Tunisiens avant d'être Arabo-musulmans
La habitants de cette terre de Tunisie, carrefour des civilisations au coeur de la Méditerranée, sont fiers de clamer haut et fort qu'ils sont avant tout Tunisiens, et pas seulement des Arabes ou des Arabo-musulmans.
Par Tarak Arfaoui
L'article 38 de la nouvelle constitution stipulant, entre autres, «l'enracinement de l'identité arabo musulmane et l'ancrage de la langue arabe dans l'enseignement» constitue, sans doute, un dangereux précédent dans l'histoire de la Tunisie.
Le but inavoué des auteurs de cet article est de tenter d'effacer de notre mémoire collective, par un simple article, toute notre spécificité, à savoir notre «tunisianité» façonnée depuis des millénaires par notre passé riche et variée et qui fait toute notre particularité et notre fierté.
Usurpation d'identité à l'Assemblée
Le vote de cet article, qui spécifie que l'Etat tunisien garantit notre identité arabo-musulmane, a été effectué au Palais du Bardo, bâtisse occupée jadis par des générations successives de la dynastie turque des Husseinites, qui ne pipent pas un seul mot d'arabe.
Ce vote sera bien sûr entériné par le gouvernement au Palais de la Kasbah, jadis fief de la dynastie berbère des Almohades, qui ont construit cette vénérable citadelle. Et il sera, finalement, signé par la présidence de la république au Palais de Carthage, édifié sur les ruines puniques et romaines, des civilisations qui ont laissé des traces indélébiles dans l'histoire de la Tunisie.
Cent quarante et un députés, effaçant d'un revers de la main notre histoire, ont accepté, sans vergogne, l'amendement d'un article négationniste et réactionnaire, véritable bombe à retardement pour nos générations futures.
Pour ces honorables députés, nous sommes bien-sûr arabo-musulmans et nous n'avons que faire de nos ancêtres libyques et berbères, qui font, depuis la nuit des temps, le socle ethnique de la Tunisie. Nous n'avons rien à voir avec l'histoire de 9 siècles de présence phénicienne, 6 siècles de présence romaine, 3 siècles de présence vandale et byzantine et plusieurs siècles de présence d'autres peuplades du bassin méditerranéen.
Cent quarante et un députés d'origine arabe mais certainement aussi berbère levantine ou andalouse ont décidé, dans leur mépris et leur ignorance de l'histoire de leurs ancêtres, de renier leur passé et de nous rappeler qu'on doit consolider notre identité arabo musulmane.
Est-il nécessaire d'inventer un article dans la constitution pour cerner notre identité qui, à leur yeux, est encore floue et aurait besoin d'être solennellement affirmée? En quoi un article aussi ridicule va-t-il nous aider à «ancrer» notre arabité soi-disant menacée? La langue arabe, aussi noble, belle et expressive soit-elle, a-t-elle besoin d'une loi pour s'affirmer?
Pour l'avenir de nos enfants, il est certes admis qu'on ne peut-être inventif et productif que dans la langue maternelle comme moyen de communication dès le plus jeune âge dans le cercle familial, et là, je suis curieux de savoir combien de Tunisiens parlent véritablement l'arabe avec leurs enfants, pour communiquer dans la vie de tous les jours ou au travail. Combien de Tunisiens manipulent cette langue à titre didactique, en dehors des études littéraires?
La langue arabe, exprimée dans le Coran d'une manière splendide et inimitable, n'a jamais été décisive dans l'expansion de l'islam et l'exemple le plus pertinent est, de nos jours représenté, par la Turquie, l'Iran ou l'Afghanistan.
Une identité plurielle et riche
Notre langue, issue de notre patrimoine, n'est autre que le dialecte tunisien, inimitable, par ailleurs facilement reconnaissable, fruit du brassage d'une multitude de civilisations, mélange savoureux d'arabe, de berbère, d'espagnol, d'italien, de maltais et de français.
Notre tunisianité est notre véritable identité que notre mentalité typiquement méditerranéenne, notre façon de vivre, de nous habiller, de nous alimenter, de communiquer, de festoyer la rend si particulière à 1000 lieux des traditions moyen-orientales que certains veulent nous faire greffer moyennant un article glissé dans la Constitution.
La position naturelle de la Tunisie au beau milieu de la Méditerranée, dans un carrefour géographique exceptionnel, tournée vers l'Occident et s'adossant à l'Afrique, n'a absolument rien à voir avec la Péninsule arabique.
Aucun décret, aucune loi, ne dénaturera notre «tunisianité». Notre passé, notre présent et notre avenir sont la Tunisie, et votre serviteur, arabe de la descendance hilalienne, est très fier de clamer haut et fort d'être avant tout un Tunisien que d'être seulement un Arabe.
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