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Lorsque l'on zappe les attentats perpétrés au Pakistan et en Tunisie par Marc Knobel

 

 

Lorsque l'on zappe les attentats perpétrés au Pakistan et en Tunisie

par 

Historien, directeur des Etudes au CRIF

 

 

Au journal télévisé ou à la radio, quel temps d'antenne et de reportage accorderait-on après l'attentat sanglant et terrifiant qui a causé la mort de 72 personnes, dimanche 28 mars 2016, dont des enfants et des femmes à Lahore, au Pakistan?

Voilà un énième attentat, un de de plus. Le kamikaze "s'est fait exploser près de l'aire de jeux pour enfants -de l'aire de jeux- où les enfants faisaient de la balançoire", a indiqué à l'AFP un haut responsable administratif de Lahore. "Nous avons perpétré l'attentat de Lahore car les chrétiens sont notre cible," a déclaré à l'AFP par téléphone Ehsanullah Ehsan, le porte-parole du Jamaat-ul-Ahrar, une faction du mouvement taliban pakistanais. Une fois encore, les fanatiques revendiquent leur crime.

Sept secondes? Dix, douze, vingt secondes? Une image, deux photographies? Un bref commentaire lapidaire, comme s'il fallait expédier cette info, entre un reportage dans un Zoo et les traditionnels œufs de Pâques? Voilà comment l'on commente en France l'attentat de Lahore.

Mais alors, qu'est-ce donc que ce scandale?

Pourtant, quelques jours auparavant, les images terrifiantes et les photographies des attentats de Bruxelles n'ont pas manqué, elles ont circulé, elles ont été montrées avec un voyeurisme qui dépasse l'entendement, quelquefois avec si peu de déontologie et/ou de respect pour les victimes. Des corps allongés, meurtris, ensanglantés, des visages non floutés, des gens effarés et hébétés. Comme si ce chaos-là, vaut presque toutes les images, tous les commentaires, tous les reportages, toutes les Unes, toutes les éditions spéciales et toutes les attentions.

Certes, nous avons un lien particulier avec la ville de Bruxelles. Certes, la Belgique amie et si meurtrie, n'est pas n'importe quel pays. Le plat pays tant et si merveilleusement chanté par Jacques Brel résonne en nous, éveille notre sympathie et de l'amour. Parce qu'il est proche et frère. Certes, des terroristes franco-belges ont préparé les attentats de Paris et de Bruxelles. Certes, il y a tant de concordances et de similitudes. Certes, les attentats qui ont eu lieu à Bruxelles réveillent en nous l'effroi de ceux qui avaient été commis à Paris. Certes, Bruxelles, c'est Paris et Paris, c'est Bruxelles, et les deux villes sont en Europe.

Certes et certes.

Mais, lorsque des chrétiens d'orient sont assassinés au sortir d'une messe, lorsqu'une église est totalement éventrée parce qu'un kamikaze fou et moyenâgeux s'est fait déchiqueté, lorsque des musulmans sont assassinés à Lahore ou en Tunisie, qui s'en émeut réellement? Lorsque des explosions retentissent quasi quotidiennement à Bagdad ou en Syrie, qui s'en émeut réellement?

Lorsque les corps agonisent, lorsque le sang se répand, lorsque des enfants hurlent, lorsque le bruit des déflagrations crève les tympans des uns et des autres, lorsque les flammes dévorent les bâtiments dans un spectacle de fin du monde, qui s'en soucie réellement, lorsque ce chaos a lieu à trois mille ou cinq mille kilomètres de chez nous? Parce que cela aurait lieu ailleurs, au loin, à Garissa, au Kenya? Et que ce sont des africains, des noirs ou des chrétiens d'orient et des musulmans qui sont frappés, il faudrait aussi rapidement zapper?

Combien de fois faudra-t-il dire que les victimes des attentats n'ont pas de nationalité, qu'elles sont de toutes les nationalités? Ce ne sont pas simplement des américains, des canadiens ou des européens qui ont été frappés. Les victimes des attentats ne sont pas exclusivement chrétiennes, elles sont aussi juives, musulmanes chiites ou sunnites, yézidis, bouddhistes, hindouistes, laïques, athées. Elles sont de toutes les couleurs et de toutes les croyances, de toutes les obédiences.

Il aurait alors fallu que la Tour Eiffel se drape des couleurs du drapeau tunisien ou pakistanais.

À regarder de plus près ce silence est assourdissant. Il nous accable parce que nous refusons de rester indifférent, parce que nous nous souvenons que nous étions "Charlie", pas toujours "hyper cacher", mais que nous savions quand même élever une protestation collective et proclamer notre attachement à la liberté; parce qu'aussi nous rejetions collectivement l'hydre du terrorisme, parce que in fine nous résistions.

Parce que les victimes de Lahore sont nos frères et sœurs, parce que les victimes tunisiennes doivent aussi nous émouvoir. Parce qu'il faut tisser une chaîne de solidarité, parce que l'humanité se réveille dans la solidarité et la compassion. Ne devrions-nous pas avoir honte d'ignorer le plus souvent? D'être indifférents? De nous taire? Et combien de fois faudra-t-il rappeler comme le disait Martin Luther King, que "ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants, c'est l'indifférence des bons."?

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