Une attaque EMP contre l’Iran ? Pas si vite…
En septembre dernier Le Monde.fr et l’AFP se faisaient l’écho d’un article publié par un organe de presse israélien, dont l’auteur invitait à utiliser une attaque EMP de grande ampleur pour détruire le programme de recherche nucléaire iranien. L’auteur de l’article, Joe Tuzara, présentait la possibilité pour Israël d’employer un missile balistique Jericho III emportant une charge nucléaire pour déclencher une impulsion électromagnétique à haute altitude au-dessus de l’Iran et ainsi endommager les systèmes électroniques employés dans le cadre de son programme nucléaire expérimental.
L’hypothèse d’une telle attaque semble peu réaliste, tant elle apparaîtrait disproportionnée et constituerait une agression manifeste qui pourrait entraîner Israël dans une guerre ouverte avec l’Iran, avec le risque de perdre le soutien de ses alliés dans le même temps. D’autre part, sur un plan plus dialectique, il serait difficile pour l’État d’Israël d’expliquer son intention de lutter contre le programme nucléaire iranien, en ayant lui-même recours à une arme nucléaire dont il n’a toujours pas officialisé l’existence. Ainsi, la théorie présentée par Tuzara relève peut-être plus de la provocation que de l’analyse stratégique, mais si la possibilité de recourir à une impulsion électromagnétique nucléaire (IEMN) semble exclue contre l’Iran, le recours à d’autres armes électromagnétiques de forte puissance pourrait être envisagé, bien qu’il ne soit pas non plus exempt de difficultés.
À défaut de recourir à une IEMN, les forces de défense israéliennes pourraient envisager des attaques ciblées contre des installations soupçonnées de participer au programme nucléaire iranien, en ayant recours à des armes à impulsion électromagnétique non-nucléaire et en particulier à des armes produisant des micro-ondes à forte puissance (MFP / HPM). L’armée de l’air israélienne a d’ailleurs déjà démontré sa capacité à mener ce type d’attaque « chirurgicale », lors du bombardement conventionnel du site syrien d’Al-Kibar en septembre 2007. Le rayon d’action des armes MFP étant bien inférieur à celui d’une IEMN, une telle attaque nécessiterait de déployer plusieurs armes MFP au plus près des sites ciblés sur le territoire iranien, ce qui ne serait possible que par des largages ou par l’infiltration d’équipes chargées de les disposer. D’autre part, cette opération présupposerait la production en amont d’un stock d’armes MFP robustes, alors même que ces armements relèvent le plus souvent du prototype pour les nations qui les développent, de la Russie aux Etats-Unis, en passant par la Corée du Sud. Le recours à des impulsions électromagnétiques pour endommager les installations nucléaires clandestines du régime iranien, bien qu’attractif de prime abord pour sa capacité à atteindre des matériels protégés par des bunkers et à éviter des dommages collatéraux immédiats, constituerait un défi opérationnel, logistique et industriel. Au-delà de la simple question de sa faisabilité, un tel scénario d’attaque électromagnétique sur des installations iraniennes doit également être considéré quant à son efficacité face à diverses contre-mesures et sur ses conséquences potentielles.
Le durcissement des systèmes électriques, électroniques et informatiques contre les interférences électromagnétiques constituent une première défense contre les effets d’une attaque EMP / MFP. Ces protections se révèlent couteuses à mettre en place et requièrent un réel savoir-faire technique, avec un soucis constant de méticulosité et d’exhaustivité qui sont la clé de l’efficacité d’une telle démarche. La protection des installations iraniennes contre les effets d’une arme EMP serait donc soumise à la qualité des techniciens recrutés et des budgets qui leurs seraient alloués. Il faut toutefois noter que l’Iran a su développer des techniques d’ingénierie de pointe pour assurer la protection de ses bunkers et a également eu recours à l’expertise de puissances étrangères dans ce domaine. Il n’est donc pas exclu que l’Iran soit en mesure de protéger efficacement certains de ses sites stratégiques contre des impulsions électromagnétiques et bien que de telles protections puissent être saturées par des impulsions EM de forte puissance, elles pourraient en limiter les effets destructeurs.
L’Iran pourrait également mettre en place des contre-mesures basées sur la résilience de son programme nucléaire, en dispersant et en doublant certains de ses sites de recherche, en particulier ceux qui ne nécessitent pas d’infrastructures lourdes. Il faut également noter que le programme nucléaire iranien a recours à des technologies duales qui lui permettent de s’approvisionner en matériels informatiques et en pièces détachées malgré les sanctions internationales. Face à la menace d’attaques électromagnétiques sur ses outils technologiques, l’Iran pourrait prédisposer des stocks de matériels de secours dans les pays qui lui servent de hubs d’importation, tels qu’Oman ou l’Autriche, réduisant ainsi le temps de reconstruction de ses systèmes endommagés. D’autre part, la destruction par une attaque EMP des moyens de télécommunications qui relient les sites stratégiques iraniens serait susceptible d’entraîner plusieurs conséquences négatives, telles que la perte pour Israël et ses alliés d’une source de renseignements par l’interception des communications (ELINT/COMINT) et la reconstruction par l’Iran des réseaux détruits avec des normes de protection supérieures.
Bien que les armes EMP soient souvent considérés comme des armes non-létales, il est nécessaire de prendre en compte les effets en cascade qu’elles sont susceptibles d’entraîner, notamment sur un plan humanitaire. L’interconnexion des différentes infrastructures de première nécessité et leur étroite interdépendance les rendent particulièrement vulnérable à aux effets des armes électromagnétiques. Une attaque EMP sur un site d’intérêt stratégique en Iran pourrait entraîner une perte immédiate et durable de l’approvisionnement électrique des populations civiles environnantes, voire des dysfonctionnements sur des installations non-militaires régulées par des systèmes électroniques ou électromécaniques, avec des conséquences potentiellement catastrophiques. De ce fait, le recours à des armes électromagnétiques, censées n’atteindre que des machines, pourrait entraîner des pertes civils ou une crise humanitaire dont le régime iranien aurait l’opportunité de faire une exploitation médiatique et politique. Par extension, l’Iran pourrait choisir de rapprocher ses centres de recherche de zones densément peuplées afin de rendre une attaque EMP potentiellement aussi désastreuse qu’une attaque conventionnelle.
L’usage d’armes EMP par les armées, en particulier s’agissant des bombes à générateur MFP, ont jusqu’à présent fait l’objet d’une certaine discrétion et l’emploi extensif par Israël ou ses alliés de telles armes constitueraient un précédent. Si Israël devait s’engager, comme certains le suggèrent, dans des attaques EMP récurrentes contre le programme nucléaire iranien afin de l’interrompre dans sa progression, ces armes pourraient finir par perdre leur caractère non-conventionnel et entraîner une forme de course à l’armement. De la même façon que le renforcement des bunkers iraniens a favorisé l’émergence d’un programme américain de pénétrateurs anti-bunkers (bunker-busters), de nouvelles protections anti-EMP pourraient engendrer des programmes industriels pour le développement de « super-armes » électromagnétiques, avec la même contrainte de ne pas recourir aux charges nucléaires, même tactiques.
Ainsi, malgré les atouts incontestables que possèdent les armes EMP dans le contexte des conflits contemporains, elles ne constituent pas une solution unique et radicale pour la destruction d’un programme d’armement clandestin. Les armes conventionnelles seront sans doute encore longtemps privilégiées par les armées pour tenter d’attaquer des cibles enfouies et fortifiées, bien que ces installations possèdent des vulnérabilités aux impulsions électromagnétiques. À la proposition de certains faucons de recourir aux armes EMP pour renvoyer le programme nucléaire iranien « à l’âge de pierre », il est possible de répondre en paraphrasant le sage Obi-Wan Kenobi : « Non, ce ne sont pas les armes magiques que vous cherchez ».
MGN, Zone d’Intérêt
• Sur les aspects techniques des armes EMP, les lecteurs pourront se référer à l’article EMP et armes électromagnétiques (juin 2009) et au cahier d’AGS n°2 : Stratégies dans le Cyberspace
• Concernant la réciprocité des menaces israéliennes et iraniennes sur leurs installations nucléaires respectives, lire les articles de SD publiés en décembre 2009 et septembre 2010.
• Dans le cadre du dossier EMP proposé par AGS, Sivis Pacem propose un scénario de cyberguerre incluant des attaques EMP dans son article Cinétique et non-cinétique : ce que sera (peut-être) la cyberguerre.
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