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« Le processus démocratique est menacé en Tunisie par la multiplication des attentats »

« Le processus démocratique est menacé en Tunisie par la multiplication des attentats »

 

INTERVIEW- Après l'attaque de Sousse qui a fait 38 morts, le journaliste pour RFI et spécialiste de la Tunisie David Thomson analyse pour Le Figaro l'impact des attentats sur la jeune démocratie tunisienne, de plus en plus isolée.

 

LE FIGARO: «L'État islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible», affirmiez-vous il y a trois mois au Figaro. L'attentat de Sousse était-il prévisible?

DAVID THOMSON: Il est toujours facile d'affirmer qu'une chose était prévisible une fois qu'elle s'est produite. Rappelons tout de même qu'en octobre 2013, un attentat kamikaze raté avait eu lieu sur une plage de Sousse. Le terroriste n'avait alors réussi à tuer que lui-même. Cela aurait dû alerter les autorités. Depuis fin 2012- début 2013, chaque mois, des accrochages mortels ont lieu entre les forces de sécurité tunisiennes et les djihadistes. Il y a trois mois 22 personnes étaient tuées au musée du Bardo en plein Tunis et à longueur de communiqués l'EI promet des attaques en Tunisie. Malgré un discours faussement optimiste les autorités n'ont pas pris la mesure de cet enjeu et ne parviennent pas à y faire face. Et ce alors que la situation se complique: depuis la fin 2012 al-Qaïda visait essentiellement des cibles sécuritaires (via la brigade tunisienne d'AQMI Oqba Ibn Nafaa), mais avec l'apparition de groupuscules de l'Etat islamique cette année, les intérêts occidentaux sont directement visés. Et cela dans le double objectif de ruiner l'économie tunisienne et de punir les pays de la coalition.

La Tunisie peut-elle tomber entre les mains des djihadistes?

Le scénario de villes qui tomberaient entre les mains de l'EI est une realité en Libye mais n'est pas d'actualité en Tunisie. En revanche le processus démocratique est actuellement menacé en Tunisie par la multiplication des attentats parce que cela peut entraîner l'opinion vers la tentation sécuritaire de renouer avec les pratiques de l'ère Ben Ali. C'est déjà le cas pour une frange du parti de la majorité (Nidaa Tounes), où environ la moitié des députés sont des anciens du parti de Ben Ali. Le débat actuel sur la loi antiterroriste est l'occasion d'un affrontement entre ceux qui veulent sauvegarder les acquis démocratiques de la révolution et ceux qui veulent rogner les libertés individuelles par souci sécuritaire. La Tunisie peut être tentée de renoncer à la défense des droits de l'homme et le processus democratique pourrait dérailler par peur du péril djihadiste. C'est exactement la stratégie que poursuivent les djihadistes qui veulent plonger le pays dans un chaos économique et politique.

Quel est le rôle des Frères musulmans (Ennahdha) en Tunisie? Sont-ils complices ou rempart du terrorisme?

Lors de son passage écourté au pouvoir (2011-2013), le parti islamiste Ennahdha a certainement fait preuve de naïveté, d'amateurisme voire d'irresponsabilité, mais pas de complicité. Les responsables d'Ennahdha ont pensé que leur légitimité islamiste s'imposerait sur la frange djihadiste. Or, c'est sous le gouvernement d'Ennahdha que les djihadistes d'Ansar-al-Charia ont prospéré et ont eu les mains libres pour s'organiser et recruter en masse. Le parti Ennahda ne voulait pas braquer son électorat en réprimant les djihadistes de la même façon qu'eux avaient été réprimés pendant l'ère Ben Ali. Mais les responsabilités sont partagées: sous les autorités de transition les fondateurs d'Ansar-al-Charia ont été libérés et ont fondé ce mouvement. Le décret d'amnistie des anciens cadres d'Al Qaeda signé après la révolution a été mis en oeuvre sous Béji Caïd Essebsi, l'actuel président de la République qui était alors Premier ministre de transition. Et depuis que son parti est au pouvoir, l'EI a émergé et les attentats sont de plus en plus spectaculaires et meurtriers.

Le gouvernement tunisien a décidé de fermer 80 mosquées considérées comme «salafistes». Fermer les lieux de culte salafistes, est-ce la bonne solution pour tarir le djihadisme?

Entre la révolution de 2011 et le départ d'Ennahdha en 2013, le mouvement djihadiste a pris le contrôle de 10% des lieux de culte tunisiens (500 des 5000 mosquées tunisiennes). A partir de 2013, et du classement d'Ansar-al-Charia comme mouvement terroriste, il y a eu une politique de récupération des mosquées perdues par le gouvernement. Aujourd'hui, il reste une centaine de mosquées aux mains des djihadistes. Mais les autorités tunisiennes ont eu tendance à croire que la menace avait disparu avec l'éradication d'Ansar al-Charia. Or la menace s'est simplement déplacée, transformée, militarisée, notamment en Libye devenue la nouvelle destination des djihadistes d'où ils viennent frapper la Tunisie. Nous sommes au début de quelque chose en Tunisie. Après trois ans de laisser-faire, depuis 2013, la répression des djihadistes a entraîné beaucoup de départs. 3000 djihadistes tunisiens sont actuellement en Syrie et en Irak. Des centaines d'autres en Libye. 500 sont déjà revenus, beaucoup d'autres ont l'intention de revenir et ils ne cachent pas leur volonté de frapper à nouveau la Tunisie.

*David Thomson est journaliste pour RFI et auteur du livre Les Français jihadistes (Les Arènes, 2014).

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