Montée des ultra-orthodoxes en Israël
Matthieu Mégevand
Depuis plusieurs semaines, la communauté juive ultra-orthodoxe israélienne fait beaucoup parler d’elle. Minoritaires, ses membres sont toutefois très visibles et suscitent par leurs actions l’incompréhension ou l’indignation dans tout le pays.
C’est l’histoire de Naama Margolese, qui a d’abord suscité l’indignation en Israël. Cette petite fille de huit ans a raconté aux médias comment des juifs ultra-orthodoxes s’en sont pris à elle alors qu’elle se rendait à l’école parce qu’elle n’était pas vêtue assez "modestement". Insultes, crachats, intimidation, la minorité haredim (littéralement, craignant-dieu) terrorise les femmes de la ville de Beit Shemesh entre Tel-Aviv et Jérusalem parce qu’elles ne sont pas habillées "convenablement", autrement dit couvertes de la tête aux pieds. Quelques jours avant, c’est Tanya Rosenblit, jeune femme de 28 ans, qui a été prise pour cible parce qu’elle refusait de s’asseoir à l’arrière d’un bus comme l’exigeaient ces mêmes ultra-orthodoxes.
Les Haredim ont encore fait parler d’eux il y a quelques jours en défilant à Jérusalem déguisés en déportés et arborant l’étoile jaune, symbole de la discrimination nazie. En conflit permanent avec le gouvernement israélien, les Haredim sont allés jusqu’à traiter de "nazis" les policiers qui surveillaient le rassemblement. Les responsables politiques se sont empressés de dénoncer cette manifestation, à l’image d’Ehud Barak, ministre de la Défense, déclarant que "tout cela est choquant et consternant", tandis que le premier ministre Benyamin Netanyahou s’est engagé à sévir contre tous ceux qui tenteraient de s’en prendre aux femmes.
Une contre-manifestation de laïcs, inquiets et indignés par cette minorité ultra-orthodoxe - qui représente tout de même 20% de la population de Jérusalem -, a par ailleurs eu lieu à Beit Shemesh pour dénoncer la discrimination et l’intolérance des Haredim. Stéphane Amar, journaliste franco-israélien basé à Jérusalem, nous explique : "Il y a, dans la société israélienne, un consensus contre les excès de certains fanatiques, y compris au sein même des milieux orthodoxes ou ultra-orthodoxes ; des laïcs jusqu’aux traditionalistes, tout le monde condamne les actions de cette minorité extrémiste. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces ultra-orthodoxes sont traversés par de multiples courants qui divergent entre eux. Ainsi, il existe des orthodoxes qui, depuis les années 1910-1920, soutiennent le projet sioniste et sacralisent l’Etat d’Israël et qu’on appelle les sionistes-religieux. Il y a ensuite les ultra-orthodoxes, qui ont à l’égard de l’Etat d’Israël des points de vue divergents : les plus tolérants le considèrent comme un moyen utile pour rassembler les juifs et leur assurer une certaines sécurité tandis que les plus hostiles comparent le sionisme au nazisme. Entre deux, il existe une masse molle qui va profiter des avantages qu’offre l’Etat mais reste à l’écart de toute vie nationale : ce sont des gens qui ne font par leur service militaire, qui ne fréquentent ni les écoles, ni les hôpitaux publics, et qui vont même jusqu’à ne pas poster de lettres pour ne pas avoir à acheter un timbre à l’Etat d’Israël. Ceux que l’on a vu manifester ces derniers jours font donc partie d’une minorité ultra-orthodoxe très critique à l’égard d’Israël : leurs actions visent à montrer que, puisque l’Etat ne fait pas appliquer les lois juives, il ne remplit pas son rôle et n’a donc aucune légitimité. Pour ces ultra-orthodoxes, le sionisme n’a rien à voir avec le judaïsme".
Ainsi, c’est au nom même de la loi juive que ces Haredims s’en prennent à Israël en tant qu’Etat qui ne respecte pas les préceptes religieux. Minoritaires, les ultra-orthodoxes gagnent toutefois du terrain dans de nombreux quartiers, et pas seulement à Jérusalem : ils risquent donc d’être de plus en plus visibles au sein d’une société israélienne qui semble toujours tiraillée entre une conception laïque et religieuse de l’Etat et du citoyen.
"Si le problème des ultra-orthodoxes s’est posé dès la création de l’Etat d’Israël, conclut Stéphane Amar, il s’agissait alors d’une minorité de quelques milliers de personnes assez facilement maîtrisable. Aujourd’hui, ils représentent environ 10% de la population, et on estime qu’ils pourraient être, d’ici une trentaine d’années, 30% ou 40%. C’est donc une question extrêmement préoccupante pour les Israéliens, qui savent bien qu’il va falloir trouver un jour ou l’autre le moyen de vivre ensemble".
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