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Tunisie - Pourquoi Abou Iyadh fait-il aussi peur ?

 

Tunisie - Pourquoi Abou Iyadh fait-il aussi peur ?

 

 

 

Son prêche enflammé d’hier et son esquive, au nez et à la barbe de centaines d’agents du ministère de l’Intérieur, ont défrayé la chronique. Accusé d’être l’instigateur des violentes émeutes qui ont mis à feu et à sac l’ambassade américaine, vendredi dernier, le leader salafiste jihadiste, Abou Iyadh, semble narguer tout le monde. 
Mais pourquoi s’intéresse-t-on aujourd’hui à lui et pourquoi fait-il aussi peur ? Au cœur d’un combat politique qui l’oppose aujourd’hui aux islamistes au pouvoir, avec lesquels les relations ont longtemps été ambigües, Abou Iyadh intrigue , impressionne et inquiète plus d’un. Portrait d’un personnage mystérieux et controversé… 

Accusé d’avoir appelé ses fidèles à la manifestation anti-américaine du vendredi 14 septembre, ayant fait 4 morts et des dizaines de blessés parmi les manifestants, Abou Iyadh s’interroge : « si toutes les franges de la société se sont élevées contre ce film offensant au Prophète, lors de la manifestation en face de l’ambassade US, pourquoi l’ensemble des accusations a-t-il été dirigé vers une seule et unique partie [NDLR : les salafistes jihadistes] ? ». 

Abou Yadh assure que l’appel à manifester ce jour-là n’avait nullement été accompagné d’incitation à la violence. Il aurait été aperçu sur les lieux des émeutes par le leader de Hizb Ettahrir, Ridha Belhaj, et  d’autres sources affirment, en revanche, qu'il a donné toutes ses instructions à ses disciples par téléphone.

Le soir même de la manifestation, les forces de l’ordre opèrent une descente chez lui. Sans succès. Sa présence est signalée le lendemain au cimetière El Jellaz (Tunis) pour assister aux funérailles d’un des manifestants tués sur les lieux. Présence que les forces de l’ordre démentent. 

Mais qu’il ait été présent ou non sur les lieux des funérailles, Abou Iyadh a, de nouveau, défié les forces de l’ordre et s’est échappé sans problème du dispositif sécuritaire déployé, hier, devant la mosquée Al Fath où il prononça un discours devant des centaines de fidèles. Apparition qui a été annoncée le matin de ce jour même sur les réseaux sociaux. 
Dans la tribune de la mosquée, il demande la démission d’Ali Laârayedh, ministre de l’Intérieur, et l’accuse d’être responsable des débordements qui ont eu lieu lors de la manifestation devant l’ambassade. Selon lui « tout ceci serait organisé ».
« Nous refusons d’être leur bouc émissaire et nous ne serons pas une carte à jouer dans leurs calculs politiques », lance Abou Iyadh avant de sortir de la mosquée, sans être inquiété, escorté par les siens, malgré l’important cordon policier déployé à l’extérieur. 
Ainsi, le salafiste jihadiste de 47 ans, à la longue barbe, continue à narguer les autorités…

De l’intérieur des geôles, Abou Iyadh, de son vrai nom Seif Allah Ibn Hussein, a pu se constituer, pendant les 8 années de sa détention, une image de guide spirituel pour de nombreux adeptes du salafisme jihadiste, assoiffés d’apprendre ses enseignements et de s’imprégner de son expérience internationale du jihad. Disciple du très connu, mais certes controversé, Abou Qatada, l’homme a parcouru le monde, gravitant dans les milieux islamistes radicaux. 

Il a quitté la Tunisie, en 1991, pourchassé par le régime de Ben Ali, à l’époque en pleine croisade anti-islamiste, et part s’installer au Maroc où il poursuit ses études de droit. Rattrapé par les autorités tunisiennes en 1994, il part se réfugier en Angleterre qui refuse de lui accorder l’asile politique et finit par le considérer comme persona non grata sur son territoire à cause de ses nombreux prêches accusant l’Etat britannique d’être « à l’origine de la défaite des musulmans ». 
Après avoir quitté l’Angleterre, Seif Allah Ibn Hussein, s’engage contre les forces américaines en Afghanistan et parcourt de nombreux pays, séduit par les appels de la guerre sainte.
Il finit par se faire arrêter en Turquie en 2003, et extrader en Tunisie où il fut condamné à plus de 68 ans de prison en vertu de la loi anti-terrorisme de 2003, accusé de « haute trahison et d’appartenance à des organisations intégristes terroristes, dont Al Qaïda ». 

Ses relations avec Al Qaïda, Abou Iyadh ne les nie pas. Il affirme même être proche de Ben Laden qu’il a rencontré en 2000 à Kandahar. Un mouvement qu’il soutient certes, sans pour autant affirmer y appartenir. Le Groupe Combattant Tunisien (GCT), qu’il co-fonda en prison en 2000 avec Tarek Maâroufi, est d’ailleurs connu pour être lié à Al Qaïda. 
Libéré en 2011, en vertu de la loi d’amnistie générale qui a permis de libérer plusieurs membres du réseau et de le reconstituer, Abou Iyadh réunit ses disciples et anciens compagnons de cellule autour de l’association de « Ansar Al Chariâa », appelant à «défendre la Chariâa » et protestant contre le gouvernement en place mais sans pour autant préconiser la violence contre les citoyens tunisiens, indique t-il dans nombre d’interviews accordées à certains médias depuis sa libération à l’occasion de ladite amnistie générale.
« La Tunisie n’est pas une terre de jihad. Nous n’avons pas levé d’armes contre le peuple et nos discours radicaux sont dirigés contre le gouvernement qui ne gouverne pas par la loi de Dieu ». 
Tout en entretenant des rapports privilégiés avec certains hauts membres du parti d’Ennahdha, dont Rached Ghannouchi, Sadok Chourou, etc, les jihadistes ne reconnaissent pas le gouvernement en place ainsi que ses « relations pro-américaines ». 
Selon Abou Iyadh, le gouvernement actuel utilise l’épouvantail salafiste afin d’installer une nouvelle dictature. Le leader jihadiste dénonce les nombreuses affaires « attribuées à tort à ses disciples » et les qualifie d’« aberrantes », tels que les événements de « l’émirat » de Sejnane, l’assassinat de l’homme d’église polonais, l’affaire de Rouhia, les violences à Hergla, Mahdia et Ben Guerdane, ainsi que les dernières émeutes devant l’ambassade américaine…
Le chef des jihadistes soutient que ses disciples « n’enfreignent pas la loi et qu’ils préfèrent travailler au grand jour privilégiant les actions de bienfaisance et de prédication aux actes de violence ». 
«Même si le gouvernement Jebali nous laissera travailler et nous accordera nos droits, l’ambassade américaine ne le permettrait pas car ce sont eux qui gouvernent le pays et tirent les ficelles au sein du parti au pouvoir », affirme-t-il. 

Les derniers actes de violence, compromettant les relations tuniso-américaines, semblent avoir marqué la fin de la « trêve non déclarée » entre le parti Ennahdha et les salafistes jihadistes. Lors de son prêche donné hier à la mosquée El Fath, Abou Iyadh fait ouvertement part de son hostilité au ministère de l’Intérieur et demande à Ali Laârayedh de démissionner de son poste « n’étant plus capable d’assurer la sécurité des citoyens ». 
Devenu encombrant, Abou Iyadh semble être devenu la nouvelle cible du ministère de l’Intérieur qui hésite sur la conduite à adopter face au leader salafiste, compte tenu de l’ambigüité des relations qui lient les deux parties. 

Les récents événements ont fait surgir certains points d’interrogation par les observateurs avertis. Est-ce que la pression, exercée par la diplomatie américaine et l’opinion publique tunisienne, a poussé le gouvernement à mener, à contrecœur, cette croisade contre Abou Iyadh ? Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui le revirement de situation du pouvoir islamiste contre l’une de ses cartes gagnantes dans le jeu politique ?
 

 

Synda TAJINE

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