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GTB GAZOUZ - Le Site qui désaltère.

Envoyé par ladouda 
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09 octobre 2015, 23:20
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CHAPITRE 5

Ali Riahi

- en cherchant sur mon téléviseur une chaîne musicale, j’ai entendu un air qui m’a rappelé étrangement une chanson arabe que l’on entendait à la radio en Tunisie

- c’était l’époque ou radio Tunis reprenait les chansons de Oum Kalthoum et les airs de Ali Riahi. Tout le monde chantonnait les chansons d’Ali Riahi ; mais l’avez-vous connu ?

Ali Riahi était une espèce de dandy au visage poupin, qui promenait son embonpoint dans les rues de Tunis, avec bonne humeur.

A son passage, ses plus fervents admirateurs, lui baisait la main en signe de respect et de reconnaissance, il se laissait faire de bonne grâce et poursuivait sa conversation avec l’ami qui lui tenait compagnie.

J’ai croisé en été, Ali Riahi, une ou deux fois sur l’avenue Jules Ferry, en fin d’après midi quand la chaleur décline et que les marchands arrosent les trottoirs surchauffés, pour apporter un peu de fraîcheur, il était vêtu d’une Djellaba très légère d’un blanc immaculé, comme en portaient les arabes importants, les cheveux brillantinés étaient tirés en arrière, il avait un sourire éclatant, souligné par une dent en or sur le devant de la mâchoire.

Je ne connaissais pas Ali Riahi, des copains tunisiens du lycée m’en avaient parlé, et j’ai su, qui il était, grâce à un passant complaisant qui m’en a fait part au moment où nous l’avons croisé.

J’avais sans doute entendu chanter Ali Riahi à Radio Tunis, mais à cette époque je n’étais pas sensible aux mélodies langoureuses de la musique arabe.

Pourquoi faire revivre ce personnage alors que des milliers de chanteurs beaucoup plus célèbres se partagent les antennes des radios et des télévisions.

Ali Riahi était sans doute le chanteur le plus représentatif de la chanson arabe tunisienne, il a beaucoup fait pour le renouveau de cette musique  parce qu’il a su faire converger la puissance de la musique arabo-musulmane, et les rythmes chaloupés du malouf issu de la musique arabo-andalouse.

Ali Riahi était un mythe vivant, lorsqu’il montait sur scène, c’était le délire. Le public se levait et applaudissait de très longues minutes, Ali Riahi avec son sourire coutumier attendait patiemment la fin de cette longue ovation qui allait être suivie par bien d’autres tout au long de la soirée ; il n’était pas rare que des spectateurs montent sur scène pour le supplier de chanter leur chanson favorite, alors c’était le signal pour beaucoup d’autres de venir exprimer leur ferveur au plus près de leur chanteur favori.

Ali Riahi se tournait vers ses musiciens et commençait alors ce long dialogue entre la musique et la voix douce et riche du chanteur. Ali Riahi chantait le ‘malouf’ car c’était la musique traditionnelle arabe et tunisienne. Le malouf est né en Espagne, il signifie en arabe ‘fidèle à la tradition’ fidèle au patrimoine musical qui s’est enrichi dans l’Andalousie du VIIIème au XVème siècle dans les cours royales et les jardins des délices de Grenade de Cordoue et de Séville.

Après l’expulsion des juifs et des musulmans par Isabelle La Catholique à la fin de l’année 1492, une nouvelle page de la musique arabo-andalouse s’est ouverte en Tunisie et dans le reste du Maghreb, c’est la raison pour laquelle juifs et musulmans ont toujours été associés dans l’interprétation de cette musique.

La complicité entre Ali Riahi et ses musiciens était totale, parfois l’orchestre s’arrêtait, Ali en faisait autant, la salle était suspendue, alors ‘l’oud’ (ancêtre du luth) égrenait quelques notes suivi du ‘nay’ (flûte de roseau appelée aussi la flûte bédouine) puis le violon et l’alto, Ali reprenait la mélodie ponctuée par le rythme de la ‘darbouka’ (sorte de tambour réalisé à partir d’une poterie), le public chavirait.

Parmi les chansons réclamées par le public l’une d’entre elle était devenue incontournable ‘thlath ouardat’ qui signifiait trois roses.


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11 octobre 2015, 06:28
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Ali Riahi ne chantait jamais cette chanson sans aller chercher en coulisses les trois roses qu’il tenait à la main et qu’il promenait de concert en concert.

C’est lui qui prenait un grand soin à les apporter et ne chantait jamais thlath ouardat sans tenir ses roses à la main. Un jour qu’il chantait dans une salle d’Halfaouine (quartier de Tunis) il oublia ses roses et ne chanta pas sa chanson fétiche, l’insistance du public frisa l’émeute ; Ali Riahi envoya son chauffeur chez lui, il habitait en ce temps là à Salammbô soit à plus de 20 kilomètres de
Tunis.

Le concert prit fin, dans un délire, avec thlath ouardat et Ali Riahi tenant au dessus de sa tête les trois roses.





CHAPITRE 6

Les nuits de ramadan à Halfaouine


- J’avoue ne pas bien connaître la religion musulmane, et je n’ai jamais compris si le ramadan était une période triste ou agréable.

- je n’en mais rien moi-même mais on m’a rapporté que les nuits de ramadan était longues et un bon prétexte à faire la fête.

Le ramadan est une période importante pour tout musulman, au moment du ramadan, Tunis et la Tunisie changeait totalement d’atmosphère.

Chedli aimait beaucoup le ramadan, à son âge, il avait 10 ans, on ne faisait pas le ramadan, mais cette effervescence qui gagnait la famille le rendait joyeux. Pourtant le ramadan est une épreuve pour tous les adultes qui le pratiquent. Mais savait-il ce qu’était le ramadan  en dehors de voir ses parents jeûner toute la journée sans même boire une goutte d’eau, son père qui habituellement était fumeur laissait ses cigarettes dans un tiroir.

Chedli fréquentait l’école franco-tunisienne de son quartier et c’est pendant le cours d’arabe que son professeur qui remplaçait parfois le mufti à la mosquée, lui avait appris l’histoire de la venue du prophète. Du départ des disciples de Mohamed de la Mecque pour rejoindre Yathrib (Médenine) qui marque le début de l’hégire (début du calendrier musulman).

Il savait aussi que le ramadan vient du mot arramad ce qui signifie en arabe sol brûlant, et absence de nourriture, et que bien avant l’islam cette période était celle du 9ème mois lunaire. Dans le coran Mohamed a rendu le jeûne obligatoire, précisément pour respecter la tradition de ces contrées comme le faisait auparavant les juifs se référant au jeûne durant le yom kippour.

Le jeûne commençait, à l’aube, dès la disparition du premier croissant de lune du 9ème mois du calendrier lunaire et se terminait chaque soir dès l’apparition du croissant de lune dans les lueurs crépusculaires du soleil couchant. Enfin le nombre de jours du calendrier lunaire étant inférieur à celui du calendrier solaire, le ramadan se décale chaque année de dix à douze jours si bien qu’il peut survenir dans chaque saison.

A Tunis la rupture du jeûne était annoncée par un coup de canon tiré sur les hauteurs de la Kasbah.

Le père de Chedli était dinandier au souk En Nhas, appelé aussi le souk du cuivre. C’était un artisan réputé, car certaines des pièces qu’il avait réalisées se trouvaient dans des palais beylicaux. Le soir à la fin du ramadan il aimait boire un café dans l’un des bars de Halfaouine tout en fumant une cigarette.

Chedli qui avait arpenté les souks et les rues de la médina venait le rejoindre, son père lui commandait une grenadine qu’il se délectait à déguster.

Il faut dire que pendant le mois de ramadan, à quelques heures de la rupture du jeûne, un véritable cérémonial se mettait en route. Sa maman à la maison commençait la cuisine, elle préparait la très fameuse ‘chorba’. Chedli qui adorait l’observer pendant son travail connaissait la recette par chœur. Elle commençait toujours par couper l’oignon en lamelles ce qui faisait pleurer tout le monde ; dans la marmite en terre placée sur le ‘canoune’ chaud (foyer en terre dans lequel brûle du charbon de bois ) elle mettait l’huile d’olive et faisait revenir les oignons, l’odeur emplissait la grande pièce qui servait de salle à manger, et qui le soir venu, une fois les couvertures dressées par terre, devenait la chambre des enfants, car il y avait deux pièces dans la maison de Chedli.

Le WC se trouvait dehors ainsi qu’un robinet qui servait à la toilette quotidienne. Pour la grande toilette il fallait se rendre au hammam. Dés que l’oignon embaumait il fallait verser les épices dont Zohra la maman de Chedli avait le secret d’abord le tabel-karouia l’épice reine de la cuisine tunisienne, le curcuma, la zayana (plus connue sous le nom de paprika), une cuillère d’harissa sans laquelle tout bon tunisien ne trouve pas de goût à ce qu’il mange, elle écrasait l’ail et versait le concentré de tomate, très vite les ingrédients en se mélangeant exhalaient des odeurs et des parfums qui se propageaient de maisons en maisons car la chorba était la soupe du ramadan.

Elle plongeait ensuite la viande d’agneau coupée en dés, parfois Zohra remplaçait l’agneau par le poulet, mais la famille préférait l’agneau car le liquide était plus onctueux. C’est seulement après que la viande ait pris une belle couleur qu’on ajoutait l’eau, et les épinards.

Il fallait alors oublier la marmite qui mijotait deux bonnes heures avant que la cuisinière ne verse le ‘chirr’ aussi appelé ‘t’chicha’ (graines d’orge grillés) et les pois chiches. La marmite mijotait encore une heure, alors on versait les langues d’oiseau (pâtes) et un peu de ‘smen’ (beurre clarifié).

L'enfant des terrasses - les nuits de Halfaouine.

Ourili cacaouéia !!!






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13 octobre 2015, 09:16
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La chorba n’était pas le seul met des repas de ramadan. Il fallait aussi préparer le repas de la nuit. Une heure après la chorba qui calait le ventre, après une journée de jeûne, il fallait se remettre à table.

Dans la famille de Zohra et Mohamed (le père de Chedli s’appelait ainsi) on prenait du lait caillé et des pâtisseries les ‘makrouts’ et les ‘zlabia’ qui sont de merveilleux gâteaux au miel.

Toute la famille allait se coucher et le matin avant que le soleil ne se lève on se remettait à table pour avaler une soupe un peu plus claire préparée avec des carottes des pommes de terre et des navets ; c’était la soupe que Chedli aimait le moins mais il savait aussi qu’il pouvait manger, après la soupe, selon la saison une orange, une figue de barbarie ou un bol de droo (crème réalisée avec la farine de sorgho qui tient si bien à l’estomac).

Le père préparait minutieusement le thé, qu’il versait d’une théière à l’autre en levant la théière pour mieux aérer le breuvage.

La fin du repas correspondait à l’annonce du ‘muetzin’ qui appelait les fidèles à la prière du matin.

Ce rite familial était immuable il donnait, un vrai bonheur aux enfants et aux adultes et il rendait les nuits du ramadan les plus belles nuits de l’année.

Au dehors au cours de ces années 50, où le ramadan se déroulait au printemps, laissant plus de temps avant la nuit noire, juste avant la rupture du jeûne, on assistait à tout un cérémonial, dans les cafés maures les employés commençaient par rafraîchir et nettoyer les trottoirs en jetant de l’eau, cette pratique était habituelle dès que la chaleur envahissait Tunis, même, hors période de ramadan.

Ensuite on préparait les narguilés, cette préparation nécessitait une attention particulière, les cafés étaient souvent choisis en fonction de la qualité de leur narguilé, en arabe on l’appelait ‘shicha’ ce mot vient du persan et signifie verre, matériau dans lequel était réalisé le corps du narguilé qui contient l’eau. Le narguilé est une pipe à eau au sommet de laquelle se trouve un récipient de métal relié au réservoir, par une longue cheminée qui trempe dans l’eau.

Dans le récipient au sommet de la cheminée on place le ‘tabamel’ un mélange de tabac fermenté et de mélasse parfumée aux essences de fruits sur lequel on dépose des braises. Un long tuyau souple terminé par un embout permet d’aspirer l’air empli de la fumée filtrée par l’eau qui occupe la moitié du réservoir.

Certains poussaient l’esthétique jusqu’à parfumer l’eau à l’eau de rose. Fumer le narguilé est sans doute la pratique la plus répandue de l’Orient. Dès le son du canon, qui annonçait la fin du jeûne, les terrasses des cafés étaient envahies par des hommes (il faut dire que les femmes préparaient le repas familial), alors commençait le frénétique ballet des garçons qui apportaient les différentes boissons aux clients ; ce qu’on buvait volontiers c’était soit un café soit une boisson sucrée avec de la limonade jamais d’alcool proscrit chez les musulmans surtout en période de ramadan.

Puis arrivaient les narguilés, tous les gestes étaient lents, on savourait chaque bouffée de tabac, chaque gorgée de liquide, on effaçait très progressivement, petit à petit, la dureté de la journée de jeûne et d’abstinence.

Après une heure ou deux, les hommes mûrs rentraient à la maison pour partager avec la famille la longue nuit. Les jeunes hommes se réunissaient dans de petites gargotes qui exhalaient l’odeur renversante des soupes longuement mijotées, des épices ou du méchoui qui grillait lentement (en général on utilise le mot méchoui pour la cuisson de l’agneau entier ; mais le mot méchoui hérité du mot arabe ‘sawa’ indique toute viande grillée ou rôtie).

Dans ces gargotes on préparait aussi la méchouia sorte de salade de poivrons, tomates et oignons grillés et finement découpés, qui accompagnait les morceaux de viande et les très odorants ‘tajines de loubia à la tomate’ (haricots longuement mijotés). Derrière une vitre qui faisait usage de vitrine s’empilaient les ‘khobz tabouna’, galette de pain qui a pris le nom du four traditionnel tunisien dans lequel elle est cuite, le four est un grand trou à même la terre, fortement chauffé par un feu de bois, sur les bords duquel on faisait cuire les galettes de pain à la semoule et à l’huile d’olive.


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16 octobre 2015, 23:40
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Ces dîners réparateurs se prolongeaient dans les chaudes et douces soirées de Tunis, les tables étaient installées sur le trottoir et on s’interpelait de table en table car à Halfaouine tout le monde se connaissait.

La plupart des hommes étaient soit vendeur, marchand ou portefaix au marché soit artisan ou apprenti artisan dans les souks, tous les métiers étaient représentés, les ferblantiers, les dinandiers, les graveurs sur cuivre, les fabricants de babouches, de chéchia, les tisserands, ils se côtoyaient le jour et dans une joie communicative communiaient aux mêmes plaisirs du repas pris en commun le soir.

Mais la soirée n’était assurément pas finie, après ce premier dîner la longue nuit du ramadan se poursuivait au spectacle, les tunisiens sont passionnés de musique et de chants, alors, Halfaouine devenait le centre artistique de Tunis.

Halfaouine est un quartier populaire bâti au cœur de la médina de Tunis. C’est une ville dans la ville avec ses marchands de légumes, ses épiciers djerbiens, ses cabarets et ses cafés maures. En outre il abrite le quartier général du club de football ‘l’Espérance Sportive de Tunis’ et ses milliers de supporters. Le quartier s’est développé autour d’une très belle place, la place Halfaouine, celle-ci est ornée d’une très élégante fontaine posée au centre d’une étoile à huit branches, (qui symbolise la déesse babylonnienne Ishtar déesse de l’amour, mais aussi il est dit dans l’islam que huit anges supportent le trône de dieu)), au fond se trouve la mosquée Saheb Ettabaâ et son haut minaret octogonal.

La place était le lieu le plus important du quartier, elle était le centre de la vie publique et sociale, on y discutait, on s’y disputait, on commentait les résultats de football et de l’équipe du quartier : ‘l’Espérance’, on faisait, on défaisait et on refaisait le monde, on se passionnait de politique (les Tunisiens ont toujours aimé la politique), enfin on se délectait de musique dans les petits cabarets de poche.

Les tunisiens étaient si passionnés de musique que dès la mise sur le marché des radio-transistors la médina s’est empli de la musique diffusée par les radios arabes, il n’y avait pas un seul atelier une seule boutique sans un poste de radio et comme ils se branchaient tous sur la même station, si d’aventure vous deviez traverser la médina vous pouviez écouter, tout en marchant, la même chanson sans en perdre une miette.

C’est à Halfaouine que les grandes voix de la chanson tunisienne ont fait leurs premières armes, c’est à Halfaouine que des musiciens avertis ont expérimenté les sonorités du malouf et de la chanson arabo-andalouse et arabo-berbère.

Dans les années vingt, une artiste exceptionnelle a enflammé les nuits d’Halfaouine. Aussi extraordinaire pour son talent que pour sa profonde liberté de vie : Habiba Msika de son vrai nom Marguerite Msika chanteuse d’origine juive a porté comme personne la musique arabo-andalouse ; née dans les tous derniers jours du XIXe siècle, dans une famille juive très modeste elle avait appris l’arabe littéraire et le chant avec le plus grand compositeur tunisien Khémaïs Tarnane.

Habiba était une sorte de Sarah Bernard et de Colette réunies ; elle faisait aussi du théâtre et avait même joué ‘Roméo et Juliette’ puisé dans le répertoire shakespearien. Elle avait un tel pouvoir de fascination que ses nombreux admirateurs s’appelaient ‘les soldats de la nuit’ ils l’entouraient, la protégeaient et surtout assuraient une présence constante à ses concerts.

Elle avait modifié son prénom à la demande de ses fans et s’était donné le prénom d’Habiba qui signifie en arabe ‘bien aimée’. En fait elle a connu une vie amoureuse tumultueuse, multipliant amants et époux ; pourtant ce qui fit scandale c’est le baiser langoureux qu’elle échangea au cours d’un spectacle à La Marsa avec l’actrice israélienne d’origine libyenne Rachida Lofti, la salle fut choquée et des spectateurs violents mirent le feu à la scène. Habiba Msika était aussi une figure politique, bien que de confession israélite elle était profondément nationaliste ; il lui arrivait parfois, au cours d’un concert de s’envelopper dans le drapeau tunisien, la salle croulait. Un soir que les autorités coloniales étaient venues l’arrêter, elle ne dut son salut qu’à ‘ses soldats de la nuit’.

Habiba Msika connut une fin tragique l’un de ses amants l’aspergea d’essence et la brûla vive. Au cimetière du Borgel, la pierre tombale d’Habiba Msika qui suscite toujours autant de vénération, est surmontée d’une colonne entourée de couronnes de lauriers.


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18 octobre 2015, 08:38
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CHAPITRE 7

Qui est Kaddour Ben Nitram


- Ma bonne dame avez-vous des nouvelles du Boukornine ?
- Et bien hier en cherchant dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé un petit livre ancien et poussiéreux, Fables et Contes de Kaddour Ben Nitram illustré par Drack-Oub, mais connaissez-vous Kaddour Ben Nitram ?


J’ai croisé trois ou quatre fois Kaddour Ben Nitram, près du marché central de Tunis, rue Charles De Gaulle, un petit arabe poussait son fauteuil roulant, il changeait chaque fois de pousseur ; je soupçonne ce diable d’homme de le faire avec l’idée qu’en donnant la pièce à différents enfants ils seraient toujours plus nombreux à tenter leur chance, et ainsi il ne tomberait jamais en panne de pousseur.

Ainsi le Kaddour Ben Nitram de la radio, cette voix puissante et sûre, était infirme, quand je l’écoutais à la radio, je ne l’imaginais même pas dans son fauteuil et pourtant Ben Nitram de son vrai nom Edmond Martin avait été blessé à la guerre de 14-18 et il s’était conduit en héros.

Il avait choisi le prénom de Kaddour car son copain de guerre, un tirailleur tunisien s’appelait Kaddour, pour le reste son nom n’était autre que l’anagramme de Martin auquel il avait ajouté Ben pour faire tout fait couleur locale, puisqu’il était né à Tunis.

Kaddour Ben Nitram était une très grande vedette en Tunisie, surtout depuis que radio Tunis lui avait confié un créneau quotidien. Mais une vedette dans quel domaine ? Et bien ! Son langage, sa langue devrait-on dire était le sabir.

Le sabir est une langue qui n’existe pas en tout cas ce n’est pas une langue officielle et reconnue et pourtant c’était la langue que parlaient des milliers de gens en Tunisie volontairement ou involontairement ; c’est un mélange d’arabe, de français, d’italien, de maltais et cela avec les intonations particulières de l’arabe parlant le français ou l’italien, du juif parlant à un arabe ou à un français, du sicilien parlant à l’arabe. Tout le monde ne parlait pas le sabir, mais rares étaient ceux qui ne le comprenaient pas ; Kaddour Ben Nitram en avait fait une langue écrite.

Des personnages sont nés de ces histoires racontées à la radio, chacun était typé selon son origine.

Chez les Français il y avait Antoine Filigone, retraité de la police et Figatelli gardien de prison ; ils ne sont pas seulement Français ils sont surtout Corses. (Pourquoi ces professions ? D’abord parce que cela correspondait à une certaine réalité, ensuite dans l’imaginaire populaire quand on était Corse on pouvait être bandit mais parfois passer de l’autre côté)

Salem dit ‘El Safrane’ et son ami Ali Khafles , noctambules toujours ivres, Kaddour Ben Mansour(*) tirailleur tunisien à la retraite étaient arabes. (l’ivresse est banni dans l’islam, et pour un Tunisien avoir servi dans l’armée française n’était pas bien vu, on comprend ce qu’il y a d’ambigu et de transgressif)
Braïtou (*), le commerçant, Kouka la ménagère et sa nièce Ninette ou le petit Daydou (David) sont juifs. ( toutes les histoires vont tourner autour du thème de l’argent et du rôle caricatural et caricaturé de la mère juive)

Peppino Mangiaracina, dit Mastro Tchicho cultivateur de la Mornaghia (*), Donna Soussida et Donna Peppina mères de famille sont siciliens (contraste entre personnage moqué mais respecté et commères siciliennes faiseuses d’histoires et un peu vulgaires).

Djouss le boucher et Gianni le cocher sont maltais, (c’étaient en effet des métiers presque exclusivement exercés par des maltais).
Le lecteur non averti, se demande : mais dans quelle société sommes-nous, où pour identifier les gens, on mélange au gré des situations et indifféremment,  langues, nationalités, religions?

Pour tout dire cette société a existé, dans la Tunisie coloniale. On ne pouvait pas imaginer qu’un policier ne soit pas Français et …. Corse, de même un juif est par définition commerçant et tant pis pour tous les citoyens de religion juive qui sont fonctionnaires, médecins, avocats ou simples employés.

D’autres particularités de l’univers de Kaddour Ben NItram : il avait emprunté son prénom à un camarade de combat, il a pour le Kaddour de ses sketchs une certaine tendresse et en même temps il pratique la dérision : Kaddour se sent un peu Français puisqu’il a servi dans l’armée française, mais il parle très mal le Français, et au fond il est fondamentalement tunisien, arabe et musulman ; le maltais ne peut être que boucher ou cocher, on ne se pose même pas la question de savoir si les maltais exercent d’autres professions, le sicilien est toujours appelé par son diminutif, on a parfois accolé à ce diminutif mastro qui est la traduction littérale de maître dans le sens de maître ouvrier pour marquer la déférence, tout en étant copieusement moqué.


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18 octobre 2015, 22:56
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C’est dans ce monde codé que se meut cet acrobate des mots et ce marionnettiste de génie de l’expression qui met en scène une société naïve, colorée mais remarquablement vivante.

Et tout cela dans une langue imagée et imaginative.

Ses morceaux d’anthologie sont les fables de La Fontaine détournées et racontées en Sabir. Je n’ai pas pu résister au plaisir de faire partager cette langue.

La petite scène qui va suivre est significative par bien des aspects des rapports entre personnes d’ethnies différentes, elle résume assez bien la comédie humaine qui se joue au quotidien dans les rues et les lieux publics.

Pour certaines pages la traduction seule ne permet pas de contextualiser l’échange, un décodage particulier s’impose.
Ce qui reste remarquable c’est que le propos de chaque protagoniste est restitué avec les erreurs de prononciation dans la langue de l’autre.

Les traits sont certes grossis, toutefois cette scène est tout à fait probable dans la vraie vie, tous les jours partout des conflits naissent et finissent par des insultes à la limite du racisme, appropriées à un groupe ethnique, comme si Français, Siciliens, Arabes, Juifs, Maltais avaient chacun des travers propres à leur groupe, dénoncés par l’autre groupe.

Une étude plus approfondie montrerait sans doute, qu’il y a beaucoup moins d’agressivité qu’il n’y paraît ; Kaddour Ben Nitram a incontestablement une grande tendresse pour ses personnages, on ne peut pas les croquer avec autant de précision sans les aimer. De même cet homme qui met souvent dans la bouche de ses personnages des propos racistes, ne l’était pas du tout, bien au contraire.

Le statut colonial de la Tunisie est toujours sous-jacent et affleure à la moindre occasion soit pour venir en appui du sentiment de domination, soit pour en exprimer le rejet.

L’attitude du policier reste bon enfant, il n’entre pas dans le débat interethnique, il tente seulement d’arbitrer la situation, et c’est pour cela qu’il apparaît auprès des autres personnages comme un référent de justice.

CHAPITRE 8

A propos d’une douzaine de rougets


( la traduction est précédée d’un (T))
(Scène de la vie tunisienne, mettant aux prises deux commères siciliennes avec un arabe vendant du poisson. Intervention d’un agent de police (corse).

L’arabe est installé rue El Karamed (1), arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « bella triglia vivi, heï !...Aou l’khout freschk…ya baba !... Ber khis!..ber khis!..ya oueldi  »
(T)L’arabe est installé rue El Karamed, arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « jolis rougets vivants ( en sicilien)  hé voilà du poisson frais… mon père !.. excellent!... excellent !... mon fils (en arabe) »
Deux siciliennes, Donna Soussida et Dona Peppina, en quête d’achat s’arrêtent devant le marchand.
Donna Peppina s’adressant à sa commère (2): « Donna Soussida…Ah ?… taliaté ca sounnou bèddé sti pichi ca coura bedda tissa…»(3)
(T)Donna Peppina s’adressant à sa commère (*) :« Madame Soussida…Ah ?... regardez, ils sont vraiment beaux ces poissons ils ont la queue bien raide…(en sicilien)»

Donna Soussida :« Coummarè mia… ma, qui vi parènno frisqui ? »
(T)Donna Soussida : «ma chère commère…mais est-ce qu’ils vous semblent frais (en sicilien) ? »
Donna Peppina : « N’ca sa sounnou frischi ?... Bedda Matré !..noun vous rissi ? taliatè tchi la coura…iènè quiou tissa qua quidda dou chèco di mastro Pèppè »
(T)Donna Peppina : « Quoi s’ils sont frais ?... Bonne Mère!...ne vous l’ai-je pas dit ? regardez leur queue… elle est plus raide que celle de l’âne de maître Pèppè (en sicilien)»
Donna Soussida : « N’ca…vérèmo stou moro quouanto n’è vouolè : (interpelant l’arabe) Ya(4)…Ya… »
(T)Donna Soussida : « Bon…voyons combien cet arabe en veut ?(en sicilien) : (interpelant l’arabe) Eh…Eh… »
L’arabe : « Ha ?...Ch’noua ? »
(T) L’arabe : « Ha ?...qu’y-a-t-il ?(en arabe) »
Donna Soussidda : « Ya ?...A quouanto sti pichi ?.... Ah! Ya?... Goulo…. Kaddèchè? »
(T) Donna Soussidda : « Eh ?... Combien pour ces poissons(en Sicilien) ?.... Ah! Eh?...dis-moi…. Combien (en arabe)? »
L’arabe : « Cosa volè…. Biclou(5) ?.... ou grandi ? »
(T)L’arabe : « lesquels veux-tu….petits ?....ou grands (en sicilien avec des fautes de prononciation)? »
Donna Soussida (montrant les petits) : « Quisti… Quisti cà ! »
(T) Donna Soussida (montrant les petits) : « ceux-là… ceux-là (en Sicilien)! »
L’arabe : «  Quisto ?....Setta frank…. Dezzina !... »
(T) L’arabe : «  celui-ci?....Six francs….La douzaine (en Sicilien avec une faute de prononciation) !... »
Donna Soussida (sursautant): «  Quouantou? »
(T)Donna Soussida (sursautant) : « Combien? (en Sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Ch’noua quouantou ?... Ma tefem’chi ? Got’lek setta frank dezzina, ya ras-el-brel !... »
(T) L’arabe (s’impatientant) : « Quoi (en arabe) combien ?(en Sicilien)... Tu ne comprends pas ? Je t’ai dit six francs la douzaine, espèce d’âne !... (en arabe et en sicilien)  »

Donna Soussida (stupéfaite) : « sette franqui à doudzzina(6) ?... Bedda matrè ! Taliatè, taliatè, pitchiottè…Mèguio, què n’accatamo n’ou beddou matsou di sparachèddè… »
(T)Donna Soussida (stupéfaite) : « six francs une douzaine ?... Bonne mère !regardez, regardez les amis…Il vaut mieux que nous achetions un joli bouquet de broccolis… (en sicilien)»
Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Ma, coummarè mia…,ou nou sapiti commo aviti à farè qui mourisqui ? Dichitichi qua vi lassa pi tri franqui…Aspèttatè qua tchi lou riccou io (s’adressant à l’arabe) : Ya ! Ya !...Moghamèddè(7) ! Ah ? mi lassi sti pichi pi touleta (8) franqui ? »
(T) Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Mais chère, commère …,vous ne savez pas comment vous devez faire avec les arabes ? Dites-lui qu’il vous les laisse pour trois francs… attendez je vais lui dire moi-même (s’adressant à l’arabe) : Eh ! Eh !...Mohameddè ! Ah ? tu me laisses ces poissons pour trois francs ? (en sicilien)»
L’arabe (énervé) : « Ch’noua ?...Eddè tleta franqui ?... Cherr !... in endinomok !... »
(T) L’arabe (énervé) : « Quoi ?...Cà trois francs ?... Cherr !... la putain de ta mère !...(en arabe) »
Donna Pippina (tenace) : « Aïa…Moghamèddè ! Noun t’incatzzarè à cousi presto…Aïa ? »
(T) Donna Pippina (tenace) : « Allez…Mohamed ! Ne te fâches pas si vite…Allez ? (en sicilien)»…
L’arabe : « Vaï ! Vaï !....gotlek… 
(T) L’arabe : « Va-t-en !Va-t-en ...je t’ai dit (en arabe)… »
Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Aïa, moulia…. Ti rouniou tri franqui ou noussou… »
(T) Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Allez, s’il te plaît…. Je te donne trois francs (en sicilien ) et demi… (en arabe)»
L’arabe (énervé) : « Barra….Yatik bâk’là !... 
(T) L’arabe (énervé) : « Fous le camp….tu as…. !(en arabe) »
Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Baccala ? …Baccala ?...Quistou baccala ? Ma qui si, foddo ? Ma qui si,Maboullou(9) ? Quisti triquiè sounnou…qui mi coun’tè di baccala »

(T) Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Morue ? …Morue ?...cà de la morue ? Mais tu es fou (en sicilien) ? Mais tu es fou (en arabe) ? ça ce sont des rougets…qu’est-ce que tu me parles de morue(en sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Aïa Aïa ! Yezzi mel t’menik ! Setta frank dezzina, fem’t ? Si voï, brin’di…Si non voï lassa. Ou ma t’kassernichi rassi… »
L’arabe (s’impatientant) : « Allez allez ! Ca suffit va te faire foutre!(en arabe) Six francs la douzaine(en sicilien) tu as compris(en arabe) ? Si tu veux, tu prends…Si tu ne veux pas tu laisses(en sicilien avec des fautes de prononciation) Et ne me casse plus la tête (en arabe)»
Donna Pippina (tenace) : « Sentè Moghamèddè…Mi lassè pi tri franqui i dourrichi souoddè ? »
(T)Donna Pippina (tenace) : « Ecoute Mohamed…Tu me les laisses pour trois francs et douze sous ?(en sicilien) »
L’arabe (décidé) : « Noun…Noun…gotlek » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Bella triglia vivi, hei…Aou l’khout freschq…Ya Baba !... Achkoun ma ïelcol’chi ?... Bella triglia vivi… »
(T) L’arabe (décidé) : « Non…Non…je te l’ai déjà dit(en arabe) » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Beaux rougets vivants(en sicilien) he …. J’ai des poissons frais…Mon père !... Pourquoi n’en mangeriez-vous pas (en arabe)?... Beaux rougets vivants…(en sicilien) »
Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Aïa, Moghamèddè, a coussi mi faï ? Ma piqui, ah ? A coussi mi voï fare’ irrè ? …Mi voï lassarè à voghia di pichi ? Aïa Moghamèddè, t’habbo abba franqui mènou quamessa souddè ? »
(T) Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Allez, Mohamed, Pourquoi tu fais comme ça ? Mais pourquoi? Ainsi tu veux que je m’en aille ? …Tu veux que je reste avec une envie de poissons ? Allez Mohamed, tu veux quatre francs moins cinq sous ? (en arabe et en sicilien)»
L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh ! (9) !... In en dinomok !...Ti barra, ya kh’râ! In en din’l’babour (10) li jaïbek…Vaï, vaï…miliou mandgia l’babalouchi… »(11)
(T) L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh !... la putain de ta mère !...Fous le camp espèce de merde! Maudit soit le bateau qui t’a amené ici…( en arabe) Va, va…il vaut mieux que tu manges des escargots…(en sicilien) »
Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Cou ?...Io babaloucha? »
(T) Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Qui ?...moi escargot? (en sicilien)»
L’arabe : « Si… tou babaloucha… »
(T) L’arabe : « Oui… toi escargot…(en sicilien) »
Donna Pippina: «  Aïa, ya.. Sent’sa ansourtarè saï ? Masseno…virè, qua ti rounio oun tinboulounè nou moussou, qua ti fatssou ou nassou commou oun piparèddou… »
(T) Donna Pippina: «  Allez, dis ya . N’insultes pas parce que tu sais ? Sinon je te file une beigne sur le museau, et je te mets le nez comme un poivron …(en sicilien)  »
L’arabe : «Qui ? tou ?... »
(T) L’arabe : «Qui ? toi ?... (en sicilien)  »
Donna Pippina  : «Si !... io…. Qui ti pare qua mi scanto ? »
(T) Donna Pippina  : « oui!...moi…. Tu crois que j’ai peur ? (en sicilien)  »
L’arabe (perdant toute mesure) : « Vaï, vaï la casa, vaï ! Ouaillaï l’adim… toâ n’ahiloun din’ommo ! »(12)
(T) L’arabe (perdant toute mesure) : « Vas-t’en chez toi, vas-t-en (en sicilien) ! Je jure sur dieu… et je te dis putain de ta mère (en arabe)  ! »
Donna Pippina: « A tia n’endin’omoko, gran petsou di ch’quiffioussou ! »
(T) Donna Pippina: « A toi putain de ta mère(en arabe)  espèce de mal appris (en sicilien)  ! »
L’arabe : «In en din bouk, ya bez’rà !. »
(T) L’arabe : «Putain de ton père, femme vulgaire(en arabe) ! »
Donna Pippina: « N’en dinouboukkou à tia et quiddou da fitoussa di to nana! »
(T) Donna Pippina: « Putain de ton père (en arabe) à toi et à ta salope de grand-mère(en sicilien) ! »
L’arabe : « Ti barra, ya kh’ra. »
(T) L’arabe : « fous le camp, merde. (en arabe) »
Donna Pippina: « Ch’quiffioussou ! testa ‘fachatta ! (13)»
Donna Pippina: « Mal appris ! tête enveloppée »(en sicilien)
L’agent de police corse Batistacciou, de service place de la Bourse, attiré par les cris s’approche :
Batistacciou : « Hé, là ! Hé, là ! Vous avez pas fini, miseriacce ! de faire tout ce scandale sur la voie publique ? Vous criez là tous les deux, quasiment, comme si y avait le feu à la municipalité ? Voyons, qu’est-ce qu’il y a ? »
L’arabe : Tiens, regarde (en arabe), Monsieur le Policier…je jure sur ta tête que cette italienne m’insulte… »(en sabir avec une base de français)
Donna Pippina (l’interrompant) : « Non, Monsieur non ce n’est pas vrai, Monsieur le Policier, ce n’est pas vrai !...Cet arabe m’a insulté, pourquoi… »(en sicilien)
Batistacciou (coupant court) : « Bon ! Bon ! ça suffit !... »


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20 octobre 2015, 21:27
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(1)La rue El Karamed est une rue qui se trouve au début des souks , on y trouve quelques échoppes d’alimentation, notamment la rôtisserie de merguez et d’abats d’agneau la plus connue et la plus réputée de Tunis.

(2 )Les Siciliens sont en général très croyants, le baptême est un acte important, le parrain ou la marraine sont souvent un voisin, une amie proche ; par cet acte une très grande intimité se crée et demeure. Dès lors la famille du baptisé et le parrain ou marraine se donne du compère, ou commère.

(3) Pour ces dames siciliennes, la référence pour marquer la fraîcheur, c’est lorsque le poisson est raide et forme un arc de cercle, posé il a la queue en l’air.

(4) ‘Ya’ est en arabe un mot clef pour interpeler quelqu’un.

(5) Confusion du P et du B dans la phonétique arabe.

(6) Douzaine : l’arabe prononce de manière erronée, mais cela n’empêche pas la compréhension et le dialogue de se poursuivre.

(7) Quand un sicilien s’adresse à un arabe il lui donne toujours le prénom de Mohamed, car c’est le prénom le plus courant parce qu’il est dérivé du nom du prophète. Cet état de fait est tacitement accepté par tous, même si ce n’est pas son prénom.

(8) Le trois en arabe est repris avec la phonétique italienne

(9) le mot fou est dit en sicilien , puis en arabe (légèrement sicilianisé, (la répétition le rend plus percutant).

(10) Les siciliens sont souvent traités de mangeurs d’escargots, ce qui équivaut à une insulte telle que misérable, pauvre ou va-nu-pieds (car les escargots ne s’achètent pas)

(11) Les arabes n’ont jamais admis leur statut de colonisés, dès qu’un conflit avec un européen survient, la référence à la colonisation est tout de suite exposée.

(12) l’insulte peut paraître gravissime dans la traduction française, toutefois très fréquemment utilisée, elle perd de sa force.

(13) les femmes arabes portent le voile, les hommes la chéchia, les siciliens en parlant de tête couverte ou littéralement de tête enveloppée soulignent de manière négative, équivalant à une insulte, la caractéristique vestimentaire de la communauté arabe.

La scène à laquelle nous venons de participer, est sans doute burlesque et cocasse, mais peut-on imaginer une pareille scène aujourd’hui, avec de telles expressions et de tels mots ; à l’heure où les différentes sensibilités ethniques sont d’une susceptibilité à fleur de peau, de tels dialogues paraîtraient totalement incongrus.

C’était pourtant le théâtre de la vie quotidienne à Tunis, que Kaddour Ben Nitram avait su capter et restituer mieux que quiconque.

Les insultes fusent, et même si dans certains milieux populaires, ces propos correspondent à une certaine façon de s’exprimer, ce langage très coloré et très fleuri n’est pas étranger au cosmopolitisme de la Tunisie des années 50.

CHAPITRE 9

La cigale et la fourmi en contes sabir imités de La Fontaine

J’y conni one cigale qui tojor y rigole
Y chante, y fire la noce, y rire comme one folle,
Y s’amouse comme y faut
Tot l’temps y fi chaud.
Ma voilà, qui fi froid !!!
-Bor blorer t’y en a le droit
Ma, t’a riann por bouffer
Bar force ti va criver.-
Y marchi bor la rote
Y trovi one formi
Qui porti bon cascrote.
Y loui dit : «  Mon zami
Fir blizir bor priter
One p’tit po di couscousse
Bor que j’y soui manger
Josquà c’qui lhirb y pousse
J’y paye, barol d’onnor
L’arjany l’antiri, pas bizoann d’avoir por. »
La formi, kif youdi,
L’argeann y prite pas. –«  Quis t’y fir, y loui di,
Quand di froid y ana pas ?
-Le jour ji chanti, bor blizir
La noui j’y suis dormir
-Ti chanti ? Bor moi ji pense
Qui millor qui ti danse. »
Morale
Li jouif y couni pas quisqui cit la mousique
Millor di bons douros, afic bon magasin
Qu’one tam-tam magnific
Qui l’embite li voisin


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21 octobre 2015, 08:53


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Tentative de traduction en vers

Je connais une cigale qui toujours rigole
Elle chante, elle fait la noce, elle rit comme une folle,
Elle s’amuse comme il faut
Pendant qu’il fait chaud.
Mais voilà, qu’arrive le froid !!!
Pleurer ; tu en as le droit
Mais, tu n’a plus rien à bouffer
Forcément tu vas crever.
Elle marcha sur la route
Elle rencontra une fourmi
Qui portait sur elle un bon casse-croûte.
Elle lui dit : «  Mon amie
Je te prie de me prêter
Un peu de couscous
Pour que je puisse manger
En attendant que l’herbe pousse
Je rembourse, parole d’honneur
Le capital, les intérêts pas besoin d’avoir peur »
La fourmi, comme les juifs,
Ne prête pas l’argent –«  Que faisais –tu, lui dit-elle
Quand il ne faisait pas froid ?
-Le jour je chantais, pour mon plaisir
La nuit je la passais à dormir
-Tu chantais ? Et bien moi je pense
Qu’il est préférable que tu danses. »
Morale
Le juif ne connaît pas ce qu’est la musique
Il préfère les pièces d’or, gagnées dans un bon magasin
Que le tam-tam magnifique
Qui ennuie les voisins.

La référence aux juifs est surprenante et inattendue, elle pourrait laisser penser que Kadour Ben Nitram est antisémite, or selon certains biographes l’auteur de ces vers serait lui-même juif. Il faut plutôt, aller chercher dans la galerie des portraits schématiques et sans concession qu’il met en scène.


CHAPITRE 10

Le petit coiffeur de Sidi Bou-Saïd
- Ma chère, vous qui vivez à Paris, notre bon climat de Carthage ne vous manque-t-il pas ?
- Ce qui me manque le plus c’est la mer, le dimanche mes parents nous emmenaient promener du côté de Sidi Bou Saïd.
- Alors là vous touchez à mes plus beaux souvenirs, du haut de la colline on avait la vue sur le Boukornine, et puis les rues qui sentaient si bon, le jasmin, le chèvrefeuille et l’oranger.

Sidi Bou Saïd est une petite colline verdoyante qui fait face à la mer, située à une vingtaine de kilomètres de Tunis. Dans l’Antiquité, les carthaginois puis les romains en avaient fait un poste d’observation afin de protéger leur cité construite en contrebas.

Après l’arrivée des arabes la colline devient un poste de guet important qui contrôle le Nord-est en protection de Tunis et prévient par les tours à feu qui y sont construites d’éventuels envahisseurs.

Elle prend le nom de Djebel Menara (la montagne du phare). Petit à petit la colline se peuple de pêcheurs. Mais le lieu est aussi propice à la méditation. C’est donc naturellement que des marabouts s’y installaient régulièrement pour faire œuvre de piété et d’abstinence. L’un deux qui professait le soufisme à Tunis, se retire sur le Djebel Menara et fait construire un ‘ribat’ (refuge pour les pèlerins). C’est là qu’il mourut en 1231, en son honneur on donne son nom à la colline.

Sa ‘zaouïa’ (monument funéraire et mosquée dédiée à un saint homme) est très fréquentée et constitue l’un des éléments fondateurs du village.

En réalité les marabouts étaient devenus maîtres du territoire, au point qu’ils interdisaient aux chrétiens de visiter le lieu de peur qu’ils ne le souillent. Le bey qui ne souhaitait pas ouvrir de conflit avec ces religieux, laissait faire.

Une autre légende sans doute beaucoup plus extraordinaire et plus romantique est rapportée sur l’origine de ce village ; on raconte que le tombeau en question serait celui d’un ancien roi de France, dont le bateau en route pour la croisade aurait mouillé dans le port de La Goulette.

Le roi serait descendu à terre et aurait eu un grand coup de cœur pour une jeune et jolie musulmane. Par amour il se serait converti à l’islam et aurait vécu une vie heureuse et serait mort à Sidi Bou Saïd.

Les chevaliers qui faisaient partie de sa suite, prétextèrent pour laver l’affront qu’il serait mort de la peste à Tunis. La référence à la présence et au décès de Louis IX (St Louis) est évidente. Bien que cette légende continue de courir en Tunisie et dans certains milieux de pseudo-historiens, elle n’a aucun fondement et le (sieur : sidi) Bou Saïd est bien enterré sur ce lieu qui porte son nom. Et le cœur de St Louis a été gardé en relique dans l’église qui porte son nom.

Plus tard au XVIIe siècle le charmant village attire la bourgeoisie tunisoise qui y fait construire des demeures luxueuses, au XIXe siècle le village attire de nombreux artistes et écrivains Gustave Flaubert et Alphonse de Lamartine ont fréquenté ce lieu, de même que Colette et André Gide bien plus tard.


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21 octobre 2015, 22:57
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Aujourd’hui, lieu de passage obligé de milliers de touristes, les ruelles de Sidi Bou Saïd ont perdu de leur magie ; le café des nattes lieu de pèlerinage de la ‘gentry’ européenne est désormais la photo officielle de tous les dépliants invitant au voyage.

Une particularité qui dépasse le temps et les modes, demeure, c’est le blanc immaculé des murs sur lequel se détache le bleu turquoise des persiennes, des grilles de fenêtres, des moucharabiehs et des portes cloutées.

C’est tout naturellement Sidi Bou Saïd que choisit le Baron Rodolphe François d’Erlanger pour installer sa somptueuse demeure. Rodolphe d’Erlanger est le plus jeune des trois fils du baron allemand Frédéric Emile d’Erlanger né à Francfort sur le Maine. Il prend la nationalité anglaise et crée l’Erlanger Bank qui réalise de grosses affaires en investissant dans les emprunts que le gouvernement du Bey de Tunis a contractés entre 1863 et 1865 conduisant le pays à la ruine et au protectorat français.

Rodolphe est né à Boulogne sur Seine au cours d’un séjour de son père à Paris. Elevé dans la foi catholique il fait de solides études en Angleterre, mais parallèlement à la poursuite de l’œuvre de banquier, du père, il s’oriente vers les activités artistiques et notamment la peinture. Il devient ainsi un peintre orientaliste de talent. Il épouse le 19 juin 1897 Elisabetta Matilda Maria (Bettina) fille du comte Barbiellini Amidei l’Elmi.

De santé fragile (souffrant de troubles bronchiques) son père lui transfère toutes ses propriétés de Tunisie, le Baron Rodolphe d’Erlanger, lors d’un séjour en Tunisie en 1909 achète un terrain à Sidi Bou Saïd, il décide de vivre en Tunisie avec sa femme Bettina et son unique fils Léo, et dès 1912 il lance la construction d’un magnifique palais et la réalisation d’un merveilleux jardin qui donne sur la mer.

Cette construction d’architecture arabo-andalouse, durera dix ans. Nichée au bout d’une allée bordée d’arbres odorants ‘Dar El Baroun’ (c’est ainsi que les arabes désignait la maison du baron), bâtiment de couleur blanche aux fenêtres bleues comme toutes les maisons de Sidi Bou Saïd ne laisse rien deviner de la somptuosité des décorations intérieures. Les plus grands artistes arabes, espagnols, italiens ont œuvré pendant les dix années que durera la construction : plafonds de bois décoré et sculpté, piliers de marbre poli, céramiques arabes bariolées, stucs finement ciselés, sans oublier les mosaïques anciennes, fontaines et vasques.

Le mobilier choisi par la baronne n’en est pas moins prestigieux coffres en bois incrustés de nacre, vases en argent de l’artisanat tunisiens, verreries de Venise. La demeure du baron prit le nom ‘d’étoile de Vénus’ en arabe ‘Ennjema Ezzahra’ nom qu’elle a gardé jusqu’à nos jours.

C’est dans cette splendide demeure que le baron s’adonnait à ses deux passions : la peinture certes, mais aussi la recherche de la musicale orientale (il s’était initié au ‘quânun’ qui n’est autre que la cithare sur table). Il dirigea les travaux de découverte et recomposition de la musique arabe depuis le moyen-âge, la maladie et la mort l’empêcheront de mener à son terme l’œuvre qui sera poursuivie par ses disciples et permettra de réaliser le monumental et unique recueil de toute la musique arabe à travers les siècles.

Monsieur Paul avait 24 ans quand pour la première fois, il fut appelé auprès du Baron. Ce jour là le Baron d’Erlanger devait présider une réunion extrêmement importante avec des personnalités du monde culturel et scientifique.

Paul était coiffeur, sa réputation avait franchi les limites de Tunis car, contrairement à tous les autres coiffeurs, il avait décidé de se rendre à Paris pour se perfectionner dans la coiffure pour dames.

Nous sommes en 1926, la coiffure féminine est essentiellement pratiquée à la maison, seules les grandes dames se rendent dans les très chics et peu nombreux salons de la capitale française.

La plupart d’entres elles, sont coiffées chez elles par leur femme de chambre ; il n’est pas habituel de couper ses cheveux, encore moins de les faire friser. Seuls quelques coiffeurs considérés comme des artistes pratiquaient ce métier naissant.

Mme La Baronne qui se rendait souvent à Tunis fréquentait le plus beau salon de Tunis situé dans l’Avenue de Paris, car c’était le seul établissement qui possédait un appareil à friser, et elle préférait les coiffures, souples, amples et vaporeuses aux cheveux nettement coupés à la garçonne des années folles qui avaient accompagné la naissance du charleston. Il faut dire que Mme La Baronne s’habillait de manière stricte et classique ; Bettina c’était le diminutif de son prénom, nièce du Pape Léon XIII, était issue d’une famille de la noblesse italienne.

Paul était son coiffeur ; un jour elle lui demanda s’il était prêt à se rendre au Palais de Sidi Bou Saïd pour coiffer son époux qui était particulièrement occupé et qui ne pouvait se déplacer.

Monsieur Paul fut donc invité à Sidi Bou-Saïd, contrairement à aujourd’hui où l’on appelle un peu familièrement les coiffeurs et les coiffeuses par leur prénom, à cette époque on ajoutait au prénom, Monsieur ; très rarement Madame ou Mademoiselle la coiffure étant presque exclusivement exercée par des hommes.

C’était une marque de déférence et de courtoisie utilisée par les grandes dames. Paul avait rencontré une fois seulement le Baron, celui-ci lui réserva un accueil très simple et un brin amical. Le Baron Rodolphe d’Erlanger était un très bel homme de cinquante quatre ans ; il portait une moustache discrète, ses cheveux étaient légèrement grisonnants assez courts, bien qu’il soit avare de mots, il s’exprimait dans un Français impeccable.


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22 octobre 2015, 23:12
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Paul traversa le long couloir qui conduisait à la grande salle de réception, puis toute une enfilade de petits salons richement décorés,  puis il emprunta la grande salle à manger où se trouvait la si célèbre table de marbre jaune qui aurait appartenu dans l’Antiquité, à un proconsul romain et il introduisit son hôte dans son atelier de peintre.

C’est là que le Baron passait une grande partie de sa journée à reprendre les détails de ses paysages et de ses personnages. L’atelier était tout en longueur, au fond se trouvait une large baie vitrée.

Il était orienté au nord-est pour profiter de la lumière particulière que donne cette orientation. On dit que c’est la lumière des peintres car elle est constante, il y a très peu d’ombres portées, et les couleurs sont moins vives, moins éclatantes. Le Baron était un peintre orientaliste renommé et Paul découvrait cet univers qui non seulement était fait de couleurs mais également d’odeurs. C’est dans l’atelier de Rodolphe d’Erlanger que Paul installe sur une petite table, les ciseaux, le peigne, le rasoir coupe choux, le blaireau, le savon à barbe, le bol de rasage, le cuir à affuter et la pierre d’alun pour les petits saignements de la peau.

Il commence consciencieusement par préparer la mousse à raser, puis il enduit le visage de son client, il affute son rasoir et d’un geste sûr et précis il coupe la barbe. Après avoir passé une serviette blanche sur le visage, pour retirer le surplus de mousse, il passe aux moustaches, les ciseaux actionnés avec maîtrise affinent le poil.

Toutes ces opérations se sont passées dans un silence complet, la technique du barbier mérite la plus grande précision, aucun geste inutile, la lame glisse sur la peau, cinq minutes à peine se sont écoulées.

La barbe terminée, commence la coupe de cheveux, là aussi les gestes sont rapides et précis, le baron met un terme au silence qui s’est installé et pose à son coiffeur quelques questions sur son travail, ses occupations, la glace est rompue. Le baron qui a apprécié le silence professionnel, montre ainsi, dans cette période plus détendue qu’il s’intéresse à l’homme qui est à ses côtés. Sans interrompre le cliquetis de ses ciseaux Paul raconte son parcours, ses débuts comme apprenti à l’âge de neuf ans chez un barbier arracheur de dents comme tous les barbiers depuis le moyen-âge, sa formation, son orientation vers la coiffure pour dames, ses voyages à Paris, le baron s’intéresse à tout, il prolonge la discussion sur les détails.

La coupe s’achève, le coiffeur tel un peintre s’éloigne de quelques pas pour vérifier l’aspect d’ensemble de son travail, satisfait du résultat, il propose au baron de se regarder dans une glace, il sort de son sac une petite glace et montre l’arrière de la tête et la nuque. Devant le signe d’approbation de son client, il remercie et range calmement ses ustensiles dans son sac.

Le Baron le conduit dans un petit salon non loin de l’atelier où il commande quelques rafraîchissements. Depuis ce jour Paul est devenu le coiffeur de toute la famille d’Erlanger. Paul finit par devenir quasiment un familier de la maison d’Erlanger. Une fois par quinzaine, lorsqu’il se présentait au palais, le major d’homme et la femme de chambre de la baronne l’introduisaient dans le salon d’honneur, on lui préparait le café, à ce moment le baron ou la baronne faisaient leur apparition et après un brin de causette on passait soit dans l’atelier de peinture soit dans un salon des appartements privés et là le travail artistique du coiffeur commençait.

Monsieur Paul était ainsi petit à petit entré dans les confidences de M le Baron ; il lui faisait part de ses projets, de ses rencontres de ses activités, après un voyage à Paris, Londres ou le Caire. Le petit coiffeur savait depuis longtemps que le Baron outre le fait d’être un banquier averti et respecté sur la place de Londres, d’être un peintre orientaliste de renom, était un musicologue particulièrement raffiné ; il savait tout de ses projets de rassembler tous les écrits et même des textes anciens sur la musique arabo-andalouse et arabo-berbère ; mais parfaitement insensible à la musique arabe, il ne pouvait prendre la mesure de l’extraordinaire travail de Rodolphe d’Erlanger.

Ce lundi matin d’avril 1930, Paul arriva par le TGM à Sidi Bou Saïd comme il en avait désormais l’habitude. Le fond de l’air était doux, la mer déroulait ses flots bleus, le Boukornine étalait paresseusement, sa large silhouette, le ciel était d’un bleu limpide comme seule la Tunisie peut vous l’offrir. Tout au long du chemin de la gare au palais les orangers aux fleurs naissantes embaumaient.

Seul, l’étranger qui arrive avec son œil ignorant de ces beautés est stupéfait et émerveillé par l’esthétique majestueuse de ces paysages.
Il entra dans l’atelier du Baron, celui-ci lui parut plus enjoué qu’à l’accoutumé. « Paul, car seul le Baron l’appelait Paul, nous allons réaliser la plus belle des aventures, le roi Farouk (Farouk 1er, roi d’Egypte) vient de nous permettre de traduire et mettre en forme les manuscrits de la musique arabe depuis le moyen-âge qui se trouvent au Caire. Ce ‘nous’ amical surpris le coiffeur, il connut bien plus tard la signification de ce projet, mais il ne sut jamais qu’il s’agissait de l’œuvre la plus monumentale réalisée pour la connaissance de la musique arabe à travers son histoire.

L’année 1932 ne commença pas sous les meilleurs hospices ; Léo le fils du Baron reçut Paul à Sidi Bou Saïd, au cours de leur entretien il lui apprit que son père avait été bien fatigué au cours de la semaine au point d’être hospitalisé. La maladie se déclara dans les semaines suivantes.

Le baron dirige l’équipe de chercheurs qui travaillent depuis deux ans à l’histoire de la musique arabe, il est obligé d’interrompre son activité. Semaine après semaine Paul se rend au palais et rafraîchit cheveux et barbe, parfois le baron est couché le petit coiffeur ne manque pas une seule visite. Après chaque séance le visage du malade semble plus serein. Désormais Paul rejoint le baron directement dans sa chambre, parfois il est accompagné par son fils ou bien par la baronne, cette toilette du visage semble soulager le patient de ses douleurs. La santé du Baron s’aggrave au cours de l’été ; le 25 octobre 1932 il est hospitalité d’urgence à Tunis, il décède le 29 octobre 1932.

Il est inhumé dans le jardin de sa maison de Sidi Bou Saïd. Sa pierre tombale reçoit des tunisiens reconnaissants l’épitaphe en langue arabe sculptée sur la pierre qui commence par ces mots : «  De tes précieux bienfaits les arts et les lettres se souviennent » et se termine par ces mots : «  C’est là le témoignage de la fidélité de l’Art à son Père Spirituel » ; Quelques semaines après Paul se rend auprès de La Baronne, les larmes aux yeux il coiffe la baronne c’est le premier soin capillaire depuis le décès de son mari.

C’est aussi la dernière visite du petit coiffeur à Sidi Bou Saïd. Désormais la famille d’Erlanger se rend au salon, la fidélité réciproque sera maintenue au-delà de la mort du Baron, Paul coiffera Bettina la Baronne jusqu’à sa mort, et les enfants ne connaîtront à Tunis qu’un seul coiffeur : Paul.

Les descendants du Baron d’Erlanger ont légué à la Tunisie ‘Ennjema Ezzahra’ c’est un monument historique classé, il abrite aujourd’hui le ‘Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes’ et c’est l’un des plus visités de Tunis et de ses environs.


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