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Soixante-dix ans après : la Shoah a échoué

Les Européens, pas uniquement les Allemands

Soixante-dix ans après : la Shoah a échoué (info # 011904/15)[Analyse]

Par Guy Millière© MetulaNewsAgency

 

On célébrait, voici quelques jours, Yom ha Shoah, la journée du souvenir de la Shoah. Une fois de plus, en Israël, les sirènes ont retenti et la population s’est figée pour un instant de silence. A Paris, au Mémorial de la Shoah, on a lu la liste des noms des Juifs français qui ont péri, à Auschwitz ou dans d’autres camps d’extermination. D’autres commémorations ont eu lieu en divers points de la planète. Cela fait soixante-dix ans, cette année, qu’Auschwitz a été libéré et que la barbarie nazie est tombée. Il reste peu de survivants pour témoigner. Ils auront bientôt tous disparu.

 

Mes pensées en un tel moment, je dois le dire, sont partagées. D’une part, je considère qu’il est très important que la mémoire soit préservée, intacte. Oublier les morts, comme cela a été dit tant et tant de fois et à juste titre, serait les tuer une deuxième fois.

 

De l’autre, je dois le redire : je ressens de la tristesse, en songeant que ce sont, surtout, les Juifs qui préservent la mémoire des morts.

 

L’expression « crime contre l’humanité » n’a de sens que si on comprend que la Shoah n’a pas été seulement un crime contre les Juifs, mais également un crime contre l’humanité entière, et un crime contre l’idée même d’humanité ; elle a été la barbarie la plus abjecte, un assassinat commis en commun par des millions d’Européens, qui, en le perpétrant, se sont exclus de l’humanité.

 

On enseigne très insuffisamment la Shoah dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités d’Europe aujourd’hui, et cela ne me semble pas sans conséquences sur les esprits et sans signification concernant l’évolution de ce continent.

 

Je ressens plus de tristesse encore en songeant qu’en Europe, on relativise trop souvent la Shoah, en ne soulignant pas, ou pas assez, qu’elle fut un crime sans équivalent dans l’histoire. Or, non seulement elle fut la seule tentative d’élimination totale d’un peuple par des moyens industriels, mais aussi, cette tentative se déroula sur un continent qui prétendait incarner la civilisation. Les autres crimes qu’on appelle génocides sont indubitablement abominables et abjects, mais aucun d’eux ne peut être comparé à l’ethnocide nazi pour ces deux raisons précises.

 

Je pense que la relativisation de la Shoah, ou la volonté de la comparer à d’autres crimes qu’on qualifie de génocides, conduit inévitablement à sa banalisation et aux abus de langage issus d’un relativisme plus large : ceux qui amènent certains à parler, en langue de bois contemporaine, de « concurrence mémorielle ».

 

Il se dessine, en Europe, en raison de ladite « concurrence mémorielle », une volonté de tourner la page et de « passer maintenant à autre chose ».

 

Et le fait que tant de gens en Europe veuillent désormais « passer à autre chose » tient à ce que les Européens n’ont pas vraiment tiré les leçons de la Shoah ; ils n’ont pas surmonté la détestation des Juifs qui a marqué le Vieux continent deux millénaires durant et, selon l’expression très juste de Zvi Rex, n’ont pas « pardonné Auschwitz aux Juifs ».

 

Il y a eu une volonté d’effacement des Juifs pendant tout le temps que l’antisémitisme a duré en Europe. Les Juifs ne se sont pas effacés eux-mêmes. La Shoah a été une tentative concentrée et organisée pour les anéantir.

 

Nombre de gens en Europe ont eu honte quand la Shoah ait été mise au jour. Ils ont pratiqué ce qui fut nommé le « devoir de mémoire ». 

 

Ils veulent maintenant ranger le « devoir de mémoire » sur une étagère.

 

Ils en veulent aux Juifs, tout à la fois parce qu’il y a eu la Shoah, qui, sans Juifs, n’aurait pas eu lieu, et également parce que les Juifs sont bien décidés à protéger la mémoire.

 

Ils en veulent aux Juifs de n’avoir toujours pas disparu, et aussi, d’avoir désormais un pays où se garde la mémoire et qui assure par son existence que les Juifs ne disparaîtront pas et qui, donc, montre que la Shoah a échoué et n’a pas triomphé.

 

Le pays juif, Israël, les irrite et suscite leur détestation, parce que c’est le pays juif, né à nouveau, malgré deux mille ans d’antisémitisme et malgré la Shoah.

 

Il  les irrite et suscite leur détestation, parce qu’il montre, malgré deux mille ans  d’antisémitisme et malgré la Shoah, que le peuple juif est vivant, debout et, qu’effectivement, il protège et perpétue la mémoire.

 

Je suis de ceux qui pensent que si, partout en Europe, les sirènes avaient résonné et la population s’était figée pour un instant de silence en même temps qu’en Israël, l’Europe serait plus saine, plus digne, plus humble, plus à la hauteur des valeurs éthiques qu’elle prétend incarner. 

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