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Athées en Tunisie: passez par la case prison

 

Athées en Tunisie: passez par la case prison

 

 

 

Dans la ville de Mahdia, en Tunisie, être chrétien passe, juif OK, tant que l’on n’est pas sioniste, mais être athée semble inconcevable.

Ils auraient tués pères et mères que ça n’aurait pas été pire. « Mon fils est athée ». La phrase murmurée est étouffée par le ventilateur brassant l’air chaud de ce mois de ramadan. Dans sa maison de Mahdia, port de pêche charmant sur le littoral tunisien, Mahmoud Béji ancien directeur d’école se sent épié. Il essaye de convaincre la ville entière qu’il a renié son mécréant de fils, Ghazi, 28 ans. Ainsi s’efforce-t-il de nous montrer aux murs les cadres éclatants louants Allah ou un Coran près du lit qu’il nous demande de photographier : « Ça prouvera que je ne suis pas athée. » La famille de Jaber Mejr, elle, pense que tout cela n’était qu’une passade. Pas la peine donc pour Ghazi et Jaber de compter sur leurs familles pour les soutenir dans leurs choix.

Ces deux chômeurs diplômés, anciens collègues de travail à la gare de la ville, ont commis l’imprudence de vouloir faire part au monde de leurs idées, diffusant sur internet des textes et caricatures contraires à l’islam. Ils se sont retrouvés l’un en prison, l’autre en exil. Leurs ennuis ont démarré début mars quand un citoyen de Mahdia est venu se plaindre auprès d’un avocat de la ville, Foued Cheikh Zaouali de ces « publications portant atteinte à notre prophète sur la page de Jaber Mejri. » Mahomet traité de pédophile et d’assassin, l’avocat qui enseigne par ailleurs les droits de l’Homme et la liberté d’expression, en fait une affaire personnelle et décide d’aller en justice. Après un procès sans réelle mobilisation médiatique, Jaber Mejri est condamné fin mars à 7 ans et demi de prison ferme pour notamment atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

L’appel fin juin confirmera la première instance. Un pourvoi en cassation est dans l’attente aujourd’hui d’une date pour une ultime chance de s’en tirer à meilleur compte. Jaber est donc derrière les barreaux, Ghazi a lui écopé de la même peine mais par contumace, le jeune homme ayant vite fuit le pays. Sur leur page Facebook, qui doivent rassembler à elles-deux un millier d’amis tout au plus, ou sur l’hébergeur de textes en ligne Scribd, on peut retrouver les écrits incriminés. Des pamphlets anti-prophète – «L’illusion de l’Islam » pour Ghazi ; « Dark Lands » pour Jaber – qui ne feront pas date dans l’histoire de l’athéisme. La famille de Jaber explique ce rejet de la religion du fils par le désespoir après cinq années de chômage.

« Mais maintenant il fait sa prière en prison et respecte le ramadan » assure -ou se rassure- la mère qui revient de sa visite quotidienne, autorisée à porter à son fils un panier pour la rupture du jeûne. « C’est plutôt parce qu’il a été battu par les autres prisonniers » croit savoir Ghazi. Aujourd’hui exilé en Roumanie, il dit avoir des amis qui lui racontent les déboires de Jaber en prison et que l’illusion d’une foi retrouvée n’est due qu’à la violence de ses partenaires de cellule contre un athée.

Un procès par les habitants presque plus violent

Dans cette ville où la sérénité de la médina, du cimetière marin et la beauté du phare évoquent tout sauf l’extrémisme, le procès des deux internautes fait par les habitants est presque plus violent que le jugement prononcé par la justice. Sur la petite place du Caire qui porte bien son nom avec ses arbres et ses fumeurs de chicha, la douceur de vivre est vite rattrapée par la réalité sortant de la bouche des jeunes attablés. « 7 ans ? Pas assez, lâche Ahmed, 22 ans. Tout le temps c’aurait été plus juste ! » « Ils ont caricaturé le prophète, notre guide, ils méritent plus que la prison !» ajoute Amenallah, 24 ans. Pourtant ces jeunes portant casquettes et baskets semblent plus prompts à draguer les filles qu’à prier cinq fois par jour.

« Ce sont surtout des familles conservatrices qui vivent ici, explique Samir Hédi, ami du père de Ghazi, retraité de l’enseignement lui aussi. « Les gens ici ne comprennent pas la laïcité. Avoir une conviction autre c’est sortir de la communauté. »

La laïcité, même au fin fond de la Roumanie, Ghazi semble ne pas y avoir droit. Photo à l’appui il nous raconte sa rencontre avec l’imam du camp de Radauti, dans le Nord du pays, où il a trouvé refuge. L’imam, palestinien, lui a joué un remake de Trouble Everyday, lui mordant l’aine jusqu’au sang. « Tuer un mécréant est très bien vu dans l’islam des intégristes » explique Ghazi. Avant d’être effrayé par les dents de l’amer, Ghazi a du vider son compte en banque, fuir par l’Algérie, la Turquie, nager à trois heures du matin dans les eaux de l’Évros pour rejoindre la Grèce, puis la Macédoine, la Serbie et enfin la Roumanie.

« Une aventure incroyable qu’il devrait écrire un jour » juge Bochra Belhaj Hmida, avocate à Tunis et activiste des droits humains. Un livre qui serait alors peut être meilleur que son pamphlet. « Je trouve, raconte-t-elle que les textes de Ghazi et Jaber ne valent rien, mais je les défends car j’estime que chacun à le droit de penser ce qu’il veut. » Aujourd’hui, rares en Tunisie sont ceux qui soutiennent Ghazi et Béji. « Ça n’est pas politiquement correct de défendre des gens trop différents, explique l’avocate.» Estimant que les textes incriminés n’ont été lus par personne, elle ajoute que la justice, « n’a pas été indépendante. Soit parce qu’elle a toujours été au service du pouvoir (aujourd’hui aux mains des islamistes d’Ennahdha, NDLR), soit parce qu’elle a peur des salafistes. Depuis la chute de Ben Ali, les Tunisiens n’ont plus peur du gouvernement mais de la société. Des salafistes notamment. »

A Mahdia, Mahmoud Béji inquiet nous demande de ne pas tout écrire, d’insister sur sa foi, celle de sa femme, voilée, et pense qu’« en expliquant mieux l’Islam à Ghazi, on pourra le faire revenir sur le droit chemin». La famille de Jaber elle n’a pas de doute quant à son fils qui attend en prison son pourvoi en cassation : « C’est Ghazi qui lui a lavé le cerveau ». Ghazi a quant à lui récupéré un passeport roumain de protection subsidiaire. Quasi premier réfugié politique tunisien de l’après Ben Ali, il espère obtenir l’asile en France et ne rentrera pas dit-il, « tant que la Tunisie sera aux mains des islamistes ».

Thibaut Cavaillès, à Tunis

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