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Relativité et Réalité Par Sandra Ores

Metula, la rue principale, il y a une centaine d’années

 

 

Relativité et Réalité(info # 011111/10)[Analyse]

Par Sandra Ores©Metula News Agency

 

Sandra Ores est née à Paris, où elle a suivi des études d’économie. Elle a touché à des domaines aussi divers que la téléréalité, la mode et la distribution. Sandra aime comprendre les cultures et modes de vie des sociétés contemporaines, à travers ses pérégrinations qui l’ont déjà menée aux quatre coins du globe.

 

Dès mon arrivée à Metula, le village le plus septentrional d’Israel, une impression de bout du monde m’envahit. De la montagne sur laquelle est adossée la maison qui sera mienne pour une année,  s’étend une vallée, le Merjin ; j’y distingue des cultures, sur quelques centaines de mètres, puis une route, et, au-delà de celle-ci, des collines à perte de vue. C’est le Liban.

 

Je suis au bout d’Israël. L’impression que le monde que je connais s’arrête ici est renforcée par le fait que je ne peux pas dépasser la route en contrebas. Limite physique, distincte.

 

Et si l’envie me prenait d’aller au Liban, visiter les villages que je vois en face ? D’ici, impossible. Un grillage haut de quatre mètres m’en empêche, ainsi qu’une piste de patrouilles, large d’environ quatre mètres elle aussi, puis un second grillage, de l’autre côté de la piste. Pour parler à un Libanais, ce ne sera pas évident non plus.

 

Débarquée ici pour travailler à la Ména comme journaliste, ce sera mon quotidien ; à droite, descendant vers le Sud,  le village de Metula et le pays d’Israël, à gauche, le bout de l’univers, infranchissable, sauf en rêve.

 

Comment vivent les habitants du bourg chiite de Kfar Kileh en face ? Le paysage est calme ces jours-ci, mais le long de cette frontière ont souvent lieu des affrontements entre l’armée israélienne et les miliciens du Hezbollah.

 

De nombreux hameaux alentours appartiennent à la communauté chiite libanaise. Si l’embrasement dont tout le monde parle se produisait, j’ignore quelle serait ma réaction. Peur ? Paralysie ? Courage ? Fuite ?

 

Comment pourrais-je le savoir, alors que  je ne me suis jamais trouvée au centre d’une situation de guerre, si immédiatement exposée au danger. Des centaines de roquettes Katioucha sont dirigées en permanence sur Israël, sur Métula, sur moi, tout le long de la frontière.

 

A narrer la situation de la sorte, j’ai des raisons de me sentir inconfortable. Et pourtant, je ne suis pas seule ici. La maison qui m’accueille, les voisins, tout le village (environ 1500 habitants)… tous vivent normalement, sans trait d’angoisse apparente.

 

En guise de cadeau de bienvenue, Stéphane Juffa, le rédac-chef de l’agence, m’emmène promener avec lui Taz, le boxer, la star incontestée de la Ména. Sur le chemin qui longe la frontière, à un demi-cheveu du Liban, je suis encore surprise par le calme qui règne.

 

Un Hummer – sorte de grosse Jeep blindée - de Tsahal fait son apparition au bout d’une trentaine de minutes. Les soldats qui la pilotent appartiennent à l’unité druze Herev (Le Sabre), ils m’accueillent amicalement, ils ont l’air de grands gamins bien nourris. Ca n’est pas ainsi que j’imaginais des soldats sur une frontière chaude.

 

Deux gentils colosses me hissent dans le Hummer pour me montrer, sur un grand écran électronique, des bâtiments sur la colline libanaise ; je les vois dans leurs moindres détails ; le joystick qu’ils ont placé sous ma main pourrait envoyer d’énormes projectiles, capables de remodeler la topographie de la région. J’ai les positions du Hezbollah à portée d’index !

 

Comment est-ce pour les habitants de Metula de vivre à la limite du pays, nez-à-nez avec un voisin hostile ? Je décide d’aller sans tarder me promener dans le village, afin de discuter avec les passants, histoire de me faire une idée sur la question.

 

Les rues sont paisibles, très paisibles même ; seules quelques personnes croisent mon chemin. Je les aborde une à une et me présente, "bonjour, moi c’est Sandra, je viens d’arriver ici, je désirerais savoir comment c’est de vivre à Metula ?".

 

Les habitants sont unanimes : ils adorent ; pour son rythme de vie tranquille et relaxant, ses habitants, le climat frais, l’atmosphère de village.

 

Pour eux, Metula ne se trouve pas "au bout du monde" du tout ; c’est une région d’Israël, certes un peu éloignée du centre du pays, mais un village situé dans un endroit ordinaire : c’est uniquement une question de perspective.

 

La frontière constitue une limite visible, certes, mais Israël n’est-il pas entouré de limites de toutes parts ? Il est difficile d’habiter ce pays très loin d’une frontière. Il en va ainsi depuis sa création, et les habitants n’ont jamais connu la liberté de circuler à leur guise dans la région. Leur vie est ainsi faite, elle contient certaines contraintes.

 

Pourtant, Sam, qui tient une épicerie sur la rue principale, la petite cinquantaine, les cheveux frisés dans tous les sens, à la Ben Gourion, ressent la réalité comme une prison. "Il est étrange de voir un pan de terre s’étaler sous ses yeux sans pouvoir y accéder. La frontière représente ma vie, un morceau de prison".

 

Se rendre au Liban pour y manger un houmous, admirer les paysages, gravir les montagnes, revoir les gens qu’ils connaissaient avant que la barrière ne se referme définitivement, vers 1964, flâner à Beyrouth ou rejoindre l’Europe par la terre, ils en ont tous envie.

 

Après quelques minutes de conversation avec les autochtones, le sujet de la guerre fait immanquablement surface, abordé par mes interlocuteurs. C’est une pensée qui est présente dans un coin de leur tête ; en permanence, reléguée sous leurs activités quotidiennes.

 

A intervalles réguliers, éclate une guerre. Ils en ont pris l’habitude. "Que peut-on y faire" demandent-ils résignés ? Ils n’ont pas connu d’autre style de vie que celui-ci. Les Israéliens respirent ainsi depuis la création de leur Etat, ils manquent de points de comparaison. C’est la "normalité", en quelque sorte.

 

Selon leur caractère, leur histoire, leur éducation, chacun aura une réaction différente face au danger sous-jacent. "Quand j’avais 10 ans, je regardais la télévision, lorsque les bombes ont commencé à tomber. J’ai continué à la regarder. J’ai appris à devenir apathique à la guerre ; c’est mon moyen pour vivre normalement et ne pas tomber dans le stress", complète Sam.

 

Certains affirment qu’ils n’y pensent jamais, et n’ont jamais peur. Pourtant, ce n’est jamais moi qui en parle la première. La conversation est plutôt brève avec les introvertis ; ils se défendent affirmant être très pris par leur travail, n’ont pas le temps de parler. Cette réaction m’intrigue. Serait-ce un moyen de se protéger contre sa propre peur, de la nier en bloc ?

 

D’autres avouent  qu’ils ont peur, parfois. Au détour d’une nuit, une ou deux fois par mois, l’anxiété apparaît chez cette jeune femme de 28 ans, jolie brune élancée, qui se rend chez une amie.

 

En regardant se construire, "de l’autre côté", cet immeuble appartenant au Hezbollah, la crainte a titillé cette femme pleine d’énergie ; une native de Metula, qui a monté son atelier de création de hamacs pour enfants. "En tant que parent, nous nous inquiétons surtout pour nos enfants",  disent-ils tous.

 

Ils affirment cependant se sentir protégés par l’armée. "Elle peut arriver rapidement en cas d’attaque, et sa force dissuade les groupes armés terroristes".

 

Ils rapportent également qu’ici, à Metula, les bombes passent généralement "au-dessus de nos têtes, pour exploser dans la vallée au Sud, près de Kiriat Shmona ; nous sommes trop près les uns des autres pour échanger des obus, le Hezbollah ne prend pas le risque de bombarder ses propres partisans", m’explique ce grand américain de cinquante ans, installé ici depuis la fin de son service militaire à Tsahal.

 

Fait surprenant, "lorsque nous étions enfants", continue la propriétaire de l’atelier de hamacs, "nous avons aimé l’"action" lors des attaques. Cachés dans l’abri, nous en faisions un jeu, cherchant à en sortir pour voir les bombes tomber ; ça faisait comme des champignons !".

 

Tous ensemble s’en amusaient. Ensemble, un mot clé ! Beaucoup sont amis depuis le jardin d’enfants, constamment les uns chez les autres. "Il n’y a pas grand-chose à faire [à Metula]", souligne une adolescente enjouée de 17 ans, "mais ce qu’ils préfèrent, c’est la compagnie de leurs amis, même pour se regarder dans le blanc des yeux".

 

Je dis que je viens d’arriver ici, et on m’invite déjà à venir prendre le café dans la semaine. Pour contrebalancer le problème des guerres récurrentes, les Israéliens profitent de la vie lors des moments de paix. "Nous apprécions davantage le moment présent, prenons la meilleure part des choses", m’explique la belle femme brune de 28 ans.

 

En temps de paix, le quotidien est leur idéal. "Que demander de plus, sinon vivre dans un endroit fleuri, avoir un toit, de la bonne nourriture et une éducation de qualité pour les enfants ?". Ils s’activent à mener une vie normale.

 

Pas facile quand la Menace d’une guerre flotte en permanence dans l’atmosphère ! C’est une tournure d’esprit qu’ils ont intégrée. Une logique particulière. "Mode paix ou mode guerre", passer de l’un à l’autre. Venant de l’extérieur, cela me paraît fou, je l’avoue.

 

Cependant, rencontrer quelques habitants de ce village m’a donné envie d’apprendre à comprendre cette région. Peut-être est-ce ici que je saisirai la substance de l’Etat hébreu, son secret. Et les gens du coin m’ont tant vanté la vie ici ! Parviendrai-je, moi aussi, à ne pas me formaliser de la présence de la frontière, à l’intégrer dans mes habitudes ? Pourrais-je aller tranquillement au grand centre sportif, comme tout le monde ici, en oubliant ce qui m’entoure?

 

"Ils ne se font pas d’illusion", trahit le propriétaire de l’un des hôtels de la rue principale, la guerre reprendra d’un jour à l’autre. Même s’ils espèrent secrètement qu’elle ne sera cette fois pas au rendez-vous. Si près d’une frontière en guerre, les Metulaïm aspirent à la paix. L’ennemi, ce n’est pas le peuple d’à côté ; c’est le Hezbollah. Les miliciens.

 

Les heureux résidents de Metula pensent que les terroristes islamiques font plus encore souffrir leurs propres concitoyens qu’eux. Ils assurent que les habitants des villages libanais, qu’ils connaissent bien, désirent eux aussi la paix.

 

L’ennemi n’est pas le peuple libanais, mais un groupe confessionnel terroriste, dont l’agenda se trouve bel et bien, lui, au bout du monde des idéaux de la population locale. Un bout du monde qui s’approche un peu trop près, parfois, des maisons de Metula.

 

 

MetulaNews

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