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Le Tunisien sauveur de Juifs à Mahdia en 1943

 

Le Tunisien sauveur de Juifs à Mahdia en 1943

 

 

 

 

 

Khaled Abdul-Wahab a caché deux familles juives dans sa ferme à Mahdia pendant quatre mois en 1943, sous occupation nazie. Eva Weisel, l’une des filles qu’il a sauvées, s’en souvient dans le ‘‘New York Times’’.

Par Eva Weisel*

 

En décembre 1942, j’avais 13 ans, les troupes allemandes occupaient ma ville natale. En quelques jours, notre maison a été réquisitionnée comme mess d’officiers. J’ai rapidement eu une étoile jaune sur ma robe, pour me démarquer de beaucoup de mes amis d’enfance. Les hommes de notre famille ont été contraints au travail forcé. Ma vie heureuse était finie.

Heureusement, un notable local eut vent de nos difficultés et nous a généreusement offert sa protection. Une nuit, il a transporté femmes, enfants et vieillards de notre famille dans une ferme qu’il possédait à environ 20 miles à l’extérieur de la ville. Là, a-t-il dit, nous serions en sécurité. Bien que les écuries, qu’il nous a fournies pour le logement, fussent modestes, avec juste un drap en guise de porte pour nous protéger des éléments, nous avons été soulagés d’être protégés derrière les hautes murailles de sa propriété. Nous avons été profondément reconnaissants.

«Nous savons que vous êtes juifs et nous venons vous chercher !»

Le hasard faisant mal les choses, une unité allemande était arrivée dans la région peu de temps après qu’il nous eut garanti une cachette. Notre hôte nous dit alors de nous débarrasser de nos étoiles jaunes, de rester à l’intérieur des murs de la ferme et de nous tenir loin de la maison principale. Il avait sa propre stratégie pour traiter avec les Allemands. Bon vivant et grand voyageur, il invitait les officiers allemands pour des soirées où la nourriture et les boissons étaient servies à gogo.

Alors que près de deux douzaines d’entre nous avaient été cachés dans une partie de la ferme, il nous protégeait des regards indiscrets des Allemands en les divertissant de l’autre côté de la ferme.

La stratégie de notre hôte a bien fonctionné, jusqu’à la nuit où deux officiers allemands furent égarés par l’ivresse loin de la maison principale.

Ils étaient à l’extérieur des écuries et frappaient à la porte de la cour et en criant : «Nous savons que vous êtes juifs et nous venons vous chercher !»

Ma grand-mère s’est mise à crier : «Cachez les filles ! Cachez les filles !». Je me souviens m’être glissée sous le lit, tremblant et sanglotant, cachée sous une couverture.

A ce moment là, alors que nous étions aux prises avec une peur indicible, le cœur battant et pleurant à chaudes larmes, un ange gardien vint à notre secours. Sorti de nulle part, notre hôte apparut. Un homme fort et puissant qui dégageait l’autorité et imposait le respect. Il mit fin au chahut des Allemands et réussit à les éloigner.

Le lendemain, notre hôte est venu aux écuries. Nous nous sommes précipités pour lui exprimer nos remerciements, mais il était plus désireux de s’excuser auprès de nous. Il s’est dit désolé que nous ayons eu à faire face à l’épreuve terrifiante des menaces des Allemands. Nous lui avons dit qu’il était intervenu à temps pour prévenir une tragédie horrible. Il a alors promis que cela ne se reproduirait plus. Nous n’avons jamais su comment il a pu tenir sa promesse – peut-être qu’il a soudoyé les Allemands –. En tout cas, nous passâmes le reste de l’occupation allemande à la ferme de notre hôte, sans incident.

Pendant les horreurs de l’Holocauste, les non-juifs ont sauvé des milliers de Juifs de la mort et la dépravation de la part des Allemands et leurs alliés. Yad Vashem, le Mémorial de l’Holocauste, a reconnu plus de 23.000 de ces braves hommes et femmes considérés comme des «Justes parmi les Nations». Le sauveur de notre famille mérite d’être parmi ce nombre. Et, dans son cas, l’impact de la reconnaissance aurait des échos puissants. Il porterait un coup au négationnisme dans une partie du monde où un tel déni est encore très répandu. En fait, ma ville natale est Mahdia, sur la rive orientale de la Tunisie, et notre sauveur, Khaled Abdul Wahab, était un Arabe musulman. Il est décédé en 1997.

Des Israéliens refusent la reconnaissance du mérite d’Abdel Wahab

Jusqu’ici, cependant, on a refusé à Abdul Wahab la reconnaissance qu’il mérite. Il y a près de cinq ans, en janvier 2007, le Département des Justes à Yad Vashem a proposé sa nomination au titre du «Juste», le premier Arabe à qui devait être formellement reconnu cet honneur. Cette nomination s’est basée sur les témoignages de ma sœur, Anny Boukris.

En mars de la même année, cependant, le fonctionnaire de la Commission pour la désignation des Justes, un organe présidé par un juge israélien à la retraite et créé par la loi israélienne avec la mission de décider qui mérite d’être reconnu comme un «Juste», a voté le rejet de la candidature.

Cette décision a été gardée secrète pendant deux ans.

En 2010, ce même juriste, le juge Jacob Tuerkel, a envoyé le fichier Abdul Wahab à la Commission pour un second examen. Cette fois, le dossier a été renforcé par deux témoignages tout frais – une interview vidéo de mon cousin Edmée Masliah, qui était avec moi à la ferme et vit désormais en banlieue parisienne, et une lettre notariée que j’ai écrite et où je raconte ma propre expérience.

Yad Vashem a maintenant trois récits de première main de l’histoire. Mais, à ma grande consternation, la Commission pour la désignation des Justes a de nouveau voté le rejet de la candidature. Abdul Wahab était un homme noble, m’a-t-on dit à Yad Vashem, mais ses actions n’ont pas atteint le niveau requis pour mériter le statut du «Juste», car il n’a pas «risqué sa vie» pour sauver des vies juives.

Bien que cela puisse être le libellé de la loi, on me fait dire par les experts qu’Abdul Wahab ne serait pas le premier sauveteur de Juifs à ne pas avoir subi un préjudice physique, et encore moins un danger mortel. Beaucoup en France, qui ont gagné cette reconnaissance, ont été honorés parce qu’ils ont agi pour sauver des Juifs sans savoir avec certitude quel sort les attendait s’ils étaient capturés. En outre, certains diplomates célèbres honorés comme «Justes» n’ont jamais été arrêtés, blessés ou menacés de mort pour avoir aidé des Juifs.

Je refuse de croire que Yad Vashem a une norme pour les «Justes» en Europe et une autre pour «Justes» qui ont accompli leur devoir sacré de l’autre côté de la Méditerranée, dans un pays arabe.

Soixante-neuf ans après avoir porté une étoile jaune sur ma poitrine dans mon pays natal, je sais que j’ai été capable de profiter d’une longue vie pleine, car Abdul Wahab a fait face au mal et m’a sauvée, comme il a sauvé les autres membres de ma famille. J’espère que Yad Vashem reconsidèrera son cas, car bientôt il n’y aura plus personne pour raconter son histoire.

* Eva Weisel vit à Los Angeles. Ancienne banquière à la retraite.

Traduit de l’américain par Imed Bahri

Titre original de l'article : ‘‘Honoring All Who Saved Jews’’ (Honorer tous ceux qui ont sauvé les Juifs).

Source : ‘‘New York Times’’ (28 décembre 2011).

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Mon père aussi a sauvé des juifs et il n'est pas le seul tunisien musulman à l'avoir fait...!

Moncef ben Abbes

L’important, c’est ces vies qui ont été sauvées. par un autre être humain. Le reste….

la Tunisie était sous protectorat français donc sous le collaborationniste Pétain et n'a de ce fait pas connu une occupation ferme allemande sauf en 1943 où les troupes de l'afrika korps, chassées de Libye, se sont embarquées vers l'Italie via la Tunisie....Les juifs sauvés par cet arabe tunisien ont-ils eu honte de dire que c'est la France de Pétain (le héros de Verdun), le régime collabo de Vichy qui leur a fait porter l'étoile de David et de ce fait livrer aux allemands!!!!
N

Cela me navre énormément d'entendre cette histoire relayée un peu partout;car je ne vois pas ou est l'exploit,même si ce geste est courageux.Tout tunisien se doit par devoir porter un assistance à tout autre tunisien(ne)!J'ai déjà réagi sur ce même sujet il y a deux ou trois semaine.

james-tk

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