LE ROTISSEUR JUIF DE LA RUE DES TANNEURS
Lucien Delmas, cousin de Sacha Guitry, a décrit avec de fortes couleurs des scènes de la vie tunisienne, peinture vivante de personnages intégrés au paysage de la Régence. Nous donnons ici deux extraits de l'un de ses ouvrages, Au soleil du Beylik.
Le rôtisseur juif se signale au loin par une odeur particulière, émanant de la graisse brûlant sur les charbons rouges.
Sur un fourneau installé dans l'embrasure de la porte, grillent des saucisses de mouton, du foie et autres abats dont la population tunisienne fait ses délices. Des colliers de saucisses accrochés aux murs décorent l'entrée de la taverne fumeuse, ponctuée ça et là d'un foie visqueux suspendu à un clou ou d'un coeur sanguinolent qui rappelle ces images saintes de première communion où l'on voit le Sacré-Coeur entouré d'épines et percé d'une flèche.
Des tables de marbre blanc ébréché et des chaises de paille meublent cet endroit où abondent la fumée du charbon et la graisse des viandes suintant de toutes parts. Le sol est jonché d'épluchures de fèves cuites qu'il est de rigueur de jeter à terre car on ne sert jamais qu'une seule assiette pour un même groupe de clients et. L’unique verte d'eau qui passe de main en main souligne ce que ces, agapes ont de fraternel La sauce rouge du piment qui recouvre obligatoirement les plats servis fait paraître légère l'eau-de-vie de figues que les habitués commandent par bouteilles et vident à grands verres, d'un trait. Le fabricant d'alcool, pratique, et qui connaît le faible des Tunisiens pour cette boisson, la vend dans des bouteilles carrées. Cette forme permet de les poser à plat sur la table. Dès lors, les conversations que des gestes nombreux accompagnent, peuvent se poursuivre sans dégâts.
Lucien DELMAS
Au soleil du Beylik, Tunis, 1932.
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