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GTB GAZOUZ - Le Site qui désaltère.

Envoyé par ladouda 
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23 octobre 2015, 20:32
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CHAPITRE 11

La calèche de la Koubba

- Ma chère amie j’ai été invitée cette année par mon amie de Toulon. Cette ville est assez extraordinaire car elle est située entre mer et montagne. D’ailleurs mon amie m’a conduite sur le Mont Faron, du belvédère on peut admirer la magnifique rade qui abrite une partie de notre marine de guerre.

- En parlant de belvédère, vous souvenez-vous du Belvédère de Tunis, ce parc absolument délicieux où, petite fille, mes parents m’y amenaient le dimanche. Il s’appelle ainsi parce que son concepteur (le jardinier de la ville de Paris) du sommet de la colline sur laquelle il est implanté, pouvait admirer le golfe de Tunis et le lac Bahira.

Le Belvédère fut créé en 1892 sous l’impulsion de Joseph Lafacade qui était alors jardinier en chef de la ville de Paris et qu’on appela à la rescousse pour créer un parc dans cette ville qui manque cruellement d’eau en dehors des lagunes salées que sont la sebka de l’Ariana au nord et plus au sud celle de Sedjoumi.

Le diagnostic ne se fit pas attendre et la colline qui domine à l’est la vieille ville de Tunis et à l’ouest la grande plaine de l’Ariana retint toute son attention. Avant l’arrivée des Européens cette colline était entièrement couverte d’oliviers, cette immense oliveraie fournissait en huile et en savon (l’huile d’olive a longtemps constitué la matière première du savon) les habitants de Tunis.

Un magnifique parc à l’anglaise fut dessiné sur plus d’une centaine d’hectares. La particularité de ce parc est qu’il est traversé à la fois par des routes carrossables, des sentiers piétonniers propices aux promenades et à la méditation et par des allées cavalières.

Très rapidement on a agrémenté le Belvédère d’un pavillon ouvert qui tombait en ruine dans les jardins du palais de La Rose, ancienne demeure beylicale qui fut transformée en académie militaire et en casernement pour la cavalerie commandée pendant longtemps par Kheirredine Pacha personnage important de l’histoire tunisienne. Ce kiosque qui s’appelle la Koubba et qui fut construit au XVIIe siècle est un vrai joyau de l’architecture arabe, très modeste dans ses dimensions, il n’en reste pas moins un pur trésor de finesse et d’élégance.

Ce kiosque est surmonté d’une coupole par quatre fines colonnes. Dans les galeries ouvertes on peut y admirer des vitraux, des stucs finement sculptés et ouvragés, et des mosaïques en céramique dans le pur style de Fez.

On a également remonté une ‘midha’, un de ces bassins qui se trouvent dans les salles aux ablutions des mosquées, celui-ci a été trouvé non loin de la ‘Zitouna’ la plus grande mosquée de Tunis et sans doute l’une des plus anciennes du monde arabe et musulman.

En automne lorsque les après-midi sont chaudes et douces, le Belvédère a sans aucun doute, enchanté les belles dames de la bonne société, qui devisaient dans la calèche qui les promenait, des futilités d’une vie insouciante.

Pour nous, les enfants, une promenade au Belvédère était synonyme de jeux de cache-cache et de courses éperdues à travers les frondaisons des bosquets. Ces sorties s’accompagnaient toujours des mêmes récriminations de nos mères qui s’inquiétaient de nos joues écarlates et de nos têtes dégoulinantes de transpiration.

Dans les années 50 les endroits les plus fréquentés étaient le Casino du Belvédère où se produisaient des artistes venus d’Europe, et la piscine municipale qui a vu éclore quelques grands champions. C’est là que de nombreux gamins de Tunis ont appris à nager avant d’exercer leurs talents dans les belles plages qui longent le TGM.

Aujourd’hui, le Belvédère est un parc réputé et incontournable pour les visiteurs étrangers, les autorités municipales ont créé un zoo et un jardin botanique.

Giacomo VELLA était cocher et propriétaire de calèche, il avait six chevaux et deux calèches. Les calèches tunisiennes sont comme toutes les calèches dans les pays chauds, entièrement découvertes ; quand une pluie aussi rare que capricieuse s’abattait sur la ville une bâche très vite tirée protégeait les clients. On disait qu’il était ‘patron Karotzin’ car en maltais et Giacomo VELLA était maltais on appelait une calèche, un karotzin.

Les calèches à Tunis avaient comme principale fonction de transporter les gens d’un point à un autre comme n’importe quel taxi, accessoirement elles servaient à la promenade. Contrairement à la plupart de ses collègues qui parcouraient les rues de la ville en quête d’un client, Giacomo avait ses habitués.


Tous les matins après avoir bouchonné ses chevaux et curé leurs sabots, il en attelait deux à la calèche, il choisissait la paire de telle sorte qu’ils s’entendent bien une fois solidairement attachés. Tous ces gestes étaient accomplis avec une très grande maîtrise et un savoir faire propre aux palefreniers les plus avertis. Après s’être assuré que les mangeoires convenablement remplies avaient été placées dans le coffre qui servait de siège au cocher, il quittait l’écurie de la rue Damrémont et allait se placer à Bab El Khadra.

C’est là que ses clients l’attendaient, il pouvait arriver qu’il les attende et il chargeait trois ou quatre personnes qui parfois ne se connaissaient pas ou n’étaient pas de la même famille avec leurs couffins et leurs paniers et les conduisait au Marché Central. Il empruntait toujours le même itinéraire, l’avenue de Lyon, puis l’avenue de Paris, l’avenue de France enfin la rue Charles De Gaulle, une demi heure après il déposait ses passagers.

Il arrêtait sa calèche rue d’Espagne, mettait autour du cou des chevaux la mangeoire qu’il avait garnie le matin et s’en allait chez le marchand de beignets tout proche, manger un de ces beignets à l’huile (fteïr en arabe) au goût incomparable. Ensuite il fallait sacrifier au thé à la menthe. Après un brin de causette avec le ‘fteïr’ ( le mot ‘fteïr’ indique indifféremment le marchand et le beignet), il retournait à la calèche récupérer clients et marchandises achetées.

Giacomo refaisait le chemin inverse et déposait ses clients à Bab El Khadra. Il terminait sa matinée par une ou deux courses occasionnelles ou déjà programmées.


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25 octobre 2015, 00:06
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De retour chez lui, Giacomo VELLA prenait soin de détacher les chevaux, il les brossait soigneusement après les avoir abreuvé, puis il les replaçait dans leur stalle où ils pouvaient à loisir se reposer jusqu’au lendemain.

Giacomo entrait ensuite à la maison et après une brève toilette, il s’asseyait à table et partageait le repas avec sa femme et ses enfants.

Après une courte sieste réparatrice Giacomo reprenait son activité de cocher pour l’après-midi il attelait ses plus beaux chevaux à la robe alezan brûlé qui donnait aux muscles un plus grand sentiment de vigueur et de noblesse. Il reprenait avec minutie le cérémonial du matin et ne laissait rien au hasard. C’est que les après-midi de Giacomo étaient consacrés à la promenade de clients fortunés.

Giacomo VELLA avait réussi à se spécialiser dans la promenade commentée qui était pour l’époque une nouveauté absolue. Giacomo n’avait que son certificat d’étude, mais à l’école primaire (la seule qu’il ait fréquentée), il était le premier en histoire géographie et cette préférence était devenue pour lui une vraie passion.

Chaque fois qu’un client quelque peu érudit montait dans son ‘karotzin’ il buvait ses paroles et s’instruisait de ses connaissances. Il avait fini par acquérir une solide instruction qu’il avait développée en outre par les visites fréquentes de monuments et de curiosités dans lesquelles il entraînait ses clients. Il était devenu un solide connaisseur de l’histoire tunisienne qu’il rapportait à ses riches promeneurs tout en leur faisant admirer la finesse architecturale des édifices modernes et anciens.

Son parcours favori le conduisait immanquablement au Belvédère. Il se rendait d’abord près de l’église Ste Jeanne d’Arc de style mauresque, là où se trouvait les plus belles villas et où résidaient (comme disaient nos parents : les gens bien, c'est-à-dire assez fortunés), il chargeait souvent deux ou trois dames et se rendaient au Belvédère.

Lorsqu’après avoir franchi les portes monumentales il s’engageait dans les allées, il commençait son exposé, les chevaux se mettaient au pas, ils connaissaient si bien le chemin qu’il n’était pas nécessaire de les guider.

Chaque bouquet d’arbre avait son histoire, Giacomo ponctuait son propos, d’anecdotes survenues à des personnes connues qui avaient également arpenté les allées du Belvédère. Et puis arrivait un moment attendu des visiteuses : la petite halte devant la Koubba, Giacomo en bon guide faisait l’historique de ce pavillon qui tombait en ruine dans les jardins du Palais de La Rose, lorsqu’il fut remonté pierre par pierre dans le parc.

La Koubba de son vrai nom ‘Kobbet El Haoua’ qui signifie la Coupole aux brises (ce nom lui va très bien car le bâtiment est ouvert) ou encore la Coupole de l’amour fut réalisée au XVIIe siècle et demeura longtemps un peu seule jusqu’à cette année de 1793 où fut édifié un magnifique palais par Hammouda Pacha bey de Tunisie, il en fit sa résidence d’été. Le palais qui est connu sous le nom de ‘Borj El Kébir’ qui signifie ‘Grand Palais’ est l’une des plus grandes merveilles de l’art architectural tunisien ; il n’y a rien d’étonnant que l’élégante Koubba devint la Coupole de l’amour alors que le palais prit le nom de Palais de la Rose.

Avant de rejoindre le Belvédère, la Koubba vit passer les hôtes de marque qui séjournèrent au palais comme le contre amiral Lesseigues en 1802 défait quelques années plus tard devant St Domingue par les Anglais et la reine Caroline de Brunswick en 1816.

Plus tard en 1839 devant la Koubba défila la cavalerie beylicale commandée par le Général Kheireddine, le palais était devenu entre-temps un casernement réservé à la cavalerie. Giuseppe Garibaldi y fut également reçu comme conseiller militaire.

Giacomo a ouvert son livre d’histoire devant son public, et il raconte à la manière troubadour, à ce moment précis, il ne travaille pas il rêve et fait rêver.

Devant la ‘Midha’, nouvelle halte ; ces pierres ont douze siècles d’âge elles méritent un petit commentaire car ce petit bassin aux ablutions (les ablutions sont un rite de purification, que tout bon musulman exécute avant la prière) a une histoire liée à l’histoire du lieu où il fut trouvé .

En effet il provient de la mosquée Zitouna qui est l’une des plus anciennes du maghreb, construite quelques 60 ans après la Grande Mosquée de Kairouan.

La médersa qui lui est rattachée est l’une des écoles ou université coranique les plus réputés du monde. La Zitouna est construite au souk El Attarine, le plus vieux souk de Tunis. On prétend que la Zitouna édifié en 732 sous le règne des Omeyades fut reconstruite sous le règne d’un sultan aghlabide en 804.

Les souks sont organisés selon une géométrie précise qui répond aux exigences de la religion; les activités propres près de la mosquée, ainsi le souk El Attarine est le souk aux parfums ensuite vient le souk El Birka qui a abrité le souk aux esclaves mais qui est devenu le souk aux orfèvres plus loin les souks des métiers moins propres le souk aux cuivres, aux chéchias, puis le cuir enfin le souk des tanneurs très loin de la mosquée qui ne doit souffrir d’aucune impureté.

La mosquée de l’olivier, Zitouna vient du mot olive, fut construite sur un lieu saint planté d’un olivier ; mais une autre interprétation révèle que la mosquée fut construite sur les vestiges d’une ancienne basilique chrétienne dédiée à Ste Olive, martyrisée à Carthage sous le règne de l’empereur Hadrien en 138 ap JC.

Giacomo encore ému par la ferveur qu’il a apporté à son récit remonte sur le ‘Karotzin’. Il reprend son métier de cocher, il n’a pas livré tous ses secrets ; demain peut-être, devant le palais du Bardo, racontera-t-il l’avènement des différentes dynasties beylicales. Place Ste Jeanne d’Arc il dépose ses clientes, il encaisse sa course comme n’importe quel cocher, et repart la tête dans les étoiles.







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25 octobre 2015, 23:11
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CHAPITRE 12

Les martyrs de Carthage

- hier dans la salle d’attente de mon médecin j’ai feuilleté un magazine qui présentait un reportage sur la ville romaine d’Ephèse en Turquie.

- je suis sûre que vous avez fait un rapprochement avec Carthage.

- je pense que Carthage est beaucoup plus étendue, nous y sommes allées souvent, vous vous en rappelez !

Les ruines de Carthage ont été pendant de longues années, le théâtre de nos jeux d’enfants.

Pensionnaires au lycée de Carthage, les pions nous emmenaient souvent en promenade dans le vaste champ de ruines de la cité romaine.

Bien que le programme d’histoire de 6ème fût l’Antiquité, nous n’écoutions pas toujours nos professeurs avec le meilleur intérêt, car pour tout dire nos connaissances étaient plutôt concrètes et directement palpables.

Ce que nous connaissions le mieux de l’Antiquité c’étaient les pierres qui avaient fait la magnificence de Rome dans la plus belle et la plus prestigieuse de ses colonies.

Nous avons passé pour certains d’entre nous plus de quatre ans au milieu de maisons romaines, de villas, de théâtre, d’amphithéâtre, de temple, de basiliques ; les jeux de cache-cache nous permettaient de découvrir des souterrains, des bassins et des sols magnifiquement mosaïqués, des colonnes abattues, leurs chapiteaux reposant à même le sol, car en dehors des thermes d’Antonin (les plus grands d’Afrique et certainement les plus beaux de l’empire romain) qui étaient interdits au public non accompagné d’un guide, la cité endormie, à l’époque de notre enfance était librement ouverte ; les autorités n’exerçaient encore, aucune surveillance et les archéologues n’avaient pas encore fait leur travail de recherche et de mise à l’abri de tous les trésors qu’elle recèle.

Bien des années plus tard, j’ai revu au musée du Bardo, qui possède l’une des plus belles collections de mosaïques romaines du monde, une merveilleuse mosaïque sur laquelle, j’avais posé mes pieds d’enfant, ignorants de tant de richesses.

Dans ces rues couvertes de pierres célèbres, un jeu nous prenait pas mal de temps, c’était la recherche de pièces de monnaie romaines.

Pour cela, il fallait attendre les pluies d’automne et d’hiver, dans les rigoles creusées par les orages intenses on découvrait de temps en temps une pièce couverte de vert de gris.

Il fallait alors beaucoup de patience et d’application et frotter et astiquer pour que, sublime récompense, apparaisse parfois, l’effigie de l’empereur sous lequel elle avait été frappée. Le fait était rare car le plus souvent la pièce était beaucoup trop usée pour livrer son secret.

Quand on pouvait distinguer quelque chose, un visage ou des inscriptions, notre culture était insuffisante pour identifier le personnage et le nombre de pièces trop important pour importuner sans cesse le professeur de latin du lycée.

Nous avons du certainement croiser, au travers d’un denier un empereur célèbre, et sans doute, sans le savoir, nous avons peut-être enfermé, dans la boîte d’allumettes qui servait de cachette à notre trésor, Calligula, Néron, Caracalla ou Hadrien.

Malgré notre quête persévérante, jamais aucune pièce d’argent ou d’or n’est tombée dans notre escarcelle, à croire que les patriciens savaient mieux cacher leur or, que les plébéiens leurs deniers de cuivre.

Nos camarades ne se livraient pas tous à la passion du découvreur, certains mesuraient leur force en basculant d’immenses chapiteaux de colonnes, d’autres avaient la passion des souterrains et s’enfouissaient de longues minutes à l’abri des regards comme on aime le faire dans une cabane de branchages construite dans les bois.

Certains pions plus cultivés que d’autres, nous donnaient parfois des informations. C’est ainsi que nous avons découvert les tombaux puniques de la Carthage carthaginoise, que nous savions selon le modèle, si un alignement de colonnes représentait les restes d’un temple romain ou d’une basilique chrétienne de la première époque. Théâtre, amphithéâtre, forum tous ces mots et parfois les lieux ne nous étaient pas étrangers.

Plusieurs décennies plus tard, loin de Carthage et de la Tunisie, en visitant des sites archéologiques j’ai compris le privilège unique que nous avions eu de vivre cette expérience sublime dans l’une des cités antiques les plus célèbres du monde.

L’histoire de la Carthage carthaginoise, celle des phéniciens est difficile à étudier, car peu de sources phénico-puniques sont disponibles.


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27 octobre 2015, 00:36
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Les textes puniques (le mot punique est dérivé du Poeni latin qui désigne les phéniciens, peuple, dont sont originaires les Carthaginois) malheureusement très rares, ont été traduits par des auteurs grecs ou latins ; s’agissant d’ennemis de Carthage, le contenu de ces écrits est peu probant pour expliquer le développement et la splendeur de cette ville.

Selon la légende, la ville aurait été créée vers 814 avant JC. Elissa ou Didon était la fille de Bélos, roi de Tyr, mariée à son oncle Sychée qui était extrêmement riche. A la mort du roi, Pygmalion frère de Didon, intrigue et succède à son père.

Avide du trésor de Sychée, il le fait assassiner. Elissa s’enfuit avec une suite nombreuse et plusieurs bateaux. Elle s’arrête d’abord à Chypre où elle fait enlever cinquante jeunes filles qu’elle donne à ses compagnons de voyage, puis elle accoste près d’Utique, colonie phénicienne, sur la rive d’Afrique qui ne s’appelle pas encore la Tunisie, le lieu lui paraît si hospitalier qu’elle décide de s’y arrêter.

Elle souhaite acheter un terrain, mais le maître des lieux, Hiarbas, roi de Mauritanie chef de la peuplade nomade des Gétules ne lui consent que la surface d’une peau de bœuf. Grâce à un stratagème (elle coupe la peau de bœuf en très fines lanières qu’elle met bout à bout) elle obtient le droit de s’installer sur la colline de Byrsa qui signifie peau de bœuf (c’est ainsi qu’elle s’appelle encore de nos jours).

Avec ses compagnons et grâce aux habitants d’Utique elle fonde une ville qu’elle appelle Kart-Hadasht, ville nouvelle que les romains appelleront plus tard Cartanigienses, et qui donnera Carthage. Le roi Harbias ébloui par la beauté et les richesses d’Elissa l’invite à l’épouser, mais celle-ci fidèle à son époux et ne pouvant se dérober décide de se donner la mort avec un poignard et demande qu’on brûle son corps ; éblouis par ce geste de bravoure, les compagnons de la princesse Elissa lui donnèrent le nom de Didon qui caractérise le courage et l’héroïsme.

Une autre interprétation est tout aussi passionnante, on raconte que le héros troyen Enée, fils du mortel Anchise et de la déesse Aphrodite, s’enfuit de Troie lorsque celle-ci tomba aux mains des Achéens, pour fonder une nouvelle ville de Troie sur un autre territoire. La légende raconte qu’Enée aurait accosté à Carthage et Didon en serait tombée amoureuse. Mais pour respecter le serment qu’il avait fait auprès de ses concitoyens et n’écoutant que son devoir, Enée prit la mer pour se rendre en Sicile.

Par désespoir Didon se serait donné la mort par le feu, Enée de son bateau aurait vu l’incendie. Cette version imaginée par le poète latin Virgile a donné naissance à l’Enéide qui est le plus célèbre poème de l’Antiquité. C’est cette légende qui fut retenue par les artistes et popularisée par tant d’œuvres littéraires, picturales et musicales.

C’est vers la fin du VIIe siècle avant JC que Carthage aurait acquis son indépendance sur Tyr, à qui elle payait un lourd tribu d’allégeance. L’histoire de Carthage et des Carthaginois est une longue succession d’affrontements avec les grecs d’abord qui lui disputaient sa suprématie sur la Sicile puis avec les romains pour s’assurer du contrôle de la méditerranée occidentale.

La Sicile occupée successivement par les grecs puis par les romains sera le principal théâtre des opérations militaires.

Le conflit majeur restera celui qui l’opposera à Rome aux cours de trois guerres appelées guerres puniques. La première commence en 264 avant JC, le général carthaginois Hamilcar Barca est défait au cours de la bataille navale qui se déroule en Sicile.

Il se réfugie en Espagne, c’est d’Espagne que son fils Hannibal lance la deuxième guerre punique, celle-ci sera terrestre ; des moyens très importants d’infanterie seront mises en œuvre des milliers de fantassins, de cavaliers s’affronteront et Hannibal fait même donner des éléphants qui traverseront les Pyrénées, le Rhône et les Alpes, il menace Rome mais celle-ci parviendra à vaincre.

La troisième guerre punique se déroulera sur le sol africain, et se terminera en 146 avant JC par la victoire définitive du général romain Scipion dit ‘Scipion l’Africain’.

Le territoire de Carthage sera déclaré maudit, la ville sera entièrement détruite après trois ans de siège. On raconte que du sel aurait été répandu sur le sol pour que plus rien ne repousse, mais cette thèse est démentie par les faits car quelques cent ans plus tard Carthage sera reconstruite par les romains elle deviendra l’une des plus belles villes du monde et l’un des fleurons de la colonisation romaine en Afrique, mais surtout le deuxième grenier de Rome après la Sicile.






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28 octobre 2015, 13:39
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C’est Jules César, le premier, qui eut l’idée de reconstruire Carthage, mais son assassinat en 44 avant JC aux Ides de mars ne permet pas au projet de voir le jour. C’est le premier empereur Auguste de la famille des ‘Julii’ qui décide en 29 avant JC de reconstruire Carthage et lui donnera le nom de ‘Julia Concordia Karthago’ au nom de Carthage seront associés les mots de concordia car la concorde est le sens que l’empereur Octave Auguste veut donner à sa politique après les guerres fratricides qui l’ont opposé au général Pompée et Juilia qui est le nom de sa famille.

La colline de Byrsa, le site originel, deviendra avec les romains le forum de la ville, c'est-à-dire le centre de la vie publique, Carthage est déclarée capitale proconsulaire de la province d’Afrique et redevient une cité très peuplée véritable écrin au bord de la méditerranée.

Il est possible que Carthage se soit étendue vers l’ouest de la Tunisie sur plusieurs dizaines de kilomètres, certains historiens de l’antiquité prétendent que plusieurs ‘pagi’ (au singulier pagus : division administrative semblable au canton) aient été créés de telle sorte que la ville s’étende jusqu’à Dougga éloignée de 100 kilomètres d’un seul tenant. Carthage est alors la deuxième agglomération du monde romain et aurait atteint les 300 000 habitants.

C’est dans la Carthage impériale, puissante et rayonnante que commencent dès le IIe siècle les persécutions de chrétiens.
En 258 St Cyprien évêque de Carthage est supplicié. Mais c’est plus de cinquante ans plus tôt, sous le règne de Septime Sévère, qu’aura lieu le martyr de deux personnages emblématiques des persécutions de chrétiens en terre d’Afrique.

Leur histoire est singulière Felicitas et Vibia Perpétua sont deux jeunes femmes catéchumènes (novices non encore baptisées). Elles sont arrêtées avec quatre autres jeunes gens.

Felicitas est de condition très modeste de même que le jeune Revocatus, en revanche Perpetua et les jeunes Saturninus, Saturus et Secondulus sont issus d’importantes et riches familles romaines. On rapporte que Félicité (nom français) ait été l’esclave de Perpétue (nom français) et ce sont les noms de ces deux jeunes femmes que l’histoire a retenu car l’une est enceinte et l’autre est mère d’un enfant à la mamelle.

Elles seront toutes les deux ensembles, enveloppées dans un filet et livrées à la mort par un taureau en furie

Ce martyr a fait l’objet de nombreux écrits de l’église orthodoxe et de l’église chrétienne romaine et St Augustin quelques siècles plus tard prononça plusieurs fois leur panégyrique.

On a retrouvé les pierres tombales et les corps attribués aux deux Saintes non loin de la Basilique Maiorum située près de l’actuelle Sidi Bou Saïd et édifiée non loin des cimetières chrétiens.

Une légende cependant tente d’accréditer l’idée que le martyr ne se serait pas déroulé à Carthage, mais le fait que les jeux en vue de supplicier les chrétiens avaient lieu dans l’imposant amphithéâtre de Carthage, et la découverte des restes retrouvés toute proche du site nous éloignent de cette hypothèse.

La captivité de Perpétue et de ses compagnons nous est racontée par un texte de cette même Perpétue et Saturus écrit avant leur mort. Sécondulus serait mort en prison. On sait aussi que les autorités romaines ont attendu la naissance de l’enfant de Félicité pour exécuter la sentence.

Enfin un récit du supplice est rapporté par un contemporain sans garantie d’authenticité.

Au cours de cette période de très nombreux chrétiens ont été suppliciés en Afrique, l’histoire de Ste Félicité et Ste Perpétue à été magnifiée par le fait que le christianisme naissant a voulu associer dans une même ferveur riches et pauvres, esclaves et patriciens.

Le corps de Ste Félicité aurait été transféré d’abord à Rome pour échapper à l’invasion vandale qui s’abattit sur Carthage,   puis en France à Vierzon dans l’abbaye St Pierre, il fut brûlé en partie par des révolutionnaires en 1793, seule une partie du crâne fut préservée et déposée dans l’église Notre-Dame.

Tous les ans, le septième jour de mars l’amphithéâtre de Carthage s’emplit de fidèles qui viennent prier sur les lieux mêmes du martyr de Ste Félicité et Ste Perpétue.






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30 octobre 2015, 23:56
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CHAPITRE 13

Promenades goulettoises
- lorsque nous allions à Tunis par le TGM, arrivés à la Goulette, je me mettais à la fenêtre pour observer le canal qui longeait la voie ferrée
- avec mes parents, on s’y arrêtait quelquefois, j’aimais bien aller au marché au poisson

Avant que de décrire ce lieu, il est important d’en définir le nom et d’en connaître l’étymologie. Dès le VIIIe siècle les arabes installés à Tunis l’ont appelé ‘Halq el-Ouad’ qui signifie l’embouchure ou la gorge du fleuve.

C’est donc tout naturellement que les Italiens qui débarquent dans cette région au XVIIIe l’appellent gola (gorge) ou goletta (petite gorge), les Français qui arrivent quelques décennies plus tard francisent le mot en Goulette. Mais d’où lui vient cette dénomination de gorge, pour cela il faut remonter aux temps géologiques qui virent une anse du golfe de Tunis se transformer en lac par l’effet d’un double tombolo provoqué par les dépôts de deux rivières l’oued Medjerda au nord et l’oued Miliane au sud.

Au fil du temps l’embouchure de la Medjerda s’est déportée vers le nord de la Tunisie. Ce lac d’eau salée n’était cependant pas entièrement fermé ; un petit canal large de 28 mètres le reliait à la mer, c’est ce petit canal en forme de gorge qui donna son nom à La Goulette. Les phéniciens puis les romains installés à Carthage avaient parfaitement identifié le lac car ils l’appelaient ‘stagnum’, qui veut dire lagune salée et peu profonde.

Les Carthaginois avaient choisi pour leurs navires des installations portuaires à proximité de la ville de Carthage et avaient délaissé la zone de Tunis insalubre. Lors de la destruction des ports puniques et romains par les arabes et du choix de Tunis comme ville principale, la rade de La Goulette devint le lieu privilégié de mouillage de tous les bateaux qui commerçaient avec les marchands arabes.

Ils ne se risquaient pas à traverser le canal, pour se rendre à Tunis, à cause de la faible profondeur des eaux du lac. Toutes les goélettes qui croisaient dans ces eaux ont pu créer la confusion, mais le nom de Goulette ne vient pas de goélette et il est bien conforme à la toute première origine.

La Goulette connaît la première vague de colonisation italienne, les pêcheurs de la ville sicilienne de Trapani arrivent les premiers, avec leurs bateaux, ils font une courte halte dans l’île de Pantelleria et abordent les côtes tunisiennes.

Ils s’installent avec leurs bateaux dans le port de la Goulette dès 1860.

D’autres les rejoindront, venant de Syracuse ils fondent dans la vieille ville la ‘Petite Sicile’ un quartier entièrement peuplé de Siciliens, ils achèvent la construction de l’église Saint Augustin, des frères capucins siciliens sont chargés de l’animation, une copie de la vierge de Trapani est apportée sur place et le 15 août les fidèles viennent des différentes villes de Tunisie pour se fondre à la foule et assister à la procession.

Cet évènement revêt un caractère particulier car au fil des années la procession de la ‘Madone de Trapani’ verra ses rangs grossir et se garnir de juifs et de musulmans, ainsi le peuple ‘goulettois’, sans distinction de religion, communie dans la même ferveur. (le film de Férid Boughédir relate ce fait dans ‘Un été à la Goulette’)

La Goulette est peuplée aussi de Maltais de Juifs et d’Arabes, sur les bateaux de pêche on ne sait pas qui est Sicilien, Maltais ou Arabe, ils parlent une seule langue faite de 5 mots de Siciliens, 2 mots de Maltais et 4 mots d’Arabe et même si l’on inverse les proportions cela n’a pas d’importance.

La Goulette deviendra très vite une ville populaire qui s’étend. Au début du XXe siècle le chemin de fer la relie à Tunis et comme la ligne va de Tunis à la Marsa on appelle le train le ‘TGM’ (Tunis-Goulette-Marsa).

En 1905 on construit à la Goulette une centrale électrique qui non seulement permet d’électrifier la ligne du TGM, mais aussi de fournir du courant à toute la population de Tunis.

La Goulette devient très vite une coquette station balnéaire, après Goulette Vieille, le quartier de Goulette Neuve prendra naissance, de très beaux immeubles viennent garnir le front de mer, la Goulette poursuit sa cure de beauté et un jour un casino sortit de terre, il s’avançait vers la mer sur une petite jetée. La Goulette devint la plage préférée des Tunisois.

Le TGM déverse alors son flot de familles au fil de ses trois stations : Goulette Vieille, Goulette Neuve et Goulette Casino, que de rencontres, que de camaraderies, que d’amitiés partagées se sont nouées sur ces plages, tout ce petit peuple de Tunis se rassemble et se mélange, ici l’accent juif chantant et traînant, là l’accent rocailleux des Siciliens, le parler arabe où l’accent maltais, les enfants qui jouent, la grand-mère qui essuie le petit fils qui sort de l’eau et gelotte, les pères qui discutent, les mères qui crient depuis le sable aux enfants qui s’ébattent dans la mer : «  ne va pas loin, fais attention, parce que si tu te noies, je te tue ».


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01 novembre 2015, 01:12
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Et les marchands de glibettes (graines de courge ou de tournesol salées et grillées) qui passaient et repassaient sans cesse pour vendre leurs petits cornets réalisés dans du papier journal.

La goulette était aussi un port de pêche, aussitôt à quai les pêcheurs vendaient leur poisson parfois encore vivant. La foule des acheteurs se pressait, et chacun repartait avec un ou plusieurs poissons d’argent dans le couffin (en Tunisie c’est ainsi qu’on nomme le panier à provision de paille tressée) .

Le poisson complet de chez Bichi.

Comment comprendre cette dénomination de poisson complet sinon de l’opposer aux filets de poissons et aux bâtonnets panés vendus sur tous les étals de nos poissonniers. Ainsi un poisson complet serait un poisson dont on peut encore voir les écailles la tête et la queue ?

Pour tous ceux qui n’ont pas connu La Goulette, la définition est suffisante, mais sans verser dans une sirupeuse nostalgie on est bien obligé de reconnaître que le poisson complet de chez Bichi et sa ‘testira’ sont à rajouter aux sept merveilles du monde.D’abord le poisson complet de Bichi est un plat populaire, on est loin de la cuisine raffinée et subtile des princes et des rois, et pourtant tout un cérémonial préside à sa préparation.

Le restaurant Bichi était une petite maison de rez-de-chaussée et un vaste espace couvert de tables et de chaises qui s’étendait sur le trottoir de la principale avenue de Goulette Vieille et même dans la rue au point de gêner le passage des voitures qui devaient se frayer leur chemin au milieu des clients.

Au fond le vrai décor était la rue, qui la nuit venue s’éclairait de guirlandes lumineuses pendues aux banches des arbres. Combien de convives, pouvait accueillir Bichi, difficile à dire mais dans la douceur des nuits d’été délicatement rafraîchies par une légère brise marine sans aucun doute plusieurs dizaines.

Le maître des lieux avait poussé la coquetterie jusqu’à l’installation d’un aquarium à eau de mer dans lequel s’ébattaient des poissons qui un jour ou l’autre terminaient leur vie dans une assiette bienveillante.

Tout le monde ne mangeait pas le même poisson chez Bichi, le mulet était réservé aux juifs car c’étaient eux qui en étaient les plus friands, les Italiens préféraient le rouget ou la daurade, la clientèle française avait une prédilection pour le loup, les arabes, quant à eux préféraient se replier sur les cafés maures et les ‘fteïrs’ (marchands) qui se trouvaient à proximité et qui proposaient des casse-croûtes tunisiens, les briks à l’œuf ou les ‘fteïrs’ (fameux beignets à l’huile).

Le poisson était accompagné de sa ‘testira’ ou ‘kaftéji’, ensemble de légumes composé de poivrons, courgettes, pommes de terre frits, découpés après la friture, mélangés et épicés au karoui (carvi) sur laquelle trônait un œuf poché à l’huile d’olive.

Pour frire le poisson on récupérait l’huile de friture des poivrons, c’est elle qui donnait un goût incomparable au poisson. Cet assemblage de légumes et de poisson a pris le nom de poisson complet. Après un pareil dîner restait-il encore une place pour une autre gourmandise ? On restait en général sur ce plaisir rare et on sacrifiait au thé à la menthe que le patron vous offrait en hommage pour avoir eu la bonne idée de lui rendre visite.

Bichi était un homme simple et affable, personne ne l’a jamais vu habillé autrement, qu’avec son tablier noué autour de la taille, il faut dire que son tour de taille était plutôt imposant, nourri à la bonne cuisine juive il avait pris, avec l’âge, une certaine ampleur.

Bichi (personne n’a jamais su si c’était son nom, son prénom ou un surnom) commandait sur une armada de serveurs, sûr du savoir faire culinaire de ses cuisiniers, il préférait déserter la cuisine et évoluer au milieu de ses clients ; il avait l’œil à tout, tel un chorégraphe, il réglait le ballet et le va et vient incessant des serveurs.

On n’était jamais déçu chez Bichi, tous les pêcheurs de La Goulette lui réservaient leur meilleur poisson, et lui en commerçant averti, les faisait tous travailler en leur achetant à tour de rôle le résultat de leur pêche.

Une fois par semaine, le vendredi, veille de shabbat vous ne pouviez par manger le poisson complet car le restaurant Bichi préparait le couscous au poisson.

Le couscous au poisson est une spécialité de couscous que la France n’a pas importé, et pourtant en Tunisie il trône au panthéon des mets les plus appréciés.

Son origine est très imprécise, nous savons tous que le couscous est né dans ces contrées d’Afrique désertiques peuplées par les berbères, ils appelaient ‘Kseksu’ ce mélange de céréales grossièrement pilées qu’ils accompagnaient des maigres légumes qu’ils parvenaient à faire pousser.


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01 novembre 2015, 23:22
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Plus tard les caravaniers venus du Sud, en commerçant avec les arabes qui se sont installés dans tout le Maghreb, leur font découvrir ce met qui sera au fil du temps enrichi, notamment par l’ajout d’épices de viande et de divers autres légumes.

L’origine du couscous au poisson est en revanche moins précise. Si la base de céréales est empruntée à la recette initiale, le mariage avec le poisson semble provenir de divers horizons.

En 1542 des génois s’installent dans la petite île tunisienne de Tabarka située à quelques coudées de la terre ferme, ils y fondent une communauté de pêcheurs de corail jusqu’en 1742 (le fort génois qui domine la ville est la trace la plus visible de ce passage).

Sans doute découragés par la rareté de la ressource ils émigrent dans une petite île sarde du nom de San Pietro où ils fondent la ville de Carloforte essentiellement peuplée de Tabarquins (habitants de Tabarka).

Aujourd’hui, Tabarka est reliée à la terre ferme et les habitants de San Pietro consomment un merveilleux couscous au poisson, ce plat s’est répandu dans toute la Sicile voisine qui revendique la paternité de cette délicieuse préparation.

Pour d’autres le couscous au poisson est originaire de la ville de Sousse située au bord de la mer méditerranée et dont les fonds marins sont extrêmement poissonneux.

Pour d’autres enfin le couscous au poisson est né dans l’île de Djerba, en effet dans le petit musée des traditions locales qui se trouve dans la principale ville de Houmt Souk est exposé un couscoussier du XVIIe siècle à double fond permettant de déposer le poisson sur le fond, puis en le séparant de la partie supérieure par un petit plateau en terre sur lequel on peut déposer le couscous qui va se parfumer au fumet du poisson qui cuit au dessous à la vapeur.

Cet ingénieux ustensile provient de recherches archéologiques entreprises dans le fort espagnol construit après la prise de possession de l’île par un amiral aragonais.

Mais au fond peu importe l’origine, le fait est que le couscous au poisson de Bichi est un petit chef-d’œuvre.

La préparation de la sauce (‘marga’ pour les tunisiens, ce mot est semble-t-il d’origine maltaise, il n’en a pas moins été emprunté et adopté par les arabes, les juifs puis le reste des habitants), obéit à un véritable cérémonial car c’est de la réussite de la sauce que dépend le succès futur de la recette. Les ingrédients sont des plus classiques oignons, tomates, poivrons, piments, coriandre, épices (parmi les épices les plus utilisées il y a le cumin, le curcuma, le safran, et même le gingembre). La sauce prête, il est temps de plonger le poisson. Un seul poisson trouve grâce aux yeux des amateurs : le mérou et dans ce poisson le morceau de choix en est la tête.

Vous ne ferez sûrement pas confectionner par Bichi un couscous au poisson sans mérou. Il n’était pas rare que dans l’immense marmite dans laquelle mijotait dès le matin la ‘marga’ l’on y plonge les tranches énormes d’un mérou de dix kilos qui avait été exposé une heure ou deux devant la devanture comme pour interpeler le chaland.

Enfin on s’occupait de la semoule. Aujourd’hui par des procédés industriels, la semoule est précuite, il faut quelques minutes pour obtenir un résultat acceptable. Autrefois il fallait travailler longuement la semoule, la rouler, pour qu’elle prenne petit à petit la consistance voulue avant de la cuire.

Enfin lorsqu’arrivait le moment de la cuisson, le poisson était séparé de la sauce qui était, elle-même, versée dans les couscoussiers, et la vapeur odorante qui montait cuisait la semoule.
Bichi se distinguait des autres cuisiniers, suprême coquetterie, il présentait avec le couscous une tranche de courge qui avait longuement mijoté avec une partie de la sauce.

Il ne fallait surtout pas chercher des confidences sur ses recettes, Bichi vous gratifiait d’une pirouette, d’un large sourire et d’une tape amicale sur l’épaule ; on était là, seulement pour se délecter, apprécier les saveurs, goûter la douceur de l’air, tendre la narine au passage d’un marchand de jasmin, fermer les yeux, et rêver. Rêver de quoi ! Mais de rien puisque dans ces moments, l’imaginaire et le réel se confondent.

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02 novembre 2015, 23:27
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CHAPITRE 14

Youssef Le petit chamelier de Douz

- mon seul regret après tant d’années passées en Tunisie, est de n’être jamais allée dans le sud
- j’avoue avoir eu un peu plus de chance que vous, car avec mes cousins nous sommes allés jusqu’à Gabès

Après ce voyage entrepris au nord de la Tunisie, je ne voulais pas vous quitter sans conduire nos pas vers le sud, la naissance du désert où pendant des siècles, de longues caravanes de nomades remontaient pour commercer avec les marchands arabes qui venaient alimenter les boutiques des commerçants de Gabès, Sfax ou Tunis.

Les grecs puis les romains se sont risqués sur ces trajectoires, ils ont descendu la Tunisie jusqu’à la Libye annexant la province grecque de Cyrénaïque en 74 av JC. Plusieurs villes furent fondées, on dit que Rome fut implantée au milieu des sables, la principale ville Leptis Magna donna même un empereur à Rome : Septime Sévère. Les Romains bien longtemps après les phéniciens et les grecs empruntèrent deux routes : l’une côtière à l’est qui passe par la ville d’El Djem l’antique Thysdrus, l’autre plus intérieure à l’ouest le long de la frontière algérienne qui fait étape dans la ville de Sbéïtla, Sufetula pour les romains. Chacune de ces deux villes abrite un joyau architectural de l’empire romain connu dans le monde entier.

Si nous poursuivons les itinéraires tracés par les romains, nous traverserons à l’est le sahel tunisien, la ville de Sfax, puis celle de Tataouine, enfin la ville de Gabès En replongeant au centre nous entrons dans le désert par l’oasis de Tozeur. En empruntant la voie de l’ouest, nous parvenons dans le désert rocheux et montagneux qui converge également vers Tozeur

La ville d’El Djem est aujourd’hui une petite ville tunisienne comme il en existe de nombreuses alentour, seuls les vestiges du deuxième plus grand amphithéâtre du monde romain 30 000 spectateurs) après le colisée de Rome (45 000 spectateurs), l’ont rendue célèbre, les deux édifices sont parfaitement conservés. L’amphithéâtre d’El Djem, atteste de l’ampleur et de la magnificence de la ville de Thysdrus, mais il est malheureusement le dernier vestige de la grande cité. Sbéïtla au contraire dispose d’un site archéologique de première importance avec des monuments en excellent état, notamment la triade capitoline qui constitue l’une des trois triades qui demeurent dans le monde.

La cité est également pourvue d’un théâtre, d’un forum, de deux arcs de triomphes très bien conservés l’arc de Dioclétien et celui d’Antonin le pieux, de thermes, de rues pavées ; un véritable joyau au milieu de nulle part. La triade capitoline est en fait un temple dédié à Jupiter le roi des dieux auquel on a adjoint le temple de Junon déesse de la fécondité et Minerve déesse des arts et de la guerre.

Contrairement à celui de Rome qui est un temple unique à trois nefs pour figurer la triade, celui de Sufetula (Sbéïtla) est formé de trois bâtiments accolés l’un à l’autre de taille sensiblement égale. La triade capitoline, par ce regroupement ternaire de divinités nous renvoie à ce chiffre trois qui constitue universellement à travers le temps, pour tous les hommes, le nombre fondamental. Toutes les croyances, toutes les religions connues par le monde sont fondées sur le trois.

Chez les Mayas, leur conception de l’existence est inscrite dans ce raisonnement ; pour eux il y a trois mondes le ciel, la terre et l’inframonde (le monde souterrain) dans lequel reposent les morts. Le soleil et la lune qui représentent leurs principales divinités parcourent le chemin du ciel à la terre puis à l’inframonde lorsque le soir pour l’un, le matin pour l’autre ils disparaissent sous la terre.

C’est le même cheminement qu’empruntent les humains qui après leur disparition dans l’inframonde pourront regagner le ciel, leurs pyramides comportent 3x3 degrés. Pour les Chinois le trois est le nombre parfait qui place l’homme, entre l’empire céleste et la terre, La mythologie égyptienne établit aussi une triade selon le principe père (Osiris), mère (Isis) fils (Horus).

Pour les hindouistes trois divinités : Brahma,Vishnu, Shiva régissent le monde, il en va de même pour le boudhisme qui consacre le triple joyau Boudha, Dharma, Sangha, celui-ci s’appelle triatna. Les juifs évoquent la triade originelle : la terre, le peuple, le livre ; le chapelet des musulmans comporte trois fois trente trois plus trois grains et les chrétiens célèbrent la trinité (autre coïncidence Jésus est mort à trente trois ans à trois heures de l’après-midi et est ressuscité le troisième jour.

Ceci nous a sans doute éloignés de la triade capitoline de Sbéïtla qui reste pour sa rareté un sujet exceptionnel d’étude du monde romain.

Notre promenade romaine ne nous a pas détournés du chemin qui conduit au sud. Notre voyage dans le nord était fait de senteurs de fleurs d’orangers et de jasmin, des couleurs bleues du ciel et de la mer, de la finesse de l’architecture arabe, des bruits tantôt familiers de la rue, tantôt langoureux du luth, du cosmopolitisme de l’époque coloniale. Dans le sud plus rien de tout cela : des collines de Matmata à la grande plaine des Chotts (lacs salés), de la ‘Corbeille de Nefta’ aux oasis de montagne de Chebika et de Tamerza, tout est différent, tout devient plus difficile, les terres arides brulées par le soleil et le sirocco ont fait place aux jardins luxuriants, l’ocre est la couleur dominante et puis il y a le sable qui pénètre et s’insinue partout, par jour de grand vent. Et pourtant nous ne pouvons imaginer combien ce pays est attachant, ces villages accueillants et ces enfants aimablement bruyants.

Toutes ces villes, tous ces villages ont leur histoire, leurs habitants originels les berbères ont vu passer les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Vandales, avant que les arabes ne s’y installent définitivement.

De toutes ces villes se détache la très religieuse Tozeur, cette ville a une histoire très ancienne, puisque dans l’Antiquité elle fut fréquentée par les Egyptiens, son nom a du reste été inspiré par la pharaonne Taousert veuve de Setih II lui-même petit fils du grand Ramses II. Tozeur est devenu un centre de commerce, d’échanges et de transactions entre les caravaniers venus des territoires africains éloignés qui traversaient le Sahara pour vendre ivoire, pierres précieuses, fourrures de bêtes sauvages et esclaves et les marchands arabes pour leur acheter dattes et produits manufacturés.



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03 novembre 2015, 09:19
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Tozeur est aussi une ville religieuse et culturelle où l’on pratique le soufisme qui est une quête spirituelle mystique et ascétique de l’islam. Le mot arabe ‘safa’ signifie clarté, limpidité, pureté cristalline.

Auparavant la ville a connu l’influence chrétienne sous l’impulsion de St Augustin d’Hippone lui-même né en Afrique d’un père romano-africain et d’une mère berbère, c’est semble-t-il sur les ruines d’une basilique chrétienne que fut construite la mosquée El Kasr. Encore aujourd’hui on a conservé de cette période un rite étonnant on baptise les enfants avant la circoncision (ce rite s’appelle le Sidi Yuba)

Si les caravaniers faisaient halte à Tozeur c’est aussi pour bénéficier de sa bienveillante et accueillante oasis. Dès l’antiquité fut mis en place un système de répartition équitable de l’eau mesurée par le ‘gadous’ (mesure hydraulique, le terme est encore employé aujourd’hui) qui vient du latin ‘cadus’ (clepsydre).

La culture d’oasis est savamment articulée autour de principes simples entre les plantes qui vont chercher l’eau profondément dans la terre et celles dont les racines sont progressivement moins profondes, celles dont la lumière maximale est nécessaire et celles qui ont besoin de moins de lumière. Cette recherche conduit à une végétation à plusieurs niveaux.

Très haut et au dessus de tous les végétaux on trouve les palmiers dattiers, ils prennent le soleil et filtrent ses rayons, en même temps peu gourmands en eau leurs racines vont chercher en profondeur leur substance nourricière ; ensuite on trouve les arbustes méditerranéens : orangers, citronniers, pêchers, pommiers, abricotiers, grenadiers, à l’ombre des arbres fruitiers on cultive les céréales et les cultures maraîchères.

Ce dont les habitants de ces territoires doivent se méfier c’est de la surexploitation de l’eau ; aujourd’hui il faut aller la chercher de plus en plus profond et avec des moyens mécaniques de plus en plus puissants.

Tozeur est la ville du Chott El Djérid , cette étendue salée est quelquefois mouillée par les rares pluies d’hiver, cette manne du ciel est propice à la cueillette du sel. C’est aussi sur les Chotts tunisiens que l’on peut découvrir le phénomène des mirages, lorsque le ciel est limpide et que le soleil inonde l’étendue salée les visiteurs peuvent voir au loin se dessiner des villes qui n’existent pas.

Au sud-est du chott El Djérid se trouve la petite ville de Douz, son oasis a constitué pendant des décennies une halte bienfaisante et réparatrice pour les caravaniers qui se rendaient dans la grande ville de Tozeur, s’agissant de la dernière ville avant les dunes du Grand Erg Oriental (l’Erg de l’arabe Irq qui veut dire désert de dunes fixes) la ville est appelée ‘La Porte du Désert’ ; c’est à Douz que vit le jeune Youssef.

Youssef est le second fils d’une famille de bédouins berbères de six enfants. Pendant très longtemps la famille de Youssef a vécu au gré des parcours empruntés par le troupeau de dromadaires qu’elle élevait dans les plaines arides autour du Chott El Djérid. La sècheresse conduisait parfois hommes et bêtes jusqu’aux si lointaines villes de Chébica, Tamerza ou Midès.

A cette époque la famille était condamnée au nomadisme et vivait sous la tente. Aujourd’hui les parents de Youssef vivent dans une petite maison non loin de la palmeraie. Et c’est à travers les récits du grand-père qui habite avec eux, que Youssef a appris les rudiments du métier de chamelier.

Enfant, Youssef suivait son père sur les pistes qui conduisaient au troupeau, celui-ci était quelque peu sédentarisé car outre les rares touffes d’herbe sèches et les feuilles d’acacia, les dromadaires de Youssef se nourrissaient, des cladodes (rameau aplati en forme de raquette) des figuiers de barbarie et de sorgho que son père faisait pousser dans l’oasis.

Adolescent, Youssef aidait beaucoup son père, ils en étaient arrivés à un partage des tâches : lui s’occupait des dromadaires son père pourvoyait à leur alimentation et à celle du foyer familial sur le petit lopin de terre qu’il possédait.

Les dromadaires paissaient à quelques kilomètres de la maison, tous les jours Youssef chargeait les paniers des cladodes de figuiers, du fourrage de sorgho préparé par le père, parfois il remplissait deux sacs de graines de sorgho et partait avec les trois dromadaires, le premier lui servant de monture et les deux autres portant le chargement de nourriture pour leurs congénères.

Le troupeau était composé de deux mâles, d’une quarantaine de chamelles et d’une vingtaine de chamelons, outre le fait de nourrir son bétail Youssef devait vérifier les pieds des bêtes, les dromadaires sont des digitigrades à ce titre ils ne portent pas de sabots et bien que la peau soit épaisse, une épine peut toujours se planter sous le pied.

Puis il fallait traire les chamelles, bien nourries les chamelles de Youssef donnait beaucoup de lait qui suffisait largement aux besoins des nourrissons et permettait une collecte suffisamment importante pour pouvoir le vendre au souk de Douz.

Son travail ne s’arrêtait pas là, il fallait vérifier le sevrage des chamelons qui seraient vendus au marché aux bestiaux de Douz, car seuls les petits étaient utilisés pour leur viande et leur cuir. Une fois par semaine Youssef conduisait le troupeau jusqu’à Douz pour emmener ses bêtes à l’abreuvoir, c’était aussi pour lui l’occasion d’offrir à ses dromadaires leur met favori : une pâte faite de farine de sorgho et de dattes ; c’était un très bon moment pour Youssef de voir avec quel plaisir ils dégustaient leur friandise.

Ces rares moments de communion parfaite entre la bête et l’homme, lui laissaient penser qu’il exerçait le plus beau métier du monde.


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