Un sentier peu fréquenté
Originaire du sud de la Corse par ma mère j’ai été moine bénédictin pendant dix ans avant de quitter les ordres et me marier. Un long chemin intellectuel et spirituel m’a amené au judaïsme traditionnel sépharade.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai vu ma grand-mère prier. Elle était venue du sud de la Corse à Bastia avec sa mère, rue du Castagno où se tient la synagogue rabbi Méïr, l’unique synagogue de Corse. Je la vois encore allumer une veilleuse dans un verre d’huile quand arrivait l’orage, pratiquer le rite des gouttes d’eau dans l’huile, l’ocjhu, pour chasser le « mauvais œil », et donner ce qu’elle avait aux pauvres du quartier… Très tôt veuve de guerre elle vivait dans 35m2 avec ses deux filles et sa mère qui ne parlait que le corse. Ma mère portait le nom de son grand-père Simon Valli d’un village de bergeries dans la montagne près de Lévie en Corse du Sud. Tous se pensaient chrétiens… corses d’abord.
Du coté de mon père, le seul souvenir était une photo d’avant-guerre de l’ « Orchestre Long » (c’est marqué sur la batterie !), avec, au milieu, mon grand-père paternel, serrurier et clarinettiste à ses heures à Ollioules (Var) ; que la Gestapo était venu le chercher en janvier 43. Heureusement pour lui… il était déjà mort depuis 3 semaines, d’une pneumonie.
Cette ascendance d’orphelins de père a fait très tôt de moi un marginal… et un gros consommateur de paternités de substitution.
Ne faisant rien à l’école, voyou sur les bords, ma « brillante carrière » a donc commencé à 15 ans, comme ouvrier chez Michelin à Clermont Ferrand. Un traitement de choc qui m’a amené à faire deux tentatives de suicide. Un homme, Yves, m’a alors aidé. Paysan du Jura, 120 kilos, agrégé de philosophie à l’université de Clermont-Ferrand, il élevait ses chèvres dans une ferme retapée dans la neige au pied du Sancy. Il m’écoutait et quand je lui parlais il allumait une bougie. J’ai immédiatement reconnu la veilleuse des cas désespérés de ma grand-mère…
Il lisait aussi la Bible, citait Isaïe et les Prophètes. J’ai alors lu ce livre mystérieux et les histoires d’Abraham, du pauvre Job, les psaumes, m’ont semblé le meilleur mode d’emploi de l’existence.
Je priais D.ieu, qui, mystérieusement veillait sur mon existence comme un ami. Et puisque j’étais vivant, il me semblait que la moindre des choses était de mettre mon existence à son service. Comme je ne faisais pas les choses à moitié, sans éducation religieuse,… je suis devenu moine à 20 ans.
Le monastère est un lieu secret, fermé, vivant en autarcie en silence de la prière et de son travail. Le temps y est rythmé par la cloche qui appelle la communauté sept fois, nuit et jour (à 2h du matin !) pour un office de psaumes, (les tehillim !), en français. Une centaine de frères vivaient à l’époque à la Pierre-Qui-Vire, je m’appelais frère Marc. Quinze degré dans les cellules, pas d’eau courante, pas de viande, pas de vin, une vie à l’écoute de la Parole de Dieu. D.ieu.
Mon Maître des études, frère Matthieu, bibliste, avait vécu en Israël, c’était un amoureux des études juives, du Talmud. Son meilleur ami, un frère de Sion avait été disciple pendant 25 ans d’Ephraïm Urbach à l’Université hébraïque, il devint mon mentor pour dix ans d’études universitaires. Tout en étant chrétien, il enseignait que la Torah était centrale et que les évangiles étaient des midrashim grecs. Il fallait donc se mettre à l’école de la tradition vivante d’Israël et de ses maîtres contemporains si l’on voulait comprendre le christianisme.
Au bout de dix ans j’étais devenu un moine adulte, quand le Père Abbé m’a demandé de recevoir une journaliste de France 2 qui désirait faire un reportage pour le JT… je tombais immédiatement amoureux d’elle. Ce ne pouvait être que Dieu qui me l’envoyait ! J’ai donc rompu mes vœux et suis rentré « dans le monde ». Et elle est devenue la femme de ma vie. C’était en 1995. J’avais 30 ans.
Pendant 15 ans nous avons élevé ses deux enfants et en avons conçu deux autres. Je suis devenu directeur de production pour une Bible en CD Rom puis j’ai créé fnac.com et 01Net. Ensuite je suis devenu consultant e-business chez McKinsey, le leader américain du conseil en stratégie ; puis, il y a 11 ans j’ai créé mon propre cabinet de conseil en stratégie e-business qui accompagne les présidents de grands groupes sur leur stratégie e-business.
Ayant quitté l’église, j’ai alors essayé de comprendre d’où venait le christianisme. Pour une raison que je ne m’expliquais pas les origines juives du christianisme m’attiraient comme un aimant depuis toujours. J’ai donc écrit des livres, une dizaine, sur mes nuits. De séjours eneretz Israël en recherches historiques et talmudiques se dessinait pour moi le visage d’un tout autre homme pour Jésus : un simple maître juif pharisien de Galilée à l’aube de notre ère,shomer shabbat, assassiné comme tant d’autres par le pouvoir romain, pour le simple crime qu’il était juif. Un « Jésus cacher » humain assez éloigné de ce que croient les chrétiens mais pas trop de ce que m’avait appris le monastère dont les psaumes sont toujours restés mon pain quotidien. En une quinzaine d’années, une évidence était montée en moi « Jésus étais juif, tu es juif ».
Et un soir, c’était le 1er janvier 2010. Il y a eu comme un coup de tonnerre dans ma vie. Mon meilleur ami, Jean-Louis, quatre enfants lui aussi, a été emporté avec deux de ses compagnons dans une avalanche, aux Arcs.
J’ai pris ma voiture, foncé là-bas, reconnu le corps de celui que j’aimais comme mon frère et organisé son enterrement, chrétien. J’ai enterré une trentaine de moines, la mort ne me fais pas peur. J’ai dit l’homélie dans l’église devant un millier de personnes en parlant de Moïse, d’Elie, de ces prophètes passionnés de Dieu sur la montagne, le Sinaï, l’Horeb. Et au moment où on l’a mis en terre j’ai commencé à réciter les psaumes comme on fait au monastère. Et là, les mots me sont venus dans leur langue originaire, l’hébreu. La langue que j’avais apprise et qui m’appelait, comme une mère qui console.
J’avais déjà commencé à prier en hébreu, j’avais acheté un sidour, un talit et une kippa, ça me semblait naturel, je me sentais juif à ma manière. Seul mais juif. Fin 2010, une amie dont la mère est rescapée du ghetto de Varsovie m’a invité à Kippour à la synagogue de la rue Montevideo. Je me suis mis dans un coin avec mon talit et j’ai alors compris qu’Israël vivait, continuait son chemin et que moi j’en faisais partie. C’était étrange.
Un Shabbat, j’ai été… au bout de ma rue à Vaucresson et j’ai poussé la porte de la petite synagogue séfarade. La dizaine d’hommes qui étaient là étaient surpris mais ils m’ont accueilli. J’ai demandé à prier avec eux en leur racontant sincèrement mon chemin. Le Rav Haïm Harboun, Gaston, Fabrice, Cédric et Alexis Madar, Jacob Ouanounou, Rony, Nathanaël et Raphaël Hardy, Michel et Ethan Israël, Samuel Amar… d’abord très étonnés m’ont accepté et parfois accompagné de leur amitié.
Depuis quatre ans je prie chaque Shabbat avec eux et fait une petite séouda l’après-midi avec le rabbin Haïm Harboun, puis nous parlons à perte de vue de l’Eternel et de la vie… Nous célébrions déjà le Shabbat en famille en allumant les bougies mais peu à peu nous avons commencé à manger casher, à célébrer les fêtes avec nos amis Gérard et Antonietta Haddad, j’ai acheté des Teffilin. Notre plus petite va au Talmud Torah et dit le Shema en s’endormant. Nous marchons vers une conversion plus formelle. Nous parcourons le chemin qui va du christianisme au judaïsme, un sentier peu fréquenté.
Vous ne savez pas qui est le Rav Harboun ? C’est un personnage extraordinaire directement sorti d’un conte juif. Né dans le Mellah de Marrakech un 9 av des années 30 (!), plusieurs fois docteur des universités en France, diplômé de linguistique hébraïque de l’Université Hébraïque, parallèlement rabbin depuis 58 ans à Boulogne, Versailles, Aix et Vaucresson… cet homme à l’itinéraire improbable m’a aidé avec affection à faire le point dans ce désert intellectuel et spirituel où je m’étais hasardé. Parallèlement, je me suis mis à chercher mes origines et celles de ma femme.
Les coïncidences de la vie ont alors fait que j’ai découvert les lointaines origines juives alsaciennes de la famille de ma femme, exilée d’Alsace en 1870 (Engel, Kentzinger, Beck…) vers Sidi Bel Abbès (Algérie) et mes probables origines marranes de Corse, Valli est peut-être l’anagramme de Livia, Bali est un nom courant chez les juifs de Turquie. Je suis parti sur les traces des juifs de Turquie, de New York ou d’Amsterdam. Livourne, le « port de triage » des sépharades vers la Tunisie, la Turquie, la Grèce, Amsterdam…après 1492 n’est qu’à une encablure de Bastia. Nous avons été à Jérusalem, Tel Aviv. Marie-Pierre et moi, aidés du Rav Haïm et de la précieuse amitié de Gérard et Antonietta avons fait un parcours intellectuel et spirituel. Nous nous sommes mis en route vers nos racines, vers qui nous étions sans le savoir.
Un jour, un de mes amis, le grand rabbin Haïm Korsia, m’a dit « Tu es une âme juive dans un corps de chrétien ». Nous sommes simplement des juifs en train de retrouver leur judaïsme comme des amnésiques qui, geste après geste, mitsvah après mitsvah sanctifions l’Éternel et retrouvons notre mémoire.
A Pessah 2014, le Rav Haïm Harboun, mon père dans le judaïsme ! est allé en Corse dire l’office à la synagogue de la rue du Castagno à Bastia. La Beith Knesset Rabbi Meïr est installée sur le port au bord de l’eau dans une ancienne banque génoise. La boucle était bouclée !
Didier Long
Article paru dans Information Juive (revue du Consistoire) ce mois-ci
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