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Tunisie : quels sont les ennemis de la révolution ?

 

Tunisie : quels sont les ennemis de la révolution ?

 

 

Deux ans après la révolution, les conditions de vie difficiles à l’origine de son déclenchement continuent de se dégrader. Tous les clignotants sont au rouge et tout le monde en est conscient sauf les gens de la troïka au pouvoir qui semblent souffrir de daltonisme. Le gouvernement en place à échoué à apporter la moindre solution aux problèmes du pays, et quiconque fait ce constat est traité d’orphelin du régime déchu, de blessé des élections, de représentant de l’information de la honte, quand il n’est pas tout simplement accusé de comploter contre « le pouvoir légitime », ou contre « le meilleur gouvernement de l’histoire de la Tunisie ».

Le gouvernement en place a échoué à apporter la moindre solution aux problèmes du pays, et la seule chose dans laquelle il fait preuve d’une extraordinaire compétence est la fuite en avant. Voilà sept ou huit mois maintenant depuis que ce gouvernement parle d’un remaniement qui tendrait à écarter les ministres dont le rendement est nul et les remplacer par des personnes plus compétentes. Cela confine à la mascarade, mais le cœur n’est plus à en rire, car cela confirme le peu de cas que les gouvernants actuels font de l’intérêt national. Ce qui les intéresse, c’est leurs intérêts propres, l’intérêt de leurs partis et de leurs proches.

Avec une économie sinistrée et un taux de chômage et de pauvreté qui bât tous les records, les gouvernants actuels continuent d’ignorer l’intérêt national. La preuve en est qu’ils ont été incapables de surmonter leurs divergences sur la manière de redistribuer les postes ministériels, dont les titulaires doivent être changés, non pas en fonction des compétences dont le pays en a un besoin impérieux, mais en fonction des intérêts partisans et personnels des uns et des autres.

Si les gouvernants actuels n’avaient en tête que l’intérêt national, ils n’auraient pas perdu de longs mois dans des tractations stériles au sein de la troïka, mais se seraient tournés vers l’université et la société civile tunisiennes qui grouillent de compétences pour y puiser les personnalités douées, capables de tirer le pays du marasme. Mais force est de constater que l’intérêt national est le dernier de leur souci.

Deux ans après la révolution, les signes d’espoirs sont d’une rareté déprimante. Quinze mois après l’élection d’une Assemblée constituante, censée préparer une Constitution en un an, nous n’avons encore ni Constitution, ni loi électorale, ni instance supérieure indépendante pour la préparation des élections, ni instance supérieure indépendante pour prendre en charge le secteur de l’information, ni un Conseil supérieur de la magistrature pour gérer la justice de manière indépendante du pouvoir exécutif, et la liste des défaillances est interminable.

Le problème est que les responsables de ces défaillances ne tolèrent pas qu’on en parle. Ils n’hésitent pas à traiter d’ennemis de la révolution les journalistes qui mettent en avant les échecs, et ils sont nombreux, de l’équipe au pouvoir. Et ici une question se pose et s’impose: quels sont les ennemis de la révolution? Ceux qui n’ont réalisé pratiquement aucun de ses objectifs et qui passent leurs intérêts partisans et personnels avant l’intérêt national, ou ceux qui alertent l’opinion pour souligner les défaillances et les échecs?

Deux ans après la révolution, un seul acquis et un seulement est perceptible concrètement : la liberté de la presse. Et ici on revient à la question qui se pose et s’impose: quels sont les ennemis de la révolution? Ceux qui défendent bec et ongles cet acquis unique, ou ceux qui ont tout fait et qui continuent de tout faire pour l’étouffer?

A la chute de la dictature novembriste, tous les verrous ont sauté. Les journalistes sont sortis de la cage dans laquelle ils étaient enfermés durant de longues décennies. Ils refusent de regagner la cage comme le désirent ardemment les gouvernants actuels, ignorant les appâts, les menaces et les promesses.

Les juges n’ont pas eu cette chance, et n’ont pas exploité l’instant décisif où les verrous ont sauté pour sortir de la cage dans laquelle ils sont enfermés par le pouvoir exécutif avant et après la révolution. Dés lors, il n’est guère étonnant que des juges et des instances représentatives de la magistrature assise estiment que « la situation de la justice aujourd’hui est pire que celle qui prévalait au temps de Ben Ali ».

Revenons encore une fois à la question qui se pose et s’impose: quels sont les ennemis de la révolution? Ceux qui défendent la liberté de la presse, ou ceux qui sont en train de remuer ciel et terre pour encager de nouveau les journalistes? Ceux qui réclament chaque jour une justice indépendante du pouvoir exécutif ou ceux qui ont remis en place avec un zèle ahurissant et une détermination effrayante le verrou qui a sauté le 14 janvier 2011 pour maintenir les juges dans leur état d’assujettissement au pouvoir exécutif?

Il est pathétique de voir et d’entendre pratiquement tous les jours des représentants du pouvoir prendre à partie les journalistes dont le tort est de s’entêter à préserver et à défendre le seul et unique acquis que le pays a pu avoir: la liberté de la presse.

Cette liberté de la presse est devenue un véritable cauchemar pour les gens d’Ennahdha, et en particulier pour leur président, Rached Ghannouchi, qui ne rate pas une occasion pour s’en prendre à « l’information de la honte » et aux « journalistes contre-révolutionnaires ».  Il ne rate pas une occasion pour leur demander de renoncer à la voie de la « contre-révolution » et de suivre la bonne voie, c’est-à-dire celle de la cage qui était la leur avant le 14 janvier 2011.

En fait, et pour parler en toute franchise, ce qui met  Ghannouchi hors de lui, c’est que les journalistes refusent obstinément de témoigner la même déférence qu’ils témoignaient à Bourguiba et au PSD avant novembre 1987 et à Ben Ali et au RCD après cette date. La raison est simple. Depuis le 20 mars 1956 jusqu’au 14 janvier 2011, il n’y a jamais eu de révolution, et donc aucune opportunité n’a été offerte aux journalistes avant cette date pour pouvoir se libérer de la chape de plomb que leur imposait le pouvoir exécutif.

Ennahdha et son président commettent deux erreurs. Tout d’abord celle de croire qu’après un assujettissement humiliant qui a duré plusieurs décennies, les journalistes peuvent être de nouveau encagés. La seconde erreur est de croire ou prétendre croire que si les journalistes sont contre Ennahdha, c’est parce qu’ils sont un ramassis de gauchistes, de laïques, de RCDistes et autres adjectifs à l’emporte-pièce. Pourtant la vérité est simple et peut  être dite en deux mots : les journalistes sont contre Ennahdha, parce que ce parti n’a rien fait de bon.

Imaginons un seul instant qu’Ennahdha se soit conformée tout simplement à ses promesses électorales. Imaginons, en tant que vrai détenteur du pouvoir, que le parti islamiste ait remis l’économie sur les rails, doté le pays d’une Constitution qui lui fait honneur, réussi la transition démocratique, libéré la justice du carcan hideux qui l’attache au pouvoir exécutif, bref, imaginons un seul instant qu’Ennahda ait mis le pays sur la voie empruntée avec succès par la Turquie? Quel journaliste dirait qu’Ennahdha est une catastrophe pour le pays? Et si quelqu’un le disait, quel citoyen le croirait?

Le malheur est que le parti islamiste au pouvoir a non seulement tourné le dos à ses promesses et aux intérêts supérieurs du pays, mais, depuis son accession au pouvoir, il n’a cessé de manœuvrer pour imposer aux Tunisiens sa version de l’Islam et sa version de l’Etat. Car qu’on le dise clairement, ce qui intéresse Ghannouchi et « l’aile dure » d’Ennahdha, c’est d’extirper la culture « peu islamique » et l’héritage bouguibiste qui prévalent dans ce pays, et les remplacer par une autre culture « véritablement islamique » et, en prime, l’héritage wahabiste, déjà refusé par nos ancêtres il y a plus de deux siècles. Mais là, Ghannouchi risque de se retrouver dans la même situation que Sisyphe qui s’obstine contre toute évidence à vouloir atteindre un objectif inatteignable.

http://www.leconomistemaghrebin.com/

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