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Présidentielle J-13 : la campagne vue par le psychanalyste Jean-Pierre Winter

 

Présidentielle J-13 : la campagne vue par le psychanalyste Jean-Pierre Winter

 

Lapsus
Quand donc, les femmes et les hommes politiques, les commentateurs agréés, les politologues, et autres experts de la vie politique, quand donc reconnaitront-ils que l’invention d’un inconscient freudien a complètement modifié, que nous le voulions ou que l’ignorions, notre approche de tout discours ? Quand ce jour arrivera il leur faudra admettre que les électeurs n’écoutent plus seulement ce qu’ils sont sommés d’entendre. Ils entendent aussi, le plus souvent à leur insu, ce que les candidats auraient préféré garder pour eux.

Jusqu’à Freud, le lapsus, l’acte manqué, l’oubli intempestif, trouvaient toujours une excuse mécanique ou étaient simplement ignorés. Après Freud, comme le dit excellemment Nestor A. Braunstein dans Les Présages (édition Stock), « l’on [devait] se justifier et donner des explications à propos de ce dont on ne se [souvenait] pas », de nos erreurs de langage, de nos égarements etc., car ils sont la trace d’un conflit et les révélateurs de ce que le locuteur préfère ne pas savoir et partant, ne pas nous dire.

L’hypothèse de l’inconscient, contrairement à ce qu’affirmait Hannah Arendt, accroît notre responsabilité : nous soupçonnons que tous ces incidents de discours ou de comportements ne sont pas innocents et nous savons qu’il nous faudrait en rendre compte. Pourtant qui a jamais entendu un homme politique revenir sur un de ses lapsus pour dire ce qu’il en a saisi et surtout dire que pour lui, volontaire ou involontaire, la parole a un poids ? Ainsi, par exemple, que sous-entend Martine Aubry le 26 mars dernier quand elle profère, à propos de F. Hollande : « Notre candidat sortant… » ?

A se fier aux éclats de rire qui saluent son propos ce « dire » n’est pas sans effets. Ou quelle explication Pierre Moscovici, qui est le directeur de campagne de Hollande, peut-il donner à ceux qui l’écoutent après avoir annoncé la création d’un site qu’il nomme : « toutsaufhollande » ? Et que dire de Jean-François Copé qui confond François Hollande et François Fillon ? Ou Bernadette Chirac qui affirme que Sarkozy est le meilleur candidat puisqu’il « a du maintenir la crise et qu’il l’a fait » ! Il en est de plus croustillants mais là n’est pas la question.

Ce ne sont pas les lapsus qui importent mais l’indifférence de ces prétendants à la plus haute charge de l’Etat à l’égard de la parole. Je me demande comment ils s’arrangent de ce qui est un fait facile à constater : contrairement à l’adage Verba volent scripta manent il s’avère qu’en politique comme dans la plupart des échanges entre humains ce sont les paroles qui restent quand les écrits sombrent dans l’oubli. Tout le monde se souvient des phrases brutales ou grossières de Nicolas Sarkozy alors qu’il serait impossible à quiconque de citer une seule phrase qu’il aurait écrite. Ce qui est dit est dit et nous le retenons parce-que nous en sommes l’adresse. Il n’y a guère que les adolescents et les enfants pour s’imaginer comme Fillon récemment que cela peut s’effacer avec un simple : « Je retire ce que j’ai dit ».

Les lapsus comme les rêves s’adressent avant tout à celui qui les commet et chacun est libre de les analyser ou pas. Mais ils s’adressent à soi par l’intermédiaire de l’autre qui n’est pas libre de faire la sourde oreille, qui les interprète sciemment ou inconsciemment, selon ce qu’il sait de celui qui lui parle. Il ne s’agit pas d’interprétation sauvage mais de communication d’inconscient à inconscient. S’en défendre, comme le font certains psychanalystes sous prétexte que les hommes publics ne sont pas allongés sur un divan est une posture douteuse car, en tant qu’électeurs, nous sommes bien l’objet d’une demande. Et cette demande – qui comme toujours est une demande d’amour – être l’élu – recèle un désir qui se décrypte dans les mots qui la porte. Exceptés ceux qui savent bien avant leur naissance pour qui ils vont voter, exceptés ceux dont le choix est dicté par d’évidentes considérations économiques et historiques, ceux qui se décident une fois qu’ils sont dans l’isoloir répondent autant à ce qui leur semble être leur intérêt qu’à ce qui les a émus ou sollicités dans les copeaux de la langue de bois.

Mais il n’y a pas que les lapsus ! Tout aussi informative est la pratique des injures, des grossièretés, des amalgames, des tours de passe-passe rhétoriques, etc.… A cet égard, Nicolas Sarkozy s’est trouvé un rival à sa mesure : Jean-Luc Mélenchon. Voilà un homme qui n’hésite pas à prendre à parti ses adversaires en maniant l’invective publique, l’insulte, la colère feinte ou pas et qui dans le même temps exige qu’on ne lui rappelle pas ses dérapages, qu’on veuille bien tenir compte de sa fatigue, de son tempérament, de l’imbécilité de ses interlocuteurs…

Sa mauvaise foi rigolarde donne un peu de souffle à cette campagne atone mais le ton sur lequel il nous parle me fait frémir à l’idée qu’il pourrait un jour décider de nos destinées. Et ce d’autant plus qu’avec le culot qui lui est un blason il nous demande de bien vouloir oublier ses indéniables talents de tribun qui masqueraient la profondeur de son propos. Aussi culotté que cet homme qui tue père et mère et qui, aux Assises, demande l’indulgence du jury parce qu’il est désormais orphelin ! Monsieur Mélenchon, vous qui avez été professeur de lettres, vous savez bien que le fond c’est la forme. Toutefois ne boudons pas notre plaisir et reconnaissons qu’il est jouissif de l’entendre poser sur Marine Le Pen le diagnostic de « semi-démente ». Quelle maladresse pourtant d’avoir choisi le nom « Front … de Gauche » pour faire pièce au « Front… national ».

Toulouse
A Toulon en février 2007 Nicolas Sarkozy déclarait : « Quand l’enfant grec cessera de détester l’enfant turc, quand l’enfant palestinien cessera de haïr l’enfant juif… la Méditerranée redeviendra le plus haut lieu de la culture et de l’esprit humain et elle pèsera de nouveau sur le destin du monde. » Toujours cette imprécision irresponsable dans le choix des mots. Pourquoi, effet de cette pensée systématiquement binaire, opposer « palestinien » à « juif » plutôt qu’à « israélien » ? Pourquoi imaginer en le présentant comme une évidence une guerre entre enfants, qu’ils soient grecs, turcs, sunnites, chiites, etc. Si seulement l’on pouvait se rassurer en pensant que ces simplifications démagogiques sont sans conséquences mais ce n’est pas le cas. Elles contribuent à créer un climat dont se saisira le premier psychopathe venu qui ne fera pas la différence entre les mots et les actes. Le lien de cause à effet n’est pas immédiat mais nombreux sont les travaux qui ont montré (cf. : JP Faye, Orwell, Victor Klemperer) comment les langages totalitaires engendrent les systèmes éponymes. « Il n’y a d’éthique que du bien-dire », disait Lacan dans Télévision.


Elie Wiesel dans le Monde du 24 mars 2012 écrivait : « Cela a toujours été ainsi dans l’histoire. Depuis le roi pharaon d’Egypte et Nabuchodonosor de Babylone jusqu’à Hitler, tous les ennemis d’Israël virent dans ses enfants leur cible première à châtier, à éliminer… » Il aurait pu ajouter : la dixième plaie d’Egypte, le massacre des Innocents, ou le mythe du meurtre rituel pour rappeler que la tuerie d’enfants occupe une place de choix quand il s’agit d’aller jusqu’au bout de la passion meurtrière. La mort réelle de l’enfant se substitue-t-elle à la mort non symbolisée du Père ? « Les enfants apportent les dernières nouvelles de l’Eternité » disait Maeterlinck. L’application d’une loi du talion évoquée par Mohammed Merah pour justifier l’atrocité de ses crimes, alibi infâme recyclé par ceux qui approuvent son passage à l’acte tout en déclarant qu’ils le condamnent, belles âmes militantes, serait alors le prix à payer pour la défaite du symbolique dont nous pâtissons ?

Quoiqu’il en soit, dans les dernières décennies les enfants arabes meurent principalement sous les bombes aveugles des intégristes musulmans, en Algérie, en Irak, en Syrie…
Les candidats, l’espace d’un instant, ont fait front pour manifester l’unité du Pays contre la barbarie. C’est provisoirement rassurant car dans le même mouvement Madame Ashton, chef de la politique étrangère de l’Union européenne, sème sciemment la confusion en déclarant : « Quand nous pensons à ce qui s’est passé en Norvège il y a un an, quand nous savons ce qui se passe en Syrie, quand nous voyons ce qui se passe à Gaza et dans différentes parties du monde, nous pensons aux jeunes et aux enfants qui perdent leur vies. » Certes elle est désavouée mais pas démissionnée.

Ce qui pose, entre autre, le problème du fonctionnement démocratique des institutions européennes. Là-dessus notre Président-candidat improvise d’imposer une minute de silence dans toutes les écoles. Ca semble partir d’un bon sentiment, du genre de ceux qui pavent l’enfer. Mais je laisse la parole à une professeure qui m’écrit de Lyon :

« Pour la minute de silence, les choses se sont incroyablement corsées hier en cours, les gamins sont remontés à bloc contre cette minute de silence pour des “français, juifs” alors qu'il n'y en a pas eu pour l'antillais et les musulmans (et en avant le mix origine / religion / nationalité...!). Hier je n'ai pas pu faire cours en 3ème parce qu'ils ne voulaient parler que de ça avec moi. Mohammed Merah est à la limite d'être un martyr pour certains, il a fait ça pour venger les enfants palestiniens, pour d'autres c'est un martyr du système policier qui l'a tué et a essayé de nous faire croire qu'il s'était suicidé... En bref, la tension était intenable au collège hier. Et je ne te parle même pas de mon pauvre petit X… Merah, un gamin trop sympa qui a le malheur de s'appeler comme le tueur, et qui se fait harceler par tout le collège, que j'ai récupéré prostré au fond d'une salle hier au bout du rouleau… Vive Sarkozy ! Il a juste oublié de faire une circulaire avec les instructions post-minute de silence... »
 

On ne saurait mieux décrire la situation qu’engendre tout à la fois des initiatives et des propos irréfléchis, une internationalisation de la désinformation via internet et les satellites (Al Jazeera…) et une dévalorisation continue de la transmission des savoirs au profit du règne de l’opinion sur le mode Robert Ménard. Toutes les opinions ont le droit de s’exprimer même quand elles sont aussi criminogènes que celle d’une candidate qui va se pavaner à Vienne à un bal de néo-nazis .

“Petites misères”
Le Parisien de ce matin titre page 4 : « Mélenchon comme une superstar ». Dans l’article, la journaliste Ava Djamshidi mentionne la dernière envolée du candidat citant Robespierre : « Je ne suis pas du peuple. Je suis le peuple quand je pense pour tous et je méprise tous ceux qui veulent être autre chose que le peuple ».

Son propre bras droit s’inquiète : « Ce n’est pas un contact normal, c’est le problème de cette élection. Les gens veulent le toucher, il y a une pression physique. Dès le début, on a dit ne pas vouloir une campagne d’adoration. Il faut lutter contre ce risque qui a tendance à s’accroître depuis que c’est le troisième homme ». Et d’ajouter : « Il est dans un état d’énervement tel qu’on n’est pas à l’abri d’un pétage de plombs. » Non, Monsieur Delapierre, ce n’est pas de l’énervement c’est de la jouissance. N’est-ce pas dans ses meeting qu’on chante : « Il n’est pas de sauveur suprême … » ?

En serait-on arrivé là si la gauche s’était plus préoccupée de ce qui pourrit réellement la vie des gens plutôt que de ce qui enchante les « progressistes » concentrés sur la nouvelle morale germanopratine en matière de bioéthique ? Si peu de mots sur ce qui rend invivable la vie quotidienne de tout un chacun : le management évaluateur, la surveillance généralisée par caméras toujours plus nombreuses, les radars qui plutôt que de flasher les grands excès des fous du volant traquent les dépassements insignifiants, l’obligation d’avoir un compte bancaire qui implique le paiement de véritables impôts aux banques privées, les suicides en série dans les grandes entreprises d’état, les péages toujours en augmentation sur des autoroutes déjà payées par nos impôts, la déshumanisation par la destruction systématique de tous les lieux de rencontres et d’échanges de paroles dans nos villes et nos campagnes…

L’évocation de toutes ces « petites misères » pourra paraître bien peu de choses au regard des tragédies que sont les 8 millions de français vivants sous le seuil de pauvreté, du chômage, du réchauffement de la planète, du déficit de la sécurité sociale… Mais – est-ce par déformation professionnelle ? – je sais l’importance dans la vie psychique de ce qui apparaît comme insignifiant, voire indécent. Qui, par exemple, dans le personnel politique s’inquiétera vraiment de l’angoisse suscitée par le fait d’être toujours plus contraint d’obéir à des voix synthétiques, sans corps et sans réponses, véritables objets non identifiés, voix d’un Maître absolu omniprésent et aussi absent que Dieu en personne ?


Eros, dieu du risque
Avec un candidat qui se veut « normal », désignant par là-même son principal adversaire comme « fou », est posée la question du statut de la folie et au-delà du sort que notre société réserve à ceux qui ne marchent pas dans les clous. Présentant l’enfant comme un individu dont on pourrait prédire la dangerosité dès son entrée en crèche ou le schizophrène que des discours insistants présentent comme potentiellement dangereux, une opinion se répand qui s’appuie sur le fameux principe de précaution qui n’est qu’une tentative de renouveler le gouvernement par la crainte.

D’où l’hygiénisme ambiant qui transforme nos élus en parents qui, pour leur bien – et leurs biens – , empêchent leurs enfants de prendre les risques sans lesquels il n’est pas de déploiements possible de leurs élans désirants. « Eros est un dieu noir ! » rappelait Lacan. Et tout ce qui se met en travers de sa route est voué à plus ou moins long terme à s’effondrer. Ce principe de précaution, sans doute utile en matière industrielle, devient un principe d’assujettissement au profit des riches et des puissants quand il est généralisé pour contraindre les individus à se normaliser.

Est-ce un effet latéral de la marche forcée du capitalisme outrancièrement libéral ? Je ne pourrai pas le démontrer mais j’ai encore la liberté de poser la question. Le capitalisme comme son nom l’indique se préoccupe du capital ce qui signifie qu’il ne veut rien savoir d’Eros qui est avant tout le dieu du Risque. Et ce dieu ne sait rien et ne veut rien savoir de nos comptabilités sordides, de nos évaluations, de nos statistiques et de nos profits impératifs. L’amour dont il est ici question est celui qui limite notre toute-puissance.

Or de quoi témoigne la crise dont se délectent ceux qui nous dirigent (et qui ne sont pas exclusivement nos hommes politiques, bien sûr) ? La crise c’est la preuve par la faillite que le capitalisme ne connaît aucune limite. Tout juste est-il capable de construire des digues dont nul n’ignore qu’elles n’empêcheront aucun débordement. Seule Ségolène Royal avait osé aborder frontalement la question de l’amour pendant la campagne de 2007. Etait-ce parce qu’elle est femme ? Mais elle n’était pas tout à fait crédible parce-que l’amour dont elle nous parlait était par trop emprunt de religiosité à peine dissimulée. « Athée serait celui, » disait Lacan dans son Séminaire sur l’angoisse, « qui aurait réussi à éliminer le fantasme du Tout-Puissant ». Raison, entre autres, pour laquelle la montée en puissance des intégrismes religieux est pain-béni pour nos sociétés dites libérales.


Ce qui pose, pour finir, la question de savoir ce que nous attendons de ceux qui espèrent que nous allons les élire. Notre déception sera comme de coutume à la hauteur de nos illusions. Tous les candidats, de l’extrême droite à l’extrême gauche, nous disent qu’il faut dire la vérité aux français. Et tous savent qu’ils l’ignorent ou ne peuvent pas la dire. Aussi les sages aguerris et lucides du Traité des Pères du Monde (un traité du Talmud) conseillaient-ils : « Prenez garde au pouvoir car rien ne le rapproche de l’homme hormis son intérêt : il apparaît amical tant qu’il en a profit mais il n’accorde aucun soutien à l’homme au moment de sa détresse ». Notre détresse n’est-elle pas, de fait, le fin mot de nos vaines espérances ?

 

Jean-Pierre Winter est psychanalyste, essayiste. Cofondateur et actuel président du Mouvement du Coût Freudien, il a publié de nombreux ouvrages dont : Les Hommes politiques sur le divan, Calmann-Lévy (1995) ; Les Errants de la chair. Etudes sur l’hystérie masculine, Calmann-Lévy (1998) ; Stupeur dans la civilisation, Pauvert (2002), Homoparenté, Albin Michel (2010) ; Choisir la psychanalyse, Point Seuil (2010). Son dernier livre paru : Dieu, l’amour et la psychanalyse, Bayard (2011). 

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