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TGM Tunis Goulette Marsa, par Fred Mel

TGM Tunis Goulette Marsa

 

By Fred Mel

 

 

Je ne suis pas Juif !

Au seuil de mon adolescence à Tunis, mon oncle m’a presque donné envie de l’être. C’était un antisémite dur comme fer.  O combien avais-je alors souhaité avoir la même éducation que mon pote d’alors, Serge Bensasson, et devenir le futur Einstein de la relève…

            J’y consacre tout un chapitre dans mon polar « TGM Tunis Goulette Marsa » récemment publié en numérique chez lulu.fr, où le Tunisien exilé en Italie depuis des décennies que je suis,  mêle l’intrigue politico-mafieuse du régime récemment déchu aux souvenirs des lieux  et des moments de pur bonheur, sous le soleil de la Tunisie.

            Voici le lien, absolument clean,  pour le télécharger, si vous voudrez bien.

http://www.lulu.com/shop/fred-mel/tgm-tunis-goulette-marsa/ebook/product-21760570.html

            Dans cet espoir, je vous souhaite bonne lecture et de bons souvenirs. Et merci d’avance pour vos éventuels commentaires.

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Price: $4.02

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Fred Mel  belkomel@gmail.com

(nom de plume)

Chap 47 - L’oncle

 

Après le cocktail chez Alex, exclu de la cavalerie qui partait pour Kébili pour incapacité guerrière, Farouk rendit visite,  comme promis,  à l’ami Rachid, le marchand du kiosque du terminus du TGM qui avait concédé l’atténuante de la soif de culture à la bande de jeunes basketteurs-voleurs de journaux. Meriam, l’épouse de Rachid lui avait préparé un somptueux couscous au poisson, son plat préféré,

— C’est vraiment délicieux dit-il à Oum* Meriam,  je me régale vraiment. Je vais revenir plus souvent à Tunis, ton couscous et votre amitié valent le voyage.

Après les desserts et le thé, Rachid évoqua les souvenirs du temps passé, ceux des autres membres du groupe qui avaient continué à acheter leurs journaux chez lui, maintenant qu’ils avaient les cheveux gris.

— Après ton départ pour l’Europe, même Si Ammar,  ton oncle,  est venu  régulièrement au kiosque, jusqu’à son décès. Il achetait son Paris Turf et La Presse,  commentait en long et en large les évènements internationaux, et critiquait les journalistes qui ne comprenaient pas que le monde était et sera toujours dominé par l’internationale des juifs et des francs-maçons.  Tu m’avais dit que c’était son idée fixe, mais à ce point, je ne l’aurai jamais cru.  Si j’ai bien compris, il voulait t’inculquer sa vérité,  allez,  raconte.

            C’est ainsi que Farouk en profita pour évoquer cette période de sa vie, devant Rachid et Meriam.

Il commença par reconnaître que ce fut l’oncle, en voulant faire son éducation avec des raisonnements à coup de marteau, soutenus par des proverbes et des dictons nuls et enfantins,  qui éveilla en lui son esprit critique, le fit réfléchir, comparer, approfondir, et surtout, se méfier des idoles qui entendent prêcher le vrai et le verbe.

L’oncle était un petit homme trapu qui suintait la suffisance. Il paradait devant son image dans la glace, en caleçon, tricot de corps, chaussettes soutenues par des jarretelles, et des souliers de style anglais, reluisants comme un miroir.

Il admirait son reflet, retouchait la teinture rouquine de ses cheveux afin qu’aucun poil blanc ne restât en vue, et taquinait l’institutrice française qu’il était orgueilleux d’avoir pour compagne — selon lui, seuls les grands personnages de sa stature intellectuelle,  pouvaient aspirer à épouser une citoyenne française. Il lui récitait des vers estropiés des fables de la Fontaine : « Maîtresse Corinne, derrière moi cachée… »  qui amusaient follement cette dernière, remplie d’admiration par la fantaisie créative du grand homme..

 L’oncle affrontait ensuite le problème majeur, qui lui prenait un bon quart d’heure, le choix  du complet, de la chemise et de la cravate. Aucune intervention de son épouse n’était admise. C’était une affaire d’homme.  Pas si simple que ça.

— Tu n’étais tout de même pas obligé d’assister à ce numéro.

— Dans un certain sens oui. Armé de patience intéressée, dans l’attente de toucher mon argent de poche de la semaine, depuis l’âge de 10 ans,  j’assistais tous les dimanches en fin de matinée, à ce rituel vestimentaire dans la grande chambre à coucher. C’était le prix à payer.

C’était toujours pareil. De la phase vestimentaire, il passait à la phase hippique.  Une fois habillé, l’oncle déployait Paris-Turf  et lisait,  à mon adresse, les noms des chevaux qui devaient participer aux courses programmées durant l’après-midi au Parc de Vincennes, à Paris. Plus tard, Kassar Saïd, le champ hippique de Tunis, transmettra en direct le compte-rendu mètre par mètre. L’oncle égrenait alors des noms qui alternaient l’exotique au grotesque: Nouistiti, Tatayoyo, Rien Ne Va Plus,  Kilo de Trot, Merci Tonton, Nabuchodonosor, etj’avais le grand privilège de choisir le nom du cheval qui me chantait le plus. Il le cochait au crayon rouge.

Toutefois, insensible aux désirs de l’enfant que j’étais, il ne me proposa jamais de l’accompagner au champ de courses et ne me révéla jamais si je lui avais indiqué le nom d’un cheval gagnant, ne fût-ce qu’une seule fois.  “Pourquoi n’emmenons-nous pas Farouk à Kassar Said avec nous ? ” avait demandé une fois sa compagne qu’il finira par épouser vingt cinq ans plus tard, pour des questions strictement matérielles. L’oncle expliqua qu’il ne fallait pas réveiller des convoitises, ni pousser la jeunesse sur la voie du péché, les paris, affirma-t-il, étant le moins sérieux des siens. Allah, le clément, glissera sûrement dessus.

Un fois à table, il passait à la phase « éducative », initialement centrée sur le dénigrement de ceux que l’oncle appelait les « Krab », terme qui, dans sa bouche, attribuait à ses concitoyens les pires défauts de ce monde: hypocrites, imposteurs, déloyaux, fourbes, malhonnêtes et paresseux...  Ensuite toute la famille, qui en voulait à son argent, en prenait pour son grade, sans oublier le directeur de la banque qui ne maintenait pas ses promesses, bien qu’il vînt souvent déjeuner chez lui.  Et, par dessus le marché, le locataire du café au rez-de-chaussée de l’immeuble ne payait pas le loyer depuis des mois…  Je devais en prendre de la graine, me méfier de cette catégorie de personnages infâmes.

Au plat de résistance,  l’oncle passait à la phase de transmission de son idée fixe,  afin que son neveu sût à quoi s’en tenir à l’avenir: faire gaffe aux Juifs et aux Francs Maçons.

Or, depuis que Serge B., rencontré quelques mois auparavant au Club de Judo, était devenu mon meilleur ami, j’avais constaté que ces Juifs ne semblaient pas si diaboliques et si pervers que l’oncle le proclamait à tous les repas, à l’usage de quiconque s’assoyait à sa table.  En vérité, l’entourage de Serge m’avait ouvert les premiers horizons dépourvus d’anathèmes, et impressionné par l’accueil simple et chaleureux, sans impositions hypocrites, par la culture approfondie, éclectique, et par les sincères rapports d’amour, de respect, qu’ils manifestaient entre eux, et envers les autres.

            — Bien sûr, me ferma le clapet l’oncle, ils cachent leur jeu sous les bonnes manières pour mieux te piéger… Ils ne sont pas idiots! Faut pas te fier aux apparences.  Et aux propres sentiments ? Aux sensations intimes ? Me demandais-je. Petit à petit, je commençai à me méfier des sempiternelles « instructions éducatives » rabâchées par l’oncle.

            — Tu vois, me dit-il un jour, tu ne t’es jamais demandé pourquoi la famille de ton ami Juif possède le grand appartement que tu m’as décrit, dans le très sélect immeuble du Colisée, en plein centre de Tunis ?

Et sans attendre de réponse, il ajouta :

— Eh bien, simplement parce les Juifs ont pour mission la conquête du monde entier. La preuve ?  La famille de ton ami contrôle la production et la vente du sucre en Tunisie. Ce qui veut dire qu’ils peuvent nous en priver quand ils le veulent. T’es-tu posé la question ? Comment se fait-il que le sucre ne soit pas dans les mains de ton père, par exemple ? C’est bien simple, c’est parce qu’il n’est pas Juif. On ne lui laissera aucune chance d’y parvenir. Tu devrais le savoir maintenant, ces gens-là  contrôlent les banques, la presse, la radio. Tu leur payes tous les films que tu va voir au cinéma, ils nous font danser sur les disques que nous leurs achetons, nous vendent à prix fort les matières premières de nos terres, comme le pétrole, le blé et le sucre. Chez les krab par contre, c’est zéro pointé.

Je réalisai alors que l’oncle éprouvait un rejet à la fois haineux et admiratif pour ce peuple. Il les enviait, en somme. Il en était atrocement jaloux, et sa jalousie alimentait sa haine.

Quand je voulus lui communiquer mon estime pour l’entourage de mon ami, l’oncle  alla prendre un petit cahier d’écolier assez usé, entièrement écrit à la main, le posa sur la table et déclara, l’air solennel, d’homme à homme:

            — Maintenant,  tu es assez grand pour savoir comment ils ont planifié les étapes de leur complot pour la conquête du monde.  Vois-tu, j’ai réussi à recopier ce document très secret, destiné uniquement à l’internationale des juifs. Lis-le attentivement et rends-le moi sans le faire voir à personne. Tu comprendras pourquoi ton soi-disant ami Serge ne pourra jamais être un vrai ami pour toi, n’étant pas juif comme lui.

Il me mit le cahier en main. Le titre, souligné à l’encre rouge, occupait toute la première page: « Les Protocoles des Sages de Sion ».  Il dévoilait, me dit-il, le plan secret de la conquête du monde conçu par les Juifs et les Francs-Maçons. Je devais le lire attentivement, bien ouvrir les yeux pour décrypter leurs manigances, afin deparvenir à contrecarrer leur complot.

Je lus tout le cahier cette nuit-là et, en le refermant, je me suis  demandé si, en fin de compte, mon oncle n’avait pas quelque bonne raison pour se méfier de ces gens-la. C’était, pensais-je alors, un plan déjà mis en œuvre et tout était prévu, noir sur blanc,  pour en assurer la pleine réalisation.

L’oncle ne travaillait pas. Profession déclarée: propriétaire.  Ses deux frères, dont mon père, et ses trois sœurs lui avaient confié la gérance de la majeure partie des propriétés agricoles et immobilières de la famille. Une fois les rennes de ce patrimoine en mains, il ne leur versa plus la moindre quote-part annuelle au prétexte que la moisson de l’année en cours n’avait pas été bonne,  que les frais d’entretien des immeubles, toujours plus chers, l’avaient obligé à équilibrer les comptes en y mettant du sien.

C’étaient eux qui devraient le rembourser, plutôt, factures à l’appui… Personne ne protesta de peur de devoir le faire,  bien qu’ils eussent toujours douté du bien fondé de ses justificatifs.  D’autre part, les avocats et les experts comptables coûteraient trop cher pour entamer une procédure en justice.

Quelques jours après la révélation troublante des Protocoles qui dévastèrent mes points cardinaux, en ami sincère, je finis par en parler à Serge. Pour toute réponse, celui-ci me fixa, l’air incrédule, atterré:

— Toi aussi?  Comment peux tu croire à toutes ces balivernes. Viens avec moi à la bibliothèque municipale.

Là, il me confia un exemplaire du Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu, publié par Maurice Joly en 1864, pour dénoncer un complot bonapartiste.

— Lis-moi ça et fais-toi voir dès que tu auras compris. 

 

Et il s’en alla sur un salut très cordial.

 

Mes troubles et ma confusion augmentèrent quand je comparai, ligne à ligne,  les Protocoles et les Dialogues. L’oncle avait tout faux ! Il m’avait refilé la copie intégrale d’un texte bien antérieur aux Protocoles, dénué de tout rapport avec les juifs.  Le roi devint nu ! Son auréole « culturelle » en prit un sacré coup.

 Comment le grand homme pouvait-il transmettre sa haine envieuse, manipuler ma petite tête en pleine formation avec un document qu’il n’avait jamais pris la peine d’en vérifier l’authenticité ?  Ça corroborait son antisémitisme, ça justifiait son fanatisme. C’était suffisant.

C’est ainsi qu’à 12  ans,  je découvris un autre monde. Sans toutes ces idées reçues révélatrices du crétinisme culturel dont souffrait alors  une bonne partie de la génération de Tunisiens nantis, qui avaient allègrement vécu en prenant l’apéro avec les colons, dont le Brevet d’Études sanctionnait le savoir-faire, le Certificat, la culture,  et le Baccalauréat,  le summum du savoir.

Pour combler cet abîme culturel, ils  transmettaient des histoires sans aucun fondement, sans aucune vérification, sans nourrir aucun doute, de père en fils, d’oncle à neveu, tels des biens et des valeurs héréditaires, comme les immeubles, ou comme la religion.  Surtout,  ne pas laisser les enfants dévier du droit chemin, tuer dans l’œuf tous leurs doutes, toutes leurs questions, toute soif de connaissance défiant la leur.  « Tu ne vas pas contredire ton oncle, tout de même, disaient-ils, comment oses-tu lui manquer de respect ?  Tu comprendras quand tu seras plus grand… » 

Je réalisai alors que je poussais dans un milieu où j’avais de fortes probabilités de mourir idiot.  Quelle différence avec ce qui se passait au sein de la famille de Serge où l’écoute, le respect, l’amour de l’enfant et l’attention aux mille sentiers de sa culture régnaient en maîtres pour faire pousser les petits Einstein du futur.  Que n’étais-je pas le Serge de la relève?

*Oummi ma mère en arabe. Utilisé en lieu et place de Lella avant le prénom, quand on s’adresse à une personne d’un certain âge, considérée comme membre de la famille. Pour un homme on dirait Baba, père en arabe, ou bien Ammi, mon oncle en arabe.

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