Jour de fête

Jour de fête

Par Yehoshoua Amishav

C’était la fête pour beaucoup de gens en Israël, jeudi dernier, 29 décembre 2022, où on intronisait le nouveau gouvernement Netanyahou, mais on ne s’est pas réjoui qu’en Israël : c’était jour de fête aussi pour tous les antisionistes et antisémites de la planète, toutes couleurs politiques confondues.

L’arrivée au pouvoir dans l’équipe de Netanyahou de ministres ouvertement et fièrement racistes, misogynes, xénophobes et homophobes est en effet un cadeau magnifique offert à tous ceux qui dénoncent dans le sionisme un racisme, et dans Israël « une démocratie de façade, qui repose en fait sur l’ultra-nationalisme, le suprématisme juif et la discrimination« . Et qui vont maintenant se répandre partout en disant: « On vous le disait depuis toujours« .

Ils vont pavoiser avec le nouveau ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben-Gvir, fidèle disciple du rabbin Kahane, lequel, élu député en 1984, fut empêché par la Cour suprême de se représenter aux législatives de 1988 pour cause de racisme effréné.

Ben Gvir, condamné plusieurs fois en justice, dont une fois pour soutien à une organisation terorriste juive d’extrême-droite, avec un tel casier judiciaire que l’armée a refusé de l’enrôler à ses 18 ans, reçoit aujourd’hui la mainmise sur la police et les garde-frontières, et une loi qui va passer dans les prochains jours déjà va modifier en sa faveur le rapport d’autorité entre lui et le chef de la police, Yaakov Shabtay, plaçant celui-ci sous l’autorité du ministre, alors que jusqu’ici les deux fonctions formaient un tandem beaucoup plus égal.

Pour bien comprendre où nous en sommes arrivés, rappelons que ce même Shabtay avait accusé le même Ben Gvir, il y a un an et demi, d’avoir provoqué de graves incidents à Jérusalem, qui avaient fini par embraser le pays; il est aujourd’hui, merci monsieur Netanyahou, soumis à son autorité et on ne tardera sans doute pas à voir sur le terrain les résultats de cette nouvelle situation.

Ils vont pavoiser aussi avec madame Orit Strock, pilier des colons de Hébron, qui, avant même de prendre son poste de « ministre des Missions Nationales » (ne me demandez pas ce que c’est, ça va avaler des centaines de millions de shekalim sans que personne ne sache pour quel but) a annoncé la couleur en affirmant vouloir promouvoir une loi permettant à un fournisseur de services de refuser de le faire pour des clients qui « heurteraient ses convictions religieuses« .

Le projecteur a été mis par les medias sur la communauté LGBT, mais cette mesure toucherait aussi les couples non-mariés demandant une chambre d’hôtel ou un traitement de fertilité, ou des patients non-Juifs en danger de mort dont la famille s’adresserait un samedi à un médecin religieux séfarade, puisque le rav Ovadia Yossef, vénéré dans cette tranche de la population, nous a bien expliqué en 2012 qu’un médecin juif ne peut « profaner le Shabbat pour sauver la vie d’un non-Juif« .

Et ce maître du cynisme qu’est Binyamin Netanyahou d’affirmer que cette loi, prévue dans l’accord de coalition signé par le Likoud avec le parti Sionisme religieux de Strock est… « inacceptable pour le Likoud ».

Leur joie va encore grandir avec Bezalel Smotrich, ministre des Finances et « ministre au ministère de la Défense ». Ici aussi, ne me demandez pas ce que cela veut dire; Netanyahou lui a accordé le contrôle de facto sur les Territoires, et on souhaite au général de réserve Yoav Galant, ministre de la Défense, bien du plaisir dans le maintien de son autorité face au deuxième ministre dans son ministère (un autre brevet israélien, absurde exclusivité mondiale).

Quant au ministère des Finances, où Smotrich fixera les priorités budgétaires, il est bien clair qu’il va déverser sur les colons des Territoires une manne qui les rendra encore plus arrogants et violents, et renforcera encore la spoliation de terres, les « avant-postes » qui sont autant de sources de heurts et de provocations et les « jeunes des collines« , appellation romantique donnée à des groupes de jeunes fanatiques religieux qui n’hésitent pas à s’en prendre aussi aux Juifs qui viennent tenter de les empêcher de détruire des biens de Palestiniens, de les agresser pendant la récolte des olives, ou en d’autres occasions.

Car Smotrich est un personnage qui vaut le détour, manifestant une grande qualité très rare en politique: une sincérité totale et pas un gramme de cynisme. C’est lui qui vient de convaincre Binyamin Netanyahou de revenir sur la décision du gouvernement Lapid-Bennett d’adhérer à la convention internationale contre la violence envers les femmes, fidèle ainsi à la misogynie fondamentale de la religion juive, comme celle de pratiquement toutes les religions d’ailleurs. Israël avait adhéré à cette convention en avril 2022, il va en ressortir bientôt.

Smotrich a des positions tout aussi tranchées pour ce qui est des Arabes israéliens (20% de la population quand même): adoptant la version de l’Histoire diffusée par les adversaires du sionisme et d’Israël, il déclare en octobre 2021 que David Ben Gourion, le premier Premier ministre de l’Etat d’Israël, aurait dû « terminer le travail et expulser tous les Arabes du pays lors de sa fondation. ». Il est donc tout naturel qu’il ait déclaré quelques mois plus tôt que les Arabes sont citoyens d’Israël « pour le moment du moins ».

Convenez avec moi que ce n’est pas tous les jours que nos pires ennemis et détracteurs reçoivent de la part d’un ministre israélien en exercice un tel renfort dans leur campagne pour noircir Israël aux yeux de l’opinion publique internationale, et en particulier confirmer la théorie de l' »expulsion des Palestiniens » en 1948.

Ils doivent déjà être à l’oeuvre pour compiler les déclarations du leader du parti « Sionisme religieux » et de ses partisans, ainsi que celles de nombreux autres leaders de la droite, qui parlent clair et sans fioritures. Que pourront leur répondre les diplomates et autres représentants chargés de l’image d’Israël à l’étranger ? Je leur souhaite bonne chance.

Au « crédit » de Smotrich, on peut dire qu’il n’est pas seulement un redoutable xénophobe. Sa haine se manifeste aussi vers l’intérieur, et les Juifs religieux qui ne partagent pas son fanatisme ne sont pas à l’abri: alors que Naftali Bennett était Premier ministre, il avait appelé à lui interdire l’entrée dans les synagogues, ainsi qu’aux autres ministres et députés sionistes religieux de son gouvernement et de son groupe parlementaire, et avait fait appeler les dirigeants du mouvement de jeunesse sioniste religieux « Bne Akiva » afin qu’ils excluent de leurs rangs les enfants de l’une de ses ministres, Idit Silman, qui d’ailleurs finira par capituler sous la pression de la rue religieuse et sera l’une des artisanes de la chute du gouvernement Bennett-Lapid.

Toutes les figures politiques que j’ai mentionné jusqu’ici appartiennent au camp national-religieux, je devrais dire national-messianique. Aucun argument logique ne peut les convaincre, persuadés qu’ils sont d’avoir un fil direct avec le dieu en lequel ils croyent, et de savoir exactement ce qu’il veut qu’ils fassent et ne fassent pas.

Convaincus de ce soutien divin, et encadrés par les rabbins les plus importants du sionisme religieux, dont certains ont largement contribué à créer l’atmosphère qui a mené à l’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995 et multiplié au cours des années les déclarations racistes, misogynes et xénophobes, ils sont persuadés que les lois de l’économie, de la démographie et des relations internationales, entre autres, s’appliquent à tous les peuples, mais pas au peuple juif.

Dieu nous protègera en toutes circonstances. Même ce qui s’est passé entre 1939 et 1945 ne les perturbe pas un instant. Ils n’ont aucun doute, aucune question, et cela les rend extraordinairement dangereux.

Contrairement à eux, le nouveau ministre de la Justice, Yariv Levine, est pour sa part un laïc total. Et pourtant, c’est lui qui va probablement offrir à tous ceux que l’existence d’Israël empêche de dormir un cadeau dont ils n’ont jamais rêvé: la démolition du système judiciaire israélien.

Levin est depuis des années le moteur d’une campagne forcenée, au service de Binyamin Netanyahou, dont la cible est la Cour suprême. Il annonce clairement son intention, partagée par toute la coalition, de changer la composition de la Commission de nomination des juges, et d’y faire siéger une majorité de politiciens (de droite et religieux bien évidemment), ce qui lui permettra, en tant que président de cette commission, de faire nommer des juges conservateurs, qui cesseront d’ennuyer le gouvernement avec toutes ces choses pénibles que sont le principe d’égalité, les droits des minorités et la prédominance du droit occidental sur le droit rabbinique (les femmes d’Israël, qui votent elles aussi en masse à droite, sont prévenues).

Or, l’indépendance des juges en Israël, et plus particulièrement celle de la Cour suprême, est saluée dans le monde entier et est l’un des aspects les plus respectés à l’étranger de la vie publique de notre pays. Nous avons joué cette carte un nombre incalculable de fois, assurant, ce qui était vrai dans une large mesure (pas toujours), que les actes contraires au droit international dans les Territoires étaient punis de manière indépendante par la justice israélienne. Pour dire les choses plus concrètement et plus crûment, la Cour suprême, telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici, a été le dernier rempart entre les soldats de Tsahal et la Cour internationale de justice de la Haye.

Avec la politisation revendiquée de la Cour suprême, qui se produira au fur et à mesure du départ à la retraite des juges actuels, remplacés selon le projet fièrement assumé de MM. Netanyahou et Levine par des juges plus « commodes » et proches de leur idéologie, ceci n’aura plus cours, avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer pour chaque militaire israélien qui servira dans les Territoires et y sera impliqué dans quelque incident avec des Palestiniens, même sans mort d’homme.

Quand cela se produira, la fête sera complète chez tous ceux qui ont une détestation obsessionnelle d’Israël, et qui, il faut bien le dire, n’avaient pas réussi jusqu’ici à obtenir grand-chose, malgré une campagne permanente, acharnée et multiforme menée au moins depuis la guerre des Six Jours en 1967.

On me dit à propos du nouveau gouvernement: « Ils ne font que parler, le pouvoir les calmera ». Je réponds: « Respectez la droite israélienne, elle est sérieuse, crédible, ultra-motivée et n’a pas l’ombre d’un scrupule moral. Au cours des manifestations contre Rabin, ses militants scandaient par milliers « Par le sang et le feu, nous chasserons Rabin » (en v.o.: « Bedam ve-esh èt Rabin neguaresh« ). Ils l’ont fait. Prenons-les tout à fait au sérieux aujourd’hui aussi ».

On me demande: « Est-ce que Netanyhaou est devenu fou ? Ne comprend-il pas ce qu’il fait ? ». Je réponds: « Non, il n’est pas fou du tout, évidemment. Seulement, c’est un homme aux abois, il joue sa liberté, rien de moins, et n’a qu’un seul centre d’intérêt : son procès, qu’il va chercher à faire suspendre, voire annuler – et il a aujourd’hui une majorité pour le faire ». Cette majorité inclut les personnages dont j’ai parlé dans cet article, et d’autres non moins exaltés et dangereux . Netanyahou a besoin d’eux bien plus qu’eux ont besoin de lui, et c’est pourquoi il leur a tout donné, tout bradé, et il sera seul responsable de tout ce qui va se passer maintenant.

Et nous, les « mauvais Juifs », nous resterons avec nos questions :

1) Comment est-il possible que des gens qui iraient en prison ou subiraient de lourdes amendes en France pour incitation à la haine raciale ou à la discrimination, soient ici des ministres légitimes ?

2) Comment se fait-il que les valeurs de laïcité, de tolérance, de respect des minorités, qui nous sont si chères en diaspora, quand nous sommes une minorité soucieuse du respect de ses droits, soient vues ici comme des valeurs étrangères et négatives, à combattre et à abattre ?

3) Comment se fait-il que tout cela ne semble pas troubler le repos de MM. Bernard-Henri Lévy, Finkielkraut, Arfi, et autres Marek Halter, qui ne sont pas connus pour fuir les caméras et les micros ?

4) Et enfin, la plus grande et la plus grave question de toutes : la religion et la tradition juives sont-elles vraiment ce condensé d’intolérance, de haine, de racisme et de violence? Et s’il en est ainsi, le temps n’est-il pas venu de poser publiquement les questions qui dérangent ?

à propos de l'auteur
Né à Bruxelles (Belgique) en 1954. Vit en Israël depuis 1975. Licencié en Histoire contemporaine de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ancien diplomate israélien (1981-1998) avec missions à Paris, Rome, Marseille et Lisbonne et ancien directeur de la Communication, puis d'autres projets au Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël (1998-2017).

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