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L'histoire juive peu connue de la Tunisie

L'histoire juive peu connue de la Tunisie

 

 

 

Au cours du mois de Décembre, a eu lieu en Tunisie – pour la première fois en terre arabe – un colloque sur l'occupation nazie en Tunisie. Un évènement dans l'histoire de la Tunisie, qui nous interpelle alors que Yad Vachem organise, à mon initiative et au meme moment, depuis plusieurs années la commémoration de la rafle des Juifs de Tunis le 9 Décembre 1942. La Tunisie qui fut le premier à faire "son printemps arabe, traverse une crise politique sans précédent et cet évènement prend une dimension particulière porteuse d'espoir.

L'histoire des Juifs de Tunisie reste encore relativement mal connue du grand public, et plus encore cet épisode douloureux de la présence nazie en Tunisie du 14 Novembre 1942 au 7 Mai 1943, et pour réparer cette quasi ignorance, on ne peut que remercier Yad Vachem de commémorer le 9 Décembre 1942, depuis plusieurs années.

La Tunisie, à l'époque du protectorat francais est le seul pays d'Afrique du Nord à avoir connu l'Occupation allemande. Les lois de Vichy étaient en vigueur depuis Juin 1940, mais c'est en Novembre 1942 que les troupes allemandes font leur arrivée brutale en Tunisie, quelques semaines après le débarquement (8 Novembre 1942) des forces Alliées à Alger. Albert Memmi écrira "l'histoire du monde rattrape violemment les Juifs de Tunisie". A partir de ce moment, va se répéter la même histoire que dans les pays européens – port de l'étoile jaune dans toutes les villes de l'intérieur, rationnement, réquisition des biens juifs, spoliation, numerus clausus, amendes de 20 millions de francs à Tunis et de 50 kgs d'or à Djerba, et ce, sans oublier toutes les autres villes de province qui seront frappées du même sort. A cela, il faut ajouter les bombardements intensifs des Forces Alliées et des Allemands.

Le jour de la première rafle, le 9 Décembre 1942, plus de 2000 hommes (de 18 à 45 ans) ont été arrêtés, dans tous les lieux de la capitale, jusqu'y compris dans les synagogues, et menés dans les locaux de l'Ecole de l'Alliance Israélite, et de là envoyés dans les 32 camps de travail dispersés dans toute la régence. En six mois d'occupation, sur une population juive de 75.000 personnes, 4000 d'entre eux seront envoyés dans ces camps.

Il faut rappeler que les Allemands, pour diriger les opérations, avaient envoyé en Tunisie le colonel Walter Rauff, de sinistre mémoire, puisqu'il avait été le concepteur des chambres à gaz 'mobiles' provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes en Ukraine, en Biélorussie et en Yougoslavie. La présence de Rauff en Tunisie laissait entrevoir un début de "solution finale".

La défaite des forces de l'Axe à El Alamein en Egypte, l'enlisement des Allemands à Stalingrad, la distance géographique entre la Tunisie et l'Allemagne, toutes ces circonstances historiques expliquent que les Juifs Tunisiens n'ont pas eu le même sort que les Juifs de Salonique. Car, "finalement Varsovie, Salonique, Tunis sont un même destin; il n'y a pas à faire de différence entre Ashkénazes et Sépharades, tous les Juifs sont des survivants."

Je voudrais aussi rappeler l'attitude de Moncef Bey, le souverain de l'époque, qui eut envers ses sujets Juifs une attitude extrêmement bienveillante; certains historiens affirment même qu'il est responsable du fait que les Juifs ne portèrent pas l'étoile jaune dans la capitale Tunis. Une partie de son entourage était des Juifs – son médecin, son tailleur entre autres – et il se comporta à leur égard de manière très noble. Fasse que ces signes-là mènent Yad Vachem à trouver une voie pour faire de Moncef Bey "un Juste des Nations"!

La mémoire juive est également présente dans la ville de Nabeul où Isaac Mamou, - lequel avait été délégué au Congrès Sioniste de 1920 - a terminé la traduction en judéo-arabe du livre de Mapou, (père de la littérature juive moderne), Ha ait hatsavoua, et il ajouta une préface sur la libération de Nabeul par les Alliés. Ce "Juif d'Israël en exil" comme il aimait à se définir, était le responsable des activités sionistes du nord de la Tunisie.

Ils étaient plus de 500, de Kiriat Shmona à Beer Sheva, en passant par Ashdod, Tel Aviv et Natanya, à venir cette année dans l'auditorium à Yad Vachem, pour écouter les allocutions sur ce sujet qui les concernaient à plus d'un titre. La seconde partie de cette journée du souvenir fut la cérémonie dans la crypte de Yad Vachem, où la prière des morts et le Kaddich furent chantés selon le rite tunisien, précédée de la lecture des morts déportés de Tunisie. Je conclurai par ces mots - la mémoire des Juifs de Tunisie est une responsabilité pour tous les Juifs.

Trois ans après le printemps arabe, la Tunisie est en pleine crise. En fait, malgré les efforts de son gouvernement, la Tunisie n'a toujours pas de constitution. Il est vrai que pendant ce temps la société civile a mené des luttes courageuses contre le gouvernement et peut-être ces efforts mèneront à un changement. Peut-être, aussi, que c'est dans ce contexte que le premier colloque sur le sol arabe concernant les Juifs et l'occupation nazie de la Tunisie a eu lieu. Les développements dans ce pays occidentalisé peuvent être les signes avant-coureurs du changement aussi important que la révolution de Jasmin de 2010.

Garder la mémoire des Juifs de Tunisie est une responsabilité qui doit être partagée par tous les Juifs.

Claude Sitbon, sociologue et spécialiste du judaïsme tunisien.

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