Terrorisme : changer de logiciel, par Simone Rodan-Benzaquen
La tentative d'attaque dans le Thalys reliant Amsterdam à Paris le 21 août dernier avait de nouveau provoqué un choc profond dans l'opinion française.
C'est que depuis le mois de janvier, la France fait face à une violente vague d'attentats terroristes.
Ainsi cette attaque survenait huit mois après le barbare assassinat par les frères Kouachi des journalistes et dessinateurs de Charlie-Hebdo, le meurtre d'une policière municipale à Montrouge par Amedy Coulibaly qui tuera le lendemain quatre clients du magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, l'interpellation quatre jours plus tard d'un jihadiste présumé suspecté d'appartenir à une filière vers la Syrie après qu'il a menacé de mort un policier à Elbeuf, l'agression de trois militaires en faction devant un centre communautaire juif à Nice, le projet d'attentat échoué contre une église à Villejuif après que son auteur a été blessé en tentant de voler une voiture à une femme qu'il finira par tuer, la décapitation d'Hervé Fornara par Yassin Salhi avant qu'il tente de ne faire exploser l'usine Air Products à Saint-Quentin Fallavier et l'attentat avorté du camp militaire de Fort Béar à Port Vendres.
Cette longue série de menaces et de crimes djihadistes - qui sont seulement ceux dont nous avons connaissance - montre combien la France est plus que jamais une cible privilégiée des terroristes islamistes.
Qu'il s'agisse de s'en prendre aux forces de l'ordre, à la liberté d'expression ou aux Juifs en tant que tels, ce sont les valeurs démocratiques et républicaines de la France qui sont systématiquement attaquées.
Pourtant, même un mois après la tentative d'attentat dans le Thalys, la société française ne semble pas vraiment avoir pris la mesure de la guerre qui lui a été déclarée et d'en tirer les conséquences.
Il est cependant grand temps pour notre pays de prendre conscience de la réalité de la menace terroriste et de ce qu'elle représente pour notre démocratie afin de pouvoir tenter sérieusement de l'endiguer.
Hélas, une partie de nos compatriotes défendent des réponses souvent déplacées et au minimum inadéquates à la gravité de la situation.
Il y a ceux qui produisent des discours relativistes et infantilisent les tueurs, ceux pour qui le terrorisme est seulement le fruit du désespoir, qui ne savent pas faire la distinction entre l'analyse des causes et sa justification. C'est le refrain que l'on a souvent entendu chez ceux qui accusaient les journalistes de Charlie Hebdo d'être "islamophobes", qu'en représentant le prophète Mahomet, ils l'avaient d'une certaine manière cherché.
D'autre part, ceux qui estiment que le terrorisme peut se justifier par le conflit proche-oriental. Ce sont tous ceux qui ont estimé après l'assassinat d'Ilan Halimi, des enfants juifs de Toulouse ou des clients de l'Hyper Cacher qu'il ne s'agissait que d'un conflit entre Juifs et musulmans dans lequel des citoyens français pouvaient se faire tuer sur le chemin de l'école ou en faisant leurs courses en raison de la politique d'Israël vis à vis des Palestiniens.
Ce sont eux-aussi qui nous expliquent que le vrai problème de notre pays est l'"islamophobie" et non l'islamisme radical et dont le seul objectif est d'expliquer aux Français musulmans qu'ils ne font pas vraiment partie de la République, car ce pays les discrimine et les rejette.
Et puis, il y a tous les "profiteurs de la situation", ceux qui utilisent cette occasion pour dénigrer tous les musulmans, tous les étrangers, qui ne savent que jouer avec les peurs. Les islamistes renforcent leur discours, ils sont leurs complices objectifs. Ce sont les pyromanes.
Mais il y a aussi une majorité silencieuse. Peu suspecte d'être sensible aux discours rétrogrades et réactionnaires des djihadistes. Mais pas non plus particulièrement encline à lutter pour défendre les valeurs républicaines. Un sentiment d'apathie, de fatalisme la caractérise.
Notre société doit pourtant se réveiller. Elle a le devoir de se battre sur deux fronts : s'opposer à l'islamisme radical et faire barrage à toutes les récupérations, tous les discours qui visent à fracturer notre société et à jeter une partie de la population contre une autre.
Il n'est décidément que temps de réaffirmer nos valeurs. Mais également de redécouvrir des vertus comme la solidarité, le courage, le partage et la vigilance. C'est ce qu'avait souhaité faire le Ministère de l'Intérieur suite aux terribles attentats de janvier dernier avec la campagne "Tous vigilants et tous acteurs". Force est de constater qu'elle n'a pas eu l'écho recherché.
Sans paranoïa et sans céder à la psychose dans laquelle les terroristes veulent plonger les démocraties auxquelles ils s'attaquent, il convient donc de sortir du déni qui continue d'entourer l'ampleur du danger terroriste dans notre pays.
Nous devons collectivement changer d'attitude et de logiciel. Notre mode de vie est attaqué et nous regardons ailleurs en espérant que la tempête passe. Ce n'est pas viable. Nous devons dès maintenant former nos jeunes à la vigilance.
Car ce n'est certainement pas un hasard si ce sont principalement des militaires américains qui ont évité un bain de sang dans le Thalys. Depuis le 11 septembre 2001 la campagne "See something say something" aux Etats-Unis impliquant chaque partie de la population américaine a su unir toutes les composantes ethniques et sociales du pays autour de la même ambition : celle d'être vigilant et solidaire face à la menace et de protéger coûte que coûte les valeurs de leur nation. Secrétaires d'Etat, policiers, simples citoyens, comédiens de Holywood ou basketteurs stars de la NBA, tous se sont mobilisés dans des vidéos multidifusées dans les lieux publics américains pour rappeler la nécessité d'être vigilant face à la menace et promouvoir une société unie face à la menace terroriste.
Quand la société française va-t-elle réaliser que c'est tout ce qu'elle est qui est attaquée aujourd'hui et le sera hélas encore probablement demain ? Doit-on attendre le prochain attentat, la prochaine tuerie ?
Il ne s'agit pas ici de donner des leçons sur qui a été courageux ou non, personne ne sait ce qu'il ferait dans des circonstances aussi violentes et anxiogènes, il s'agit, en revanche, d'avoir une ambition commune : celle de n'avoir aucune complaisance pour le terrorisme et de s'inscrire dans une dynamique collective pour lutter de toutes les façons possibles contre lui.
Chacun sait que l'objectif des intégristes islamistes est de diviser la société, de provoquer un choc de civilisation, de renforcer les extrémistes feignant de lutter contre eux et de monter les musulmans de chaque pays démocratique auxquels ils s'attaquent contre le reste des populations. Ne leur faisons pas le cadeau de la fracture et de la fragmentation et montrons leur un visage uni.
La réussite de la lutte contre le terrorisme ne peut passer que par le rassemblement de tous les citoyens. Ce qui, naturellement, exclut tout discours d'anathème ou d'amalgame vis à vis de nos compatriotes musulmans mais qui oblige également à refuser l'omission et le déni de réalité sur le menace islamiste qui ne provoquent que la montée des populismes - comme en témoigne encore les dernières enquêtes d'opinion qui depuis maintenant près d'un an place la candidate de l'extrême droite en tête des intentions de vote à la prochaine élection présidentielle-
En somme, face au double danger du terrorisme et de sa récupération extrémiste, la société française n'a aucune autre alternative que l'unité. Faisons donc du défi qui nous est lancé une occasion unique de nous rassembler.
Simone Rodan-Benzaquen - Directrice France de l'American Jewish Committee
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