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MES JOURS MÉMORABLES AU CANADA, PAR THÉRÈSE ZRIHEN-DVIR

MES JOURS MÉMORABLES AU CANADA,

PAR

THÉRÈSE ZRIHEN-DVIR

 

 

Pour mon époux, Eitan qui cherchait par tous les moyens à réintégrer sa famille fuyant l'ascension de Homeyni en Iran et ses répercussions, Canada représentait le pays des opportunités renouvelées.

En 1981, après avoir liquidé nos possessions immobilières, la famille au complet quitta Israël pour l'Ontario, Canada. J'avais timidement recommandé à mon conjoint le Québec, notamment Montréal où mon frère Jacques et sa famille résidaient, mais celui-ci éluda ma question, en me jetant un "on verra bien une fois sur place."

Toronto, en ce jour de juillet était gris, chaud et humide. L'air était suffocant et pesait lourdement sur mes poumons. Mon beau-frère et ma belle-mère nous attendaient à l'aéroport. En route pour Hamilton, j'eus l'opportunité de traverser en éclair Toronto la ville, de confronter ses gratte-ciel effarouchants, ses grands boulevards et étrangement, je me sentis presque aussi minuscule qu'une fourmi. C'était pour moi un monde nouveau, une autre planète sur laquelle je venais à peine de poser pied. La toute petite femme de Marrakech que j'étais découvrait un Canada trop géant, trop spacieux qui l'intimidait effroyablement. J'eus le vertige rien qu'à tourner ma tête dans tous les sens. Les grandes artères routières m'épouvantèrent. Et dire que je suis une citadine, comment aurait réagi un paysan, me demandais-je.

Mon premier contact avec la communauté juive de Hamilton fut merveilleux. Rabbi Green nous souhaita les bienvenus dès notre arrivée à la synagogue qui regorgeait d'hommes et de femmes dans leurs plus beaux apparats. Immédiatement après cette visite, je me rappelle avoir acheté trois chapeaux de différentes couleurs pour mes prochaines apparitions au Shul.

Notre intégration au Canada se passa sans remous alarmants. Nous parlions tous plus ou moins l'Anglais et l'appartement qui nous fut suggéré n'était qu'à quelques blocs du centre communautaire et commercial juif, de l'école Hebrew Accademy où je m'étais portée volontaire pour enseigner l'Hébreu aux débutants et aux retardataires. Ce ne fut que plusieurs mois plus tard que la décision de visiter Montréal fut suggérée.

La veille de Pâques, nous prîmes la longue route pour le Québec suivis de nos amis marocains qui habitaient une ville avoisinante, Stoney Creek. Le trajet dura presque huit heures. Montréal différait du tout au tout de Toronto. Elle avait un quelque chose de chez nous que je ne pouvais m'expliquer. Hormis la neige qui s'amoncelait sur le bord des routes et le temps froid qui givrait les vitres des maisons et saupoudrait à frimas les arbres nus en ce mois d'Avril, la ville, le trafic, les petites chopes, les maisons basses, les carrefours exhalaient un timbre plus familier, moins rigide. Je me sentis tout de suite à l'aise.

L'ambiance marocaine, je la retrouvai en plein chez les beaux-parents de mon frère qui habitaient dans le coin de leur rue. Leurs meubles, leurs babioles accrochées aux murs, les petites serviettes brodées main, leur table avec tous les mets connus que l'on servait à Marrakech pour le Seder de Pâques, le tout avait été conservé intact comme si les années, la distance, le pays nouveau n'avaient rien altéré. Il y avait même des poumons de vache cuits à l'ail et au citron, de la cervelle marinée et je passe. Le menu ne différait en rien de celui que grand-mère nous proposait pendant les fêtes à Marrakech.

Quand le maître de maison lança en s'égosillant son "Halahma Ania," avec l'accent marocain pur et que sa femme tournoya autour de nos têtes le vase de fleurs en ululant de joie, je sentis les larmes me monter aux yeux et l'émotion m'étreindre. Le miracle avait eu lieu, même si loin de leur terre, de leurs sources, ils avaient tout préservé, le charme, le ton, les couleurs, les parfums et leurs modulations si particulières. C'était pour moi la renaissance du Mellah de Marrakech dans les confins du monde, dans cette petite maison à Montréal, dans cette petite flamme de bougie juive.

Thérèse Zrihen-Dvir.

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