Félix Moati : « Je pensais avoir fait une comédie »

Félix Moati : « Je pensais avoir fait une comédie »

Depuis dix ans, l’acteur incarne au cinéma des rôles de beaux gosses candides ou d’amoureux transis. Avec « Deux fils », son premier long-métrage en tant que réalisateur, il dévoile une teinte plus mélancolique.

Par Valentin Pérez

Je serai le plus grand psychanalyste du monde », affirme comme un serment Joachim, l’un des protagonistes de Deux fils, le premier film de Félix Moati. Gamin, il s’imaginait rabbin, agent secret, reporter de guerre, professeur de philo… Mais psy ? Jamais. A 28 ans, le réalisateur est du genre bavard, et un anxieux en quête de sens qui tire sec sur sa cigarette. En bref, un vrai squatteur de divan. « Je suis un angoissé », convient celui qui, à cause de la promotion de son film, culpabilise déjà de poser un lapin, une heure plus tard, à son analyste – « une lacanienne énervée ».

Depuis dix ans, on voit le fils du journaliste Serge Moati (et d’une magistrate à la Cour des comptes) faire l’acteur dans des rôles de beaux gosses candides (LOLTélé Gaucho) ou d’amoureux transis (A trois on y va, Cherchez la femme). Bien loin de son long-métrage, qui trahit ses tourments. « Je pensais avoir fait une comédie et, au montage, j’ai finalement découvert la teinte plus mélancolique du film. Je me suis aperçu que j’avais mis en scène des personnages qui vivent avec des fantômes. »

Le cinéma et la littérature comme religion

Soit trois bras cassés pudiques. Un père (Benoît Poelvoorde) qui se laisse aller à des velléités d’écrivain ; un fils aîné, aspirant psychanalyste (Vincent Lacoste), à la vie sentimentale brinquebalante ; un cadet ado (Mathieu Capella) qui cherche une consolation dans le latin, la Bible ou la bière… « Ce n’est surtout pas une histoire avec des rebondissements dramaturgiques, plutôt une chronique où l’on suit les désirs de chaque personnage. J’avais envie de m’extraire de ce culte contemporain de l’événement à tout prix. Je ne fais pas du BFM-TV. »

Dans Deux fils, on devine un oncle disparu. Et on ne voit ni mère ni petite amie. Les trois héros s’échinent à pleurer des femmes inatteignables, à grand renfort de lyrisme très premier degré. « Fleur bleue ? Je le suis moi-même, assume le jeune cinéaste. Je déteste le cynisme, l’ironie, la perfidie. Je voulais que mes personnages aient l’héroïsme de la candeur, en faire de grands chevaliers, même si ça ne les apaise pas et que ce sont avant tout des héros du vide. »

« Bâtir un récit commun, la religion le pourrait mais je suis athée, et la République semble ne plus y parvenir… C’est le cinéma qui, pour moi, produit ce miracle. »

Grand lecteur et ex-khâgneux, Félix Moati aime d’ailleurs se perdre dans ses écrits (« hermétiques mais drôles »), raffole de Philip Roth, admire Dostoïevski. « J’ai grandi dans une famille qui sacralisait la littérature. Balzac, Flaubert, Zola, Proust étaient mis sur un piédestal, ce qui m’aurait intimidé pour écrire des romans. En revanche, j’en ai conservé un goût des mots, un soin du dialogue. » Les répliques affectées qu’il cisèle semblent avoir été écrites pour Poelvoorde, Lacoste et Capella. « Le cinéma est un espace de fraternité et de camaraderie, se réjouit-il. Bâtir un récit commun, la religion le pourrait mais je suis athée, et la République semble ne plus y parvenir… C’est le cinéma qui, pour moi, produit ce miracle. »

Déjà, il remâche ses obsessions pour écrire un deuxième long-métrage, sans renoncer à jouer pour d’autres réalisateurs. Outre une participation dans le prochain film de Wes Anderson, on le verra dans Resistance, de Jonathan Jakubowicz. Il y incarnera le frère du Mime Marceau, interprété par Jesse Eisenberg. « Amuse-toi ! », l’a encouragé l’Américain, pourtant réputé comme le plus intranquille des comédiens d’outre-Atlantique. Tout au long du tournage, ils ont dîné ensemble, partageant leur peur face à la montée des populismes, leurs affections individuelles. « A côté de lui, j’avais l’air serein, s’amuse Moati. Il m’a apaisé. » On trouve toujours plus névrosé que soi.

Deux fils de Félix Moati, avec Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste et Mathieu Capella. En salle le 13 février.

Valentin Pérez

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