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Une communauté juive "back to Berlin"

Une communauté juive "back to Berlin"

 

 

Les juifs seraient au moins 50.000 à Berlin.

En 1948, le Congrès juif mondial adopta une résolution affirmant que le peuple juif "avait décidé de ne plus jamais s’établir sur le sol ensanglanté de l’Allemagne" . Incroyable retournement de l’histoire : aujourd’hui, ils sont près de 110 000 à vivre dans le pays et au moins 50 000 se sont établis à Berlin, la ville où fut décidée par les nazis la "solution finale".

La métropole berlinoise agit comme un aimant sur les Juifs du monde entier. Elle attire les hassidiques de New York, les gays de Tel Aviv, les artistes de Moscou. Au moins 20 000 Israéliens y vivent, lassés par la polarisation de leur pays, attirés par les loyers bas de la capitale allemande.

"Au fond , raconte Julius Schoeps, professeur à l’Université de Potsdam et descendant du philosophe Moses Mendelssohn, nous sommes les derniers Juifs allemands. C’est remarquable. La majorité des Juifs aujourd’hui sont d’origine russe. Berlin n’est pas l’Allemagne. C’est une cité mondiale."

On est encore loin des 160 000 Juifs qui vivaient à Berlin jusqu’en 1933, quand Adolf Hitler est arrivé au pouvoir et que les déportations de masse n’avaient pas débuté. Mais le retour est entamé, sous plusieurs formes. "Berlin est une ville multiculturelle , poursuit le professeur. Les gens viennent du monde entier pour vivre ici, à Prenzlauer Berg ou à Kreuzberg. Dans les années 20, à Charlottenburg où je vis, il y avait 200 000 Russes. Maintenant également. Dans un sens, l’histoire revient. Nous revenons à la république de Weimar."

Le rôle d’un feuilleton américain

Si les Juifs reviennent, c’est en partie parce que l’Allemagne a fait un formidable travail d’introspection sur son passé. Pas tout de suite après la guerre, mais à partir de la fin des années 70 quand le feuilleton américain "Holocauste" a été diffusé sur la chaîne publique WDR et drainé une audience de vingt millions de téléspectateurs. Puis, il y a eu "La Liste de Schindler" de Steven Spielberg, qui a créé en 1993 un électrochoc comparable.

La ville est remplie de Mémoriaux en souvenir des six millions de Juifs qui ont été exterminés par le régime national-socialiste. "Regardez le Mémorial de l’Holocauste , souligne Hermann Simon, le directeur du Centrum Judaicum, originaire de l’ancienne RDA. Il est en plein milieu de la ville. Mon directeur adjoint dit toujours que les Israéliens reviennent ici après l’érection du Mémorial. C’est pour eux un point-clé."

Ce soir-là, en face de la porte de Brandebourg, un immense chandelier de la Hanoukkia a été dressé à côté d’un sapin de Noël. Quelques touristes israéliens se pressent dans le froid, dans l’attente d’un improbable rabbin.

Eti Young, 40 ans, se sent en sécurité à Berlin car il y a des policiers à chaque monument juif. C’est la première fois qu’elle vient à Berlin. "L’Allemagne , dit-elle, ne peut nous rendre nos aïeuls. Mais si je viens ici, c’est que je veux faire la paix en moi. Mon père fut le seul de sa famille à survivre aux déportations en Slovaquie. Ma mère venait de Roumanie. Certains survivants n’ont jamais parlé. Ils avaient des problèmes psychologiques. Ce n’était pas facile comme enfant de vivre dans une famille pareille."

En plusieurs étapes

Le retour des Juifs s’est déroulé en plusieurs étapes. En 1945, il n’y en avait plus que 5 000, dont bon nombre avaient échappé aux déportations parce qu’ils étaient mariés à des non-Juifs. D’abord sont venues les personnes déplacées, des Juifs polonais fuyant le communisme et l’antisémitisme. A partir des années 70, sont arrivés les premiers Juifs de l’Union soviétique. Leur nombre a décuplé quand l’URSS s’est décomposée dans les années 90, ouvrant les portes de l’émigration. Souhaitant reconstruire une communauté juive, l’Allemagne leur a accordé un passeport. Depuis quelques mois, ce sont les Israéliens, touristes ou travailleurs temporaires, qui affluent à Berlin. "Beaucoup ont des passeports allemands car leurs parents étaient d’origine allemande , explique Hermann Simon. C’est intéressant pour eux car ils ont un passeport européen."

Choc culturel

Le contrecoup de cette immigration massive est que la Communauté juive de Berlin, la Jüdische Gemeinde, est sens dessus dessous. Dirigée par un immigrant israélien, Gideon Joffe (NdlR : qui a décliné une demande d’interview), elle est traversée par des conflits profonds.

Liés à sa gestion tout d’abord puisque le Sénat de Berlin réclame des comptes à cet organisme qu’il finance de 60 à 80 %. Liés ensuite au choc culturel que représente l’arrivée de dizaines de milliers de Juifs russes. Une partie seulement s’est affiliée à la Gemeinde. Peu fréquentent les synagogues.

Les traditions ne sont pas les mêmes. Pour un Juif allemand, une date-clé est la nuit du 9 au 10 novembre 1938, début du pogrom nazi. Pour un Juif russe, c’est la fin de la guerre et la victoire des troupes alliées en 1945 qui comptent.

"Les Juifs allemands essaient de faire revivre leur passé grandiose. Tout ce qui intéresse les Juifs russes, c’est l’argent. Ils n’ont aucun intérêt pour la culture. Ils sont matérialistes", se plaint Mike Cullen, en désignant son piano à queue qui trône dans le salon d’un appartement fin du siècle à Charlottenburg, à l’ouest de Berlin.

Cullen est un cas particulier. Il vit à Berlin depuis les années 60. "Quand je suis parti des Etats-Unis, à l’origine pour passer trois mois à Munich, ma mère a refusé de me conduire au bateau et mon père m’a dit : ‘N’oublie jamais, un bon Allemand est un Allemand mort.’ Je ne pouvais pas accepter ce raisonnement." C’est dans le salon de cet écrivain qu’a été conçu le fameux projet de l’artiste Christo d’emballer le Reichstag.

Nouvelle énergie

Pourtant, les Juifs russes apportent aussi une nouvelle énergie à la ville. Restos koshers, discos russes, magasins, galeries d’art essaiment dans la ville. Les Russes ont aussi un regard décomplexé à l’égard du lourd passé de la ville, comme les jeunes Allemands. Peut-être trop, reconnaît Sergey Lagodinsky, 38 ans, arrivé d’Astrakhan, près de la mer Caspienne quand il avait 18 ans.

"Quand j’ai dit à l’école que j’étais Juif, certains de mes amis étaient choqués car j’étais le premier Juif vivant qu’ils rencontraient", dit-il. "Les gens plus âgés, comme mes parents, sont plus mûrs , poursuit ce militant des Verts, représentant au sein de la Gemeinde. Il y avait par le passé une peur de parler de la Shoah, une charge émotionnelle. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes n’ont aucune émotion. Il n’y a pas d’angoisse, de honte, de responsabilité. Ils ne savent pas et ne veulent pas savoir. Le danger est le détachement. Des jeunes prennent des photos ou mangent des sandwiches devant le Mémorial de l’Holocauste parce que c’est un chouette endroit. C’est un défi pour nous."

Il n’y a pas de risque actuel que l’Allemagne oublie son passé nazi. Chaque soir, au moins une chaîne de télévision montre des images de la guerre. Mais les Juifs craignent une remontée de l’antisémitisme, comme à la fin de la république de Weimar.

Les avis sont partagés. Certains mettent en cause une partie de la communauté musulmane, où règne un antisionisme virulent, d’autres un antisémitisme qui serait latent dans la classe moyenne allemande. "Ma fille avait été invitée à un anniversaire d’une compagne de classe musulmane. Quand les parents ont appris que je portais un nom juif, ils ont annulé l’invitation", explique une journaliste berlinoise. Des Juifs portant la kippa ont aussi été harcelés, parfois attaqués, à Neuekölln où vivent des communautés arabes, mais aussi à Marzahn ou à Schöneweide, d’anciens quartiers de Berlin-Est où sévit l’extrême droite.

L’antisémitisme "en dessous de la surface"

Pour le professeur Schoeps, à la tête d’une fondation chargée d’étudier l’antisémitisme, financée par la famille Flick (dont un ancêtre fut un des fondateurs du parti nazi), ce dernier "se trouve en dessous de la surface" de la société allemande chrétienne.

L’antisémitisme n’est pas virulent mais s’exprime par des remarques, des descriptions physiques et des clichés. Beaucoup estiment que les Allemands sont "obsédés" par les Juifs, qu’il y a un malaise persistant. Ce que Daniel Libeskind, l’architecte qui a conçu l’extraordinaire musée juif de Berlin, a résumé un jour dans cette formule : "Quand je viens en Allemagne, je suis un architecte américain. Quand je la quitte, je suis un Juif américain."

 

REPORTAGE>CHRISTOPHE LAMFALUSSY 

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