Tunisie. Leïla Ben Ali : « Je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit »
Depuis son départ précipité de Tunisie, le 14 janvier 2011, la femme du président déchu n’avait jamais parlé. D’Arabie saoudite, elle nous a accordé une interview exclusive où elle livre sa vérité, mais aussi ses regrets.
Propos recueillis par Thibault Raisse (avec la participation d’Henri Vernet)
Une semaine après la sortie de son livre, « Ma vérité »*, Leïla Ben Ali, née Trabelsi, l’épouse du président tunisien déchu, nous a accordé — après avoir très longtemps hésité — sa première interview depuis son départ précipité de Tunisie le 14 janvier 2011, au plus fort de la contestation qui a chassé son mari après vingt-trois ans de pouvoir sans partage.
Depuis, le couple vit en Arabie saoudite, dans un lieu tenu secret. Durant cet entretien, réalisé grâce au logiciel de communication par ordinateur Skype, celle que l’on présente comme la femme la plus détestée du pays répond sans détour. Des tirs à balles réelles sur les manifestants jusqu’aux soupçons d’affairisme en passant par les libertés politiques, elle n’a refusé d’aborder aucun sujet, évoquant ses regrets tout en rejetant de nombreuses accusations portées contre elle. Prudente, elle s’est gardée de commenter les premiers pas du gouvernement de l’islamiste Hamadi Jebali, craignant de « sortir de [son] rôle ». Alors que seul le son était activé, l’ex-première dame a fini par brancher sa webcam en fin d’entretien. Elle est apparue voilée, un brin maquillée, ses lunettes chaussées. Derrière elle, son mari, Zine el-Abidine Ben Ali, vêtu d’un polo blanc, a même fait une courte apparition, afin de « faire taire les rumeurs de mauvaise santé ».
Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre ?
Leïla Ben Ali. Je voulais donner ma part de vérité pour répondre à la campagne médiatique mensongère dont j’ai fait l’objet en Tunisie, et dans certains pays, sans pouvoir me défendre. J’ai très mal vécu cette période, et c’est encore difficile aujourd’hui. Il y a eu un acharnement contre nous, des mensonges, des faux témoignages.
Qu’avez-vous pensé au moment des premières émeutes ?
Je ne parle pas d’émeutes. Pour moi, il s’agit d’un coup d’Etat orchestré, téléguidé, préparé, mais dont j’ignore les commanditaires. Il y a eu une grande manifestation spontanée à Tunis, c’est vrai, comme il y en a parfois aussi en France. En revanche, dans les banlieues, ces soi-disantes manifestations étaient organisées pour déstabiliser le pays. Il y a eu des incendies, des pillages. La police était là et n’a pas bougé. Je ne crois pas du tout au scénario d’une révolution spontanée née d’une contestation de la jeunesse.
Comment s’est organisé votre départ ?
Nous n’avons jamais eu l’intention de fuir. Le matin du 14 janvier, je me trouvais chez moi. Mon mari m’a téléphoné depuis le palais de Carthage pour me suggérer de partir en Arabie saoudite faire la omra (NDLR : un pèlerinage), le temps que le calme revienne. L’idée n’était pas de lui, mais d’Ali Seriati, le chef de la sécurité présidentielle. A mon grand étonnement, mon mari était là, lui aussi, à l’aéroport. Seriati a tout fait pour le convaincre de partir avec nous, alors qu’il ne voulait pas. Nous sommes partis sans bagages, ni argent, ni passeport.
Ce même jour, Bernard Squarcini [le patron des renseignements français] a — écrivez-vous dans votre livre — pris contact avec l’une de vos filles présente à Paris…
Il lui a dit : « Ne t’inquiète pas pour papa, il est parti en Arabie saoudite. » J’ignore comment il a pu savoir aussi vite que nous avions quitté le pays…
La révolution a fait 300 morts. Votre mari a-t-il donné l’ordre de tirer sur les manifestants ?
Jamais. Pour le prouver, l’avocat de mon mari a demandé que les enregistrements des communications entre le président et les ministres de l’Intérieur et de la Défense soient remis à la justice. Etonnamment, le gouvernement transitoire a refusé d’accéder à cette demande. Quoi qu’il en soit, je ne peux que déplorer la perte de vies humaines. Je présente mes sincères condoléances à ces familles. Que Dieu allège leur souffrance et que ceux qui ont donné ces ordres soient jugés.
Quelles étaient vos relations avec Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ?
Ils nous ont toujours soutenus. Jacques Chirac nous a dit une fois : « Comment faites-vous pour avoir une économie aussi florissante sans ressources naturelles ? » Nicolas Sarkozy était tout aussi élogieux. J’ai été déçu qu’il n’affiche pas son soutien au moment de notre départ. Il a même laissé dire que la France refuserait de nous accueillir sur son sol alors qu’il n’en a jamais été question. Le seul à nous avoir soutenus jusqu’au bout, c’est Frédéric Mitterrand (NDLR : ministre de la Culture de Sarkozy).
Vous dites avoir commis des « manquements » durant vos années de règne…
Je ne me mêlais pas de politique. Je suis une fille du peuple. Mon quotidien était consacré aux œuvres caritatives et sociales. A côté de cela, j’ai fait en sorte d’aider mes proches à mieux vivre, c’est vrai. J’ai par exemple aidé un de mes frères à obtenir un prêt, mais il l’a remboursé avant de mourir. Ce qu’on oublie aussi, c’est que j’ai aidé des gens que je ne connaissais pas. J’étais beaucoup sollicitée, je voulais bien faire. Dieu est témoin que je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit. Si je me suis rendue coupable d’une faute à l’égard d’une personne, je lui demande pardon.
Aurait-il fallu plus de libertés politiques ?
Oui, j’en conviens.
Quel regard portez-vous sur votre pays aujourd’hui ?
Je suis optimiste. Je souhaite que la Tunisie retrouve le chemin de la prospérité. J’espère aussi que mes proches, présumés coupables à cause de leur nom, auront droit à une justice équitable. Pour l’instant, il n’y a que de la haine et de la vengeance. Nous sommes nous aussi prêts à faire face à la justice de notre pays dès lors qu’elle est équitable, sans excès ni faveur. Hélas, aujourd’hui, ce n’est pas le cas.
Comment va votre mari ?
Il est en excellente santé, et nous sommes toujours un couple soudé, même si cela déplaît à nos détracteurs. Il a écrit un mot et m’a demandé de vous le lire [ce qu’elle fait] : « Je déplore qu’on ait oublié que, pendant vingt-trois ans, l’Etat, sous ma direction, a amélioré considérablement le niveau de vie de chacun et fait de la Tunisie un pays moderne que bien des nations amies citent en exemple. J’admets néanmoins qu’il restait encore des progrès à accomplir et des libertés à mettre en place. J’espère que mes compatriotes me rendront justice en se souvenant du chemin qu’ensemble nous avons parcouru. Je n’aspire, au crépuscule de mon existence, qu’à conserver l’honneur. »
« MA VÉRITÉ »
LEÏLA BEN ALI, Ed. du Moment, 199 p. 16,95 €.
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