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Nationalisme arabe: l'échec d'un malentendu

Nationalisme arabe: l'échec d'un malentendu

 

 

Le nationalisme arabe qui a marqué le Proche Orient moderne est un concept récent qui a émergé peu avant le début du vingtième siècle. Certes les Arabes avaient une fierté de leur langue, de leur littérature et de leurs traditions, mais leur attachement à leur culture ne comportait pas une dimension politique et ne se traduisait pas par une solidarité avec les Arabes non musulmans. Leur identité reposait sur la religion, et leur fidélité allait au souverain qui gouvernait au nom de cette religion. 

L’étincelle du nationalisme arabe démarre en Syrie. La raison en est l’existence, en Syrie, d’ une élite sunnite citadine évoluée qui s’est frottée aux idées nationalistes, propagées par leurs concitoyens chrétiens, ces derniers ayant baigné dans un climat intellectuel nouveau, fruit de l’enseignement des missionnaires protestants et catholiques.    

Traumatisés par les massacres de 1860 au Mont-Liban et à Damas, des intellectuels chrétiens ont cherché à promouvoir le patrimoine linguistique littéraire et culturel arabe et à valoriser le passé glorieux de la littérature arabe médiévale. Leur but était de montrer l’unité des peuples arabophones  quelle que soit leur religion, pour mieux enraciner les communautés chrétiennes dans leur environnement arabe. 

Une nouvelle génération d’intellectuels libanais chrétiens vient renforcer cet édifice culturel et théorique. Contrairement à leurs aînés, qui écrivaient en arabe, ces jeunes écrivains expriment leur engagement national arabe en utilisant la langue française, et c’est en français qu’ils appellent leur concitoyens de la Grande Syrie à s’émanciper du joug ottoman. Par un paradoxe curieux de l’histoire, la langue française, taxée plus tard d’impérialisme et de colonialisme par les Arabes, leur apparaîtra en ce début du vingtième siècle comme l’instrument de leur émancipation contre les Ottomans. Le choix de cette langue est le fruit de l’enseignement acquis chez les missionnaires catholiques, et du fait que ces écrivains, fuyant l’oppression ottomane, était installés à Paris. Mais l’élément le plus déterminant a été l’appui, par  la France de la cause nationale arabe. 

A cette époque, les idées nationales connaissent une diffusion large grâce à la presse qui prolifère. Des intellectuels syro-libanais fuyant le climat d’oppression crée par Abdul Hamid II après la suspension de la constitution en 1876, s’installent à Paris ou au Caire, qui jouissait à l’époque aussi d’une certaine liberté, et se lancent dans la presse. 

Ce mouvement nationaliste reste majoritairement chrétien, n’attirant pas les Arabes musulmans qui restent fidèles au Sultan et regardent avec suspicion les revendications d’indépendance des non-musulmans de l’Empire. 

Le tournant viendra de la volte-face opérée par les Jeunes Turcs. Après avoir suscité les espoirs lors de leur accès au pouvoir en 1908, quelques mois plus tard ils écrasent leur branche libérale et imposent une dictature avec la volonté de favoriser l’élément turc et d’imposer la langue turque. Dès lors, la rupture s’opère entre musulmans turcs et musulmans arabes, faisant évoluer ces derniers vers le nationalisme arabe. 

A partir de 1909, plusieurs sociétés secrètes arabes s’organisent avec l’ambition d’accéder à une décentralisation. Elles recrutaient leurs adhérents parmi les journalistes et les intellectuels qui ont fui la répression et se sont réfugiés à Paris ou au Caire. La première grande manifestation du nationalisme arabe s’est déroulée à Paris. Il s’agit d’un congrès organisé à l’initiative du mouvement al Fatat et d’intellectuels francophones installés dans la capitale française. Il a rassemblé deux cent participants Arabes et quelques dizaines de Français présents à la séance de clôture qui s’est déroulée en français. Le président du congrès révèle le caractère national et non religieux de la réunion en observant que les vingt-quatre délégués présents sont également répartis entre chrétiens et musulmans et rend hommage à la solidarité islamo-chrétienne qui s’est exprimée lors des manifestations qui ont agité Beyrouth à l’occasion de la dissolution du Comités des réformes, et qui est à l’origine de l’idée du congrès. 

Cet arabisme des débuts se limite au Machrek car à ce stade le nationalisme arabe n’était pas orienté contre les puissances européennes mais cherchait l’émancipation des Ottomans, alors que le nationalisme égyptien était dirigé contre la Grande Bretagne,  et que les nationalismes tunisien et algérien étaient conduits contre la France. Il a fallu attendre les années trente pour voir ce concept s’étendre au Maghreb dans l’idéal d’une nation arabe du Golfe à l’Atlantique, concevant  le nationalisme arabe comme un panislamisme limité aux arabophones. A cette époque, l’Egypte abandonne l’option pharaoniste exclusivement égyptienne pour adhérer au nationalisme musulman ou au nationalisme arabe égyptien avec l’idée que l’Egypte est le leader du monde arabe. 

. Mais le nationalisme arabe a débuté sur un malentendu. Il avait un sens différent pour ses partisans chrétiens et musulmans. Pour les premiers il était exclusivement arabe, alors que, pour les seconds, il ne pouvait être dissocié de l’islam. Pour les musulmans,  l’Histoire arabe débute avec l’islam au septième siècle, alors que les chrétiens cherchaient à valoriser la période arabe préislamique qualifiée par les musulmans de Jahilya (en français : l’époque de l’ignorance). Cette appellation est inadaptée à la réalité, du moins pour les habitants de la Syrie et de l’Irak qui étaient hellénisées et familiarisés avec la pensée des philosophes grecs. 

En fait, pour les chrétiens, le nationalisme arabe resterait un pari risqué tant que les musulmans n’ont pas opéré la séparation entre l’Etat et la religion, entre le spirituel et le temporel. Dans ces conditions, cette idée de nationalisme arabe portait en elle les germes de sa destruction. Dans la compétition entre Islamisme et Nationalisme, ce dernier partait déjà perdant. Il finira par succomber un siècle plus tard après avoir connu son point d' orgue sous Nasser en Egypte et sous le Baas ( fondé par l'Arabe chrétien orthodoxe Michel Aflak ) en Syrie et en Irak. Même à son apogée,  le nationalisme arabe ne s’est jamais émancipé de l’islamisme et du communautarisme. La présence chrétienne en Egypte s’est évaporée sous Nasser, et l’accès du Baas au pouvoir s’est transformé en une domination de la communauté alaouite sur les sunnites en Syrie et des sunnites sur les chiites en Irak. Les intellectuels musulmans se sont révélés incapables de sortir de leur communautarisme et de montrer de l’empathie et de la compréhension envers les inquiétudes et les angoisses légitimes des non-musulmans. 

Les  juifs , dans leur volonté de ressembler au modèle occidental, tournent le dos à leur environnement arabo-musulman et finissent par être assimilés aux puissances coloniales. Le divorce devient total à partir de 1930 quand le conflit en Palestine finit par opposer juifs et musulmans dans l’ensemble des pays arabes. Deux nationalismes, le panarabisme et le sionisme, se disputent violemment une même terre et une même ville, Jérusalem. Les juifs se trouvent exclus du nationalisme arabe par les intellectuels musulmans et sont rejetés avec les puissances coloniales lors de l’accès des pays arabes à l’indépendance. 

Le nationalisme arabe finit par succomber  pour certains avec la défaite de juin 1967 face à Israël, pour d’autres avec les accords de paix israélo-égyptien en 1979, et pour d’autres encore avec la guerre civile syrienne qui a montré la réalité communautariste profonde de la société arabe et les limites de la rhétorique panarabe. Le royaume avorté de Fayçal et la parenthèse de son règne en Irak ont servi d’arrière-fond à l’illusion d’un nationalisme arabe, alimentant le mythe d’un monde arabe unifié que les Français et les Britanniques auraient divisé pour préserver leurs intérêts. L’unité arabe s’est transformée en une culture monolithique,  le nationalisme arabe et l’Etat-nation en un processus d’homogénéisation vidant ce monde arabe en quelques décennies de ses minorités.   

      
La dérive islamiste des sociétés arabes actuelles et le sort réservé à leurs minorités chrétiennes et juives sonnent le glas du nationalisme arabe : les années 70 ont vu le nationalisme arabe céder la place à l’islamisme. 

 

Rédigé par Elie Arié - http://www.marianne.net/elie-pense/ (D'après l'ouvrage à paraître du   cardiologue et historien  franco-libanais François Boustani)

 

 

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