Mes prévisions économiques pour 2012(info # 010301/12) [Analyse]
Par Sébastien Castellion©Metula News Agency
Le pessimisme des acteurs économiques est pire aujourd'hui qu'il y a quatre ans, après la crise financière américaine et la faillite de Lehman Brothers.
La différence est, qu'à l'époque, beaucoup de commentateurs pensaient qu'il y avait un moyen de sortir de la crise. Que les gouvernements imposent plus de contraintes aux banques, qu'ils lancent des programmes de dépense publique, qu'ils poussent les taux d'intérêt à la baisse - et on éviterait une seconde Grande Dépression.
Les gouvernements ont fait tout cela, et davantage. Le résultat a été une deuxième crise financière, due, cette fois, au surendettement des Etats et non plus aux risques excessifs pris par les banques.
Résultat : les investisseurs savent aujourd'hui qu'il n'y a pas de formule magique, pas d'investissement sûr. Il ne leur reste donc plus qu'à orienter leurs investissements vers les marchés qui présentent le moins de risque à court terme.
Le grand bénéficiaire de ce nouvel état d'esprit est l'économie des Etats-Unis. Au cours du dernier tiers de l'année 2011, les investissements internationaux se sont massivement reportés sur le dollar.
Ces mouvements ont permis de conserver des taux d'intérêt très bas, malgré le surendettement massif de l'Etat fédéral, et d'apporter assez de financements aux investissements privés américains pour faire apparaître certains signes de regain économique. Le chômage est toujours plus élevé aujourd'hui que lors de l'entrée en fonctions du président Obama, mais il est repassé sous la barre des 9 %.
Ce succès - d'ailleurs tout relatif - sera l'argument le plus convaincant du président Obama pour tenter d'être réélu en 2012 (même si ce n'est pas l'argument qu'il utilisera le plus - cela sera, comme pour toute élection américaine depuis quarante ans, sans aucune exception, que le candidat Républicain est un imbécile, acheté par les intérêts pétroliers, un fanatique religieux aux convictions bizarres et probablement un raciste).
Et pourtant, la seule raison du regain des investissements en Amérique est que tous les autres grands marchés sont, aujourd'hui, encore plus risqués ; or il faut bien investir quelque part.
La Chine essaie désespérément de procéder à un "atterrissage en douceur", dans lequel les investissements immobiliers pharaoniques de la deuxième décennie prendraient fin sans provoquer un effondrement des prix immobiliers. On peut lui souhaiter bonne chance, mais les possibilités de succès de cette stratégie sont presque nulles.
Le plus probable est, qu'en 2012, l'éclatement de la bulle immobilière chinoise provoquera une perte de confiance massive, et, par voie de conséquence, des comportements de quasi-panique.
Le gouvernement chinois tentera alors, une nouvelle fois, de sauver la situation économique - et d'éviter les mouvements sociaux qui pourraient le menacer - en encourageant les exportations.
Face à une demande mondiale rachitique, il pourrait même tenter de subventionner ces exportations par du dumping, voire de dévaluer le yuan. Une telle politique provoquera des représailles en Amérique et en Europe, un regain de protectionnisme, et un rejet encore plus massif de la mondialisation.
Les riches chinois accélèreront la sortie de leurs capitaux, ce qui rendra la situation encore plus instable. On se souviendra bientôt avec un petit sourire triste, qu'il y a un an à peine, certains des plus grands commentateurs annonçaient que la Chine finirait par sauver l'économie mondiale en relançant sa demande.
Aucune autre nouvelle économie n'apparaîtra en 2012 comme un sauveur possible.
Le Japon, dont la crise chronique va et vient depuis vingt ans, a enfin atteint, en 2011, le point où l'endettement public ne peut plus apparaître à personne comme une solution.
Peu après les Etats-Unis, le Japon a, à son tour, perdu sa note AAA ; son endettement a dépassé un million de milliards de yen, soit 237 pour cent de la richesse annuellement produite par le pays, ou quatre fois la dette combinée de l'Espagne et de l'Italie. Le pays est entré en récession et, du fait de sa démographie catastrophique, compte chaque année moins de gens au travail que l'année précédente. Ce n'est pas de là que viendra le salut de l'économie mondiale.
L'Inde est en train d'absorber l'éclatement de sa propre bulle financière et immobilière. Elle se rendra compte, en 2012, que ses perspectives de croissance ont été massivement exagérées et que ses faiblesses structurelles - une bureaucratie qui ralentit l'investissement, des infrastructures insuffisantes dans l'énergie, les routes et l'éducation - ne sont pas près d'être résolues.
La Russie connaîtra une année de sérieux troubles politiques qui accélèreront la sortie des capitaux ; ceux qui se sont enrichis grâce au gouvernement Poutine décideront qu'il est plus sûr de s'acheter une troisième villa en Suisse plutôt que d'investir à la maison. Les investissements nécessaires seront encore ralentis, empêchant le pays d'atteindre son plein potentiel.
Le Brésil reste en croissance, mais n'a pas de capacités de production supplémentaires à mobiliser pour servir de moteur au monde.
Quant à l'Europe, elle s'apercevra enfin, en 2012, que sa crise financière, qui vient d'entrer dans sa quatrième année, n'est pas un phénomène conjoncturel mais le début d'une crise longue d'une décennie ou davantage - comparable à ce que connaît le Japon depuis 1990.
Les institutions européennes feront tout leur possible pour sauver l'euro. L'Allemagne devra prendre, en 2012, sa décision la plus importante depuis la création de la monnaie unique. Mme Merkel devra, soit accepter une forme de mutualisation des dettes publiques - ce qui permettra de sauver une monnaie dont les Allemands n'ont jamais voulu -, soit mettre fin à l'expérience de la monnaie unique. Je prévois qu'elle préfèrera la première décision.
Angela Merkel est une femme de pouvoir, attachée à la grandeur et à la puissance de son pays. Elle devrait préférer une décision impopulaire, mais qui confortera la domination politique de l'Allemagne au sein de l'Union, plutôt qu'une décision populaire à court terme, mais qui créerait durablement un front uni de puissances européennes contre l'Allemagne.
Cela dit, après avoir sauvé l'union, l'Allemagne sera naturellement critiquée par les autres pays européens pour les exigences de bonne gestion qu'elle imposera à ses partenaires. En retour, la mauvaise gestion des pays du Sud provoquera l'exaspération du Bundestag, qui augmentera la pression sur la chancelière pour qu'elle mette de l'ordre dans leurs finances.
La France, comme toujours, essaiera de se positionner simultanément des deux côtés, à la fois solidaire de l'Allemagne et puissance méditerranéenne (un peu plus dans la première direction si Sarkozy est réélu, un peu plus dans la deuxième si Hollande lui succède). L'atmosphère des réunions européennes ne va pas s'améliorer.
Le prix à payer pour sauver l'euro sera l'installation durable du continent dans un double déséquilibre :
D'une part, des politiques publiques récessionnistes - surtout dans les pays du Sud - pour éponger progressivement les dettes accumulées par les Etats depuis dix ans. Les investissements publics, les salaires des fonctionnaires et leur nombre : tout cela est inévitablement parti à la baisse pour de nombreuses années.
D'autre part, la Banque Centrale Européenne va continuer à acheter des titres de dette de qualité de plus en plus douteuse - ce qui revient exactement au même que de faire fonctionner la planche à billets.
Ces achats de dette permettront d'éviter la plupart des défauts de paiement (mais pas tous : la Grèce, au moins, déclarera forfait pour un montant qui pourrait dépasser la moitié de sa dette publique). En revanche, ils réduiront la confiance des marchés dans l'euro : cela accélèrera la sortie de capitaux hors d'Europe.
La France perdra sa note AAA, bien entendu. Elle ne sera pas la seule : celles de l'Autriche et (peut-être) de la Hollande pourraient aussi disparaître. L'Allemagne conservera la sienne pour l'instant ; mais les marchés verront bien que l'engagement toujours croissant de l'Allemagne pour garantir les dettes des autres pays de la zone ne peut pas durer éternellement. C'est donc l'Europe dans sa totalité qui verra fuir les investisseurs, et avec eux la croissance.
La combinaison de tendances récessionnistes du fait des politiques budgétaires, de tendances inflationnistes du fait de l'action de la Banque centrale, et d'une méfiance croissante des marchés provoquera une récession européenne en 2012, suivie d'une longue période de croissance faible ou nulle.
L'Europe réagira comme elle l'a toujours fait dans les périodes économiques troublées : par une multiplication des troubles sociaux et une montée en puissance des partis extrémistes. On entendra beaucoup parler sur le continent, en 2012, de l'extrême gauche, de l'extrême droite, et, dans une moindre mesure, de l'islam radical. Les Juifs d'Europe, éternels boucs émissaires, verront s'aggraver l'hostilité à leur encontre.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, la relative accalmie économique, due au regain des investissements dans le secteur privé, conduira à repousser à plus tard la résolution du problème de la dette publique. Cette dette continuera à se détériorer avec la complicité du système politique américain (ou, plus précisément, avec le soutien enthousiaste des Démocrates et malgré les protestations timides des Républicains).
Les effets désastreux de l'endettement sur la croissance seront réduits, dans un premier temps, par l'abondance des capitaux disponibles, mais finiront par revenir au cœur du débat politique américain.
Si ce retour de bâton intervient avant l'élection, les chances de réélection d'Obama seront presque nulles. Si, au contraire, les dix premiers mois de l'année se passent sans crise économique majeure en Amérique, c'est peut-être dans le deuxième mandat d'Obama que la catastrophe de la dette publique devra être confrontée.
Dans toutes les hypothèses, malgré l'opposition de principe du Tea Party, le désendettement américain ne pourra pas se faire sans une politique monétaire ultra-accommodante de la Federal Reserve (la banque centrale américaine), ce qui provoquera de graves tensions inflationnistes.
Celles-ci seront ensuite exportées des Etats-Unis vers le reste du monde, provoquant ce qui devrait être la troisième phase de la crise mondiale, après la crise bancaire en 2008 et la crise de la dette publique en 2010-2011.
Mais ces derniers événements devraient se dérouler, pour l'essentiel, après l'année 2012, qui était le seul objet de cet article. Profitons de cette année en attendant, et bonne année à tous !
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