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Quand Juifs et Noirs fraternisent

Quand Juifs et Noirs fraternisent

 

Aux Etats-Unis, la mixité entre Juifs et Noirs est encore largement taboue. Il leur est pourtant arrivé de faire «causes communes», démontre Nicole Lapierre.

En France, les affinités électives entre Juifs et Noirs sont assez bien acceptées, qui passent pour une simple variante des unions entre Noirs et Blancs. Aux Etats-Unis, cette mixité est encore taboue et, pourtant, elle n'est pas si rare. Ces rencontres ne s'expliquent pas par la simple volonté de combattre les préjugés. Elles procèdent d'un cheminement psychologique plus complexe : celui d'une identité meurtrie qui n'a pu s'accepter qu'en se reconnaissant dans le miroir amoureux d'un autre, dont l'identité était aussi blessée.

C'est ce que Nicole Lapierre veut nous faire comprendre en nous entraînant dans la ronde des rencontres amoureuses, des fascinations réciproques et des fraternités durables qui ont uni des Juifs et des Noirs des deux côtés de l'Atlantique.

C'est le cas pour André Schwarz-Bart. Ouvrier ajusteur le jour, écrivain la nuit, il vient d'achever le manuscrit du «Dernier des justes» qui lui vaudra le prix Goncourt quand il tombe amoureux de Simone, une jeune Guadeloupéenne. Avec elle, il se lance dans l'écriture d'une autre saga; celle d'une lignée d'esclaves, conçue pour faire diptyque avec la généalogie de la souffrance juive de son précédent roman. Ils n'auront le temps d'écrire ensemble que le premier volet de ce cycle antillais, «Un plat de porc aux bananes vertes», superbe «roman transmémoriel», comme le définit Nicole Lapierre, qui n'a pas eu l'accueil qu'il méritait.

C'est aussi le cas de Julius Lester, fils d'un pasteur méthodiste noir du sud des Etats-Unis. Etudiant, il milite avec Martin Luther King. Tenté ensuite par le Black Power, il se déchaîne contre les Juifs sur une radio d'extrême gauche... pour se convertir enfin au judaïsme. Pour Nicole Lapierre, la mode des «black faces», ces chanteurs blancs qui se grimaient pour interpréter la musique des Noirs, illustre le lien d'empathie qui s'est tissé entre Juifs et Noirs.

Car ces chanteurs étaient souvent juifs, comme Al Jolson, vedette du premier film parlant «le Chanteur de jazz». Leur déguisement ne visait pas uniquement à populariser une image du Noir rassurante et dérisoire. En entrant dans la peau d'un Afro-Américain, ils prenaient en charge ses souffrances et ses humiliations comme s'ils voulaient en partager le poids jusqu'à rendre leur altérité interchangeable.

André Burguière

Causes communes. Des Juifs et des noirs,
par Nicole Lapierre, Stock, 328 p., 21,50 euros.

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