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Lettre ouverte à Jacques Rogge: le CIO doit s'excuser !

 

Lettre ouverte à Jacques Rogge: le CIO doit s'excuser !

 

 

Daniel Salvatore Schiffer - Philosophe

 

 

Les Jeux Olympiques de Londres 2012 sont donc finis. Mais, inoubliables par bien des aspects, ils resteront encore longtemps gravés dans les mémoires : ils furent, sans aucun doute, parmi les meilleures olympiades de l’Histoire.

Ils ont offert, à travers les nombreux athlètes qui y ont participé, de grands exploits sportifs, avec de nombreux records du monde battus et l’apparition de deux authentiques légendes, devenues même, pour certains, de véritables icônes : Michael Phelps et Usain Bolt. Chapeau, les artistes !

Ces mémorables et historiques JO se sont achevés, en outre, par une grandiose cérémonie de clôture (peut-être plus riche encore - ce qui n’est pas peu dire - que celle d’ouverture) : un gigantesque concert de « pop music », une pléiade de « rock stars », une débauche de sons et de lumières, un somptueux mélange de couleurs, un fabuleux cocktail d’énergie et d’excentricité, un merveilleux esprit de fête bariolée. Et puis, clou de cette soirée magique, l’immanquable mais toujours fascinant feu d’artifices. Bref : une réussite totale, devant laquelle il n’est que juste de s’incliner, pour cette splendide et importante ville qu’est Londres !

Nul ne conteste donc, en cette lettre que je vous adresse ici, Monsieur Jacques Rogge, ni la qualité de ces Jeux, ni le mérite de ces athlètes, ni la grandeur du sport. Au contraire : la Charte Olympique, dont le Comité International Olympique est censé être le garant, porte en elle les plus nobles des valeurs morales : fraternité entre les peuples, égalité des races et des sexes, amitié entre les ennemis d’hier, éloge de la paix.

Et, certes, ces principes, que nous voudrions tous universels, sont-ils magnifiques. Mais, le temps de ce spectaculaire étourdissement étant maintenant terminé, avec cette extinction de la flamme olympique dans le ciel de Londres, ce sont les éclairs de la lucidité, et avec eux les lumières de la raison, qu’il convient à présent de retrouver.

Car ces valeurs morales et ces principes universels, c’est cette instance suprême de l’Olympisme qu’est, précisément, ce Comité International Olympique (CIO) que vous présidez aujourd’hui, Monsieur Rogge, qui ne cessa, au cours de son histoire, de les trahir, pour n’en faire, trop souvent, que d’obscurs alibis, souvent purement théoriques, destinés à mieux dissimuler ses propres et graves dérives idéologiques.

La plus condamnable de celles-ci est son honteuse compromission, sur le plan politique, avec le fascisme triomphant puis le nazisme naissant, le tout assorti d’une non moins détestable dose d’antisémitisme. Cette longue et impardonnable série de compromissions avec les pires régimes dictatoriaux eut lieu lors des Jeux Olympiques d’hiver de 1936, qui se tinrent, du 6 au 16 février, dans la petite ville allemande de Garmisch-Partenkirchen.

Cette année-là, ces Jeux, ardemment désirés par Hitler, arrivé au pouvoir trois ans auparavant (1933), furent organisés, afin de lui servir de vitrine tout autant que de tribune, par Joseph Goebbels, Ministre de la Propagande du Troisième Reich. C’est un de vos compatriotes, le belge Henri de Baillet-Latour, antisémite notoire, qui était alors le président, depuis 1925, du Comité International Olympique.

Je ne reviendrai pas ici sur les indignes propos tenus alors, à l’encontre des Juifs, par Henri de Baillet-Latour. Un célèbre cliché photographique le montre par ailleurs entouré, lors de la cérémonie d’ouverture de ces Jeux d’hiver de 1936, d’Adolf Hitler et de Rudolf Hess, son dauphin.

Lorsque Baillet-Latour mourut, en 1942, en pleine guerre, Hitler lui fit envoyer, portées par une garde d’honneur composée de soldats allemands, plusieurs couronnes de fleurs, dont une en son nom personnel et une aux couleurs du Troisième Reich, le tout assorti de rubans à croix gammées.

Berlin : les Jeux de la honte

Et puis il y eut Berlin 1936, du 1er au 16 août : les Jeux de la honte ! C’est à leur occasion que le Comité International Olympique atteignit un rare sommet d’iniquité. Son président d’honneur à vie, Pierre de Coubertin, qui admirait « intensément » (je le cite) Hitler, fut plus dithyrambique encore à leur égard : « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. (…). Cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’elles (les olympiades) ont connu ! »

Quoi d’étonnant, face à semblable enthousiasme et devant pareille publicité, si Hitler, qui n’en demandait pas tant pour vanter son régime aux yeux du monde, le proposa, pour le remercier, comme lauréat du prix Nobel de la paix : ce que à quoi l’Académie d’Oslo se refusa, à juste raison, d’acquiescer ! Il existe aussi, à ce sujet, une photo, tout aussi compromettante, de la cérémonie d’ouverture des JO de Berlin en 1936, où l’on voit Adolf Hitler, arborant la croix gammée, saluer le drapeau olympique.

Certes, arguerez-vous, Baillet-Latour n’était-il jamais qu’un homme de son temps, ni plus ni moins coupable qu’un autre face aux abdications de l’Europe par rapport à l’avènement du nazisme. De même, insisterez-vous, Coubertin n’était-il jamais, en France, qu’un homme de la Troisième République : celle-là même qui, engluée dans l’antisémitisme ambiant, condamna fallacieusement le capitaine Dreyfus.

Peut-être ! A cette différence près, toutefois, qu’il y eut néanmoins, à l’époque, des consciences suffisamment vigilantes et éclairées, dotées de lucidité intellectuelle tout autant que de courage moral, pour dénoncer cet esprit de Munich, capable des pires capitulations, avant la lettre. Au sein de ces hommes exemplaires émergea alors Georges Clemenceau, qui publia notamment, dans son journal L’Aurore, le « J’accuse » d’Emile Zola, mais que, face à son opposition vis-à-vis de l’hitlérisme de Coubertin, personne n’écouta cependant.

La suite de ces sombres événements lui donna, hélas, tragiquement raison lors de la Seconde Guerre mondiale : 50 millions de morts en Europe - le pire carnage de l’histoire de l’humanité - et 6 millions de juifs exterminés lors de l’Holocauste !

Un antisémite et un franquiste à la tête du CIO

Et puis, continuerez-vous, l’hitlérisme n’étant pas encore, à l’époque, le nazisme, personne, donc, ne pouvait prévoir le désastre à venir. Faux, dans la mesure où cette fatidique année-là, 1936, fut précisément celle durant laquelle Hitler mit stratégiquement en place, avec la nomination de ses plus fidèles lieutenants aux postes clés et leviers de pouvoir, tout le système idéologique du Troisième Reich. A cela s’ajouta, le 1er novembre 1936, la proclamation, par Hitler et Mussolini, de l’axe « Rome-Berlin ».

Ainsi est-ce en 1936 que les premières persécutions antisémites apparaîtront, en Allemagne, au grand jour : pas moins de 114 lois antijuives y seront édictées pendant le seule période s’étalant entre les Jeux Olympiques d’hiver, à Garmisch-Partenkirchen, et ceux d’été, à Berlin, tandis que tous les athlètes juifs de l’équipe nationale allemande, et certains de tout premier plan, en seront exclus.
Davantage, le 16 juillet 1936, deux semaines avant l’ouverture de ces JO d’été, 800 Tziganes et Rom résidant à Berlin furent arrêtés arbitrairement, lors d’une rafle orchestrée par la police allemande, puis internés tout aussi abusivement, sous la garde des SS de Himmler, dans un camp - ce fut là le premier camp de concentration de l’histoire nazie - alors spécialement aménagé à cet effet : celui de Marzahn, quartier situé dans l’est de Berlin. La plupart de ces prisonniers-là, dont beaucoup y furent exécutés sommairement, n’en sortiront jamais plus !

Sur ce premier crime de guerre commis par le Troisième Reich, en plein Jeux olympiques, ni le président du CIO, Henri de Baillet-Latour, ni son président d’honneur, Pierre de Coubertin ne pipèrent jamais mot, le couvrant ainsi honteusement, du haut de leur prestige international, d’un très complice, et d’autant plus coupable, silence. Ce fut là une forme, particulièrement abjecte, de collaboration !

Pis : le président du Comité National Olympique Américain d’alors, Avery Brundage, antisémite chevronné, nazi convaincu et membre actif de deux associations ultra racistes Outre-Atlantique, relativement secrètes et toutes deux proches du tristement célèbre Ku Klux Klan, convainquit les Etats-Unis d’Amérique, sous prétexte que « les Juifs étaient bien traités par le Reich », de ne pas boycotter ces Jeux de Berlin.

C’est pour ces services rendus à la cause olympique que ce très zélé disciple d’Hitler, et que Göring recevait régulièrement en grande pompe, fut nommé, en 1952, président du CIO, puis, en 1972, « président d’honneur à vie » lui aussi !

Et puis, comble de l’infamie, il y eut cette funeste mais décisive date du 18 novembre de cette même année 1936, à peine trois mois après la clôture de ces Jeux de Berlin. C’est ce jour-là, en effet, qu’eut lieu le départ des aviateurs allemands de la légion Condor, unité de la « Luftwaffe » alors placée sous les ordres de Göring, pour aller combattre en Espagne, contre les républicains, aux côtés des fascistes de Franco, au premier rang desquels émergeait alors, franquiste parmi les franquistes, un certain Juan Antonio Samaranch, qui militait déjà, en ce temps-là, dans les rangs des pro-hitlériennes Phalange Espagnole Traditionnaliste (FET) et autres Juntes Offensives National-Syndicalistes (JONS), mais qui, après avoir été nommé par Franco lui-même, en 1967, Secrétaire des Sports dans le Gouvernement Espagnol (lequel favorisa de grands criminels nazis), deviendra surtout lui aussi, de 1980 à 2001, l’inamovible président du CIO.

On est effectivement à l’opposé, là, de l’idéal olympique, comme de tout humanisme correctement entendu !

Devoir de mémoire

Certes n’êtes-vous pas, Monsieur Rogge, responsable de ces nombreux et terribles méfaits, mais le problème majeur, incontestable pour tout être doté de bonne foi, c’est que ce CIO que vous présidez aujourd’hui n’a jamais fait sur tous ces points hautement répréhensibles, et qui sont pénalement sanctionnés par la législation de nos démocraties européennes, son « mea culpa », ni même amende honorable. Il n’a jamais rien renié de son sombre passé, ni n’en a jamais reconnu ses terribles responsabilités. Au contraire : préférant pratiquant la politique de l’autruche, il ne cesse, encore aujourd’hui, d’exalter, sans vergogne et avec un rare aplomb, son histoire. A croire que le CIO s’avère dénué, en la matière, de toute conscience !

Ces comportements, à la limite du négationnisme historique, sont, permettez-moi de vous le dire, indignes de ces valeurs de l’olympisme que vous dites défendre : ils en sont même, à l’inverse, le dévoiement le plus manifeste tant sur les plans éthique que philosophique.

A ces déplorables et très répréhensibles attitudes s’ajoute ce triste et récent fait, injustifiable à tous égards, que vous ayez refusé d’accorder une minute de silence, lors de la cérémonie d’ouverture de cette trentième olympiade de Londres, en mémoire des onze athlètes israéliens assassinés il y a quarante ans (le 5 septembre 1972), par des terroristes palestiniens, lors des Jeux Olympiques de Munich.

Demande solennelle d'excuses publiques de la part du CIO

C’est donc pour toutes ces raisons, au nom même du devoir de mémoire et par respect des victimes de la Shoah, que je vous demande solennellement, Monsieur le Président, de reconnaître enfin officiellement ces fautes, comme vient de la faire le Président de la République Française au nom de la France, et de présenter ainsi, vous aussi, des excuses formelles, au nom du Comité International Olympique, à la communauté juive de par le monde et, plus généralement, à tous ceux qui furent les victimes, fût-ce indirectement, de sa navrante complicité, non seulement avec la barbarie nazie, mais aussi, au cours de l’Histoire, avec les pires totalitarismes idéologiques, dictatures politiques et régimes militaires.

Car à ce très peu glorieux titre émergent également les Jeux Olympiques de Moscou en 1980, en pleine terreur soviéto-communiste, et ceux de Pékin en 2008, alors que de nombreux dissidents y étaient emprisonnés pour « délit d’opinion » : leur seule liberté, en fait, de pensée comme de parole.

Le CIO, par ce geste hautement courageux et significatif, s’en trouverait ainsi, j’en suis convaincu, grandi, en plus de retrouver une crédibilité morale largement entamée, depuis longtemps, par ces trop nombreux scandales !

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