For now, we’re here,” says Hayoun, whose son returned from Paris for the holiday. “Tomorrow, we don’t know.”

Options d'affichage des commentaires

Sélectionnez la méthode d'affichage des commentaires que vous préférez, puis cliquez sur « Enregistrer les paramètres » pour activer vos changements.

Je suis un tunisien d'origine musulman, ça me rend triste, et très triste de savoir ce que ces tunisiens juifs ont enduré, dans le passé et maintenant.
Après la révolution, j'ai eu l’occasion de rencontrer des tunisiens juifs, ils m'ont fait découvrir plein de choses que je ne connaissais pas avant ; et ce qui m'ont expliqué m'a rendu plus compréhensible sur la question de l'existence d'Israël. Je doit avouer que votre site Harrisa.com m’a informer sur le judaïsme en Tunisie.
Vive les Tunes

j ai du quitter la tunisie en 1960 suite à l expropriation AU VOL OUI AU VOL de tous nos biens par bourguiba et ses sbires pour l unique raison que nous etions français donc colonialistes....et depuis je suis retourné qu une seule fois la tunisie est mon pays natal et les arabes nous ont tout pris et nous ont renvoyé de chez nous point barre...

J ai quitté la tunisie avec mes parents a l age de 12 ans , pour la france , je n ai jamais oublié mon quartier ,ni mes Amis , Amis que je n ai jamais retrouver . A ma retraite , je suis revenu en tunisie , j y ai vecu plus de 6 ans , aujourd hui pour la deuzieme fois j ai du quitté MON pays , le climat a changer , et y vivre serai de la folie . Je comprend ceux qui s accrochent encore a ce pays , je ressent ce qu ils ont au fond du coeur . Une infinie tristesse , et cette tristesse qui ai aussi au fond de moi , ne me quittera jamais .

Publier un nouveau commentaire

CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage.
15 + 3 =
Résolvez cette équation mathématique simple et entrez le résultat. Ex.: pour 1+3, entrez 4.

Contenu Correspondant