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Au nom de la République, au nom d'Abraham

 

Au nom de la République, au nom d'Abraham

 

 

 

Par KEDADOUCHE ZAÏR - MAMOU-MANI ALAIN - SCHOETTL JEAN-ERIC

Alain Mamou-Mani, chef d'entreprise, coauteur des «Dix commandements» chez Albin Michel; Jean-Eric Schoettl, conseiller d'Etat; Zaïr Kedadouche, président de l'Association intégration France.

 

A l'heure où la Bête de l'Apocalypse se déchaîne au Proche-Orient et risque de distiller ses venins jusque dans notre pays de France, cher à nos trois coeurs de métèques, à l'heure ignoble où, dans nos banlieues, brûlent des sanctuaires et s'installe la peur à la sortie des écoles, nous, soussignés, crions «halte-là» à la haine. Nous ne présumons pas de la force de ce cri: mais ce cri, nous ne pouvons le retenir. Nous le crions à l'unisson: trois voix de citoyens français, frères dans la République; trois voix de fils du Livre, puisque chacun d'entre nous a été abreuvé à l'une ou à l'autre des traditions issues de l'antique source abrahamique: la juive, la chrétienne et la musulmane. Et ces trois cris disent deux fois «no pasaras» à la haine: une fois au nom de la République; une autre au nom d'Abraham. Il n'y a pas de place dans la République pour les affrontements intercommunautaires, ni d'ailleurs pour les comptes et décomptes identitaires, quotas, discriminations positives ou négatives, virulents ou doucereux précurseurs de la dissolution du lien civique. La citoyenneté est ce qui nous rassemble et non ce qui nous sépare. La Nation ne doit voir en nous que des personnes, mues par leur libre arbitre, adhérant aux mêmes valeurs et respectant la même loi. Nous ne voulons pas être des membres interchangeables de tribus non miscibles aux intérêts inconciliables.

Nous, le juif, le chrétien et le musulman, viscéralement attachés à la laïcité, chérissons nos traditions respectives, mais entendons les préserver là où elles adoucissent nos âmes. Ne les laissons pas déborder dans la Cité et régir notre espace social, là où elles nous opposeraient. L'histoire nous a en effet trop appris que le nom du Très-Haut (et, pour les athées, ses substituts révolutionnaires) pouvait être un magnifique alibi de massacre. Le Malin n'est jamais plus diabolique que lorsqu'il revêt l'habit de l'Idéal à accomplir, de la Pureté à restaurer et de la Justice à rendre. Que de Saint-Barthélemy, de djihads, de pogromes, de ratonnades et de croisades perpétrés sous de pieuses bannières... La République, nous avions follement espéré qu'elle nous immunisait contre l'empoignade intercommunautaire. Les Lumières, pensions-nous, avaient érigé une digue contre l'intolérance, contre le sombre instinct de souder un «nous» sur le dos de «l'autre».

Ce rempart pourrait céder aux passions venues d'outre-temps, d'outre-mer et d'outre-raison. Consolidons la digue. Faisons les piqûres de rappel. Nos immunités s'affaiblissent. Le flot des pulsions «génocidaires» commence à battre nos murs. Le moins que nous puissions faire est d'éviter toute complaisance envers les affirmations agressives d'appartenance, les ostentations identitaires, les solidarités trop «naturelles», le grégarisme politique, la division trop simple entre bons et méchants. Evitons aussi l'invocation pleurnicharde de préjudices historiques appelant à repentance l'indigène hexagonal et attribuant une rente de situation aux descendants patentés des victimes. Les «torts historiques»: façon barbare d'imputer aux fils la responsabilité des pères. La haine de soi présente ne rachète pas l'humiliation de l'autre passée. Mais nous, le juif, le chrétien et le musulman rejetons encore la haine interreligieuse au nom de la religion elle-même. Si, en laïcs convaincus, nous ne sommes pas des défenseurs enthousiastes du catéchisme à l'école, nous pensons cependant qu'il ne faut plus faire l'impasse sur notre mémoire spirituelle collective.

Nous souhaitons à nos enfants, à tous les enfants, que Moïse, Jésus et Mahomet ne soient plus des étrangers. La laïcité ne doit pas être l'antireligion. Qu'ils retiennent au moins ce fait que même nos dignitaires religieux respectifs oublient trop souvent de rappeler : juifs, chrétiens et musulmans reconnaissons le même Dieu. Celui d'Abraham. Dieu de miséricorde. Celui qui arrête le bras sacrificateur du patriarche au pays de Morija. Celui qui retient l'épée vengeresse du compagnon de Jésus au mont des Oliviers. Celui dont le messager souriant, Gabriel (Gibraïl), apparaît dans la Thora, l'Evangile et le Coran. C'est le sourire de l'archange qui relie les trois parties du Livre. Ce Livre dont les chapitres antérieurs ne sont pas abrogés, mais complétés par le Messie du christianisme, puis par le Prophète de l'islam, puisque, selon leurs propres termes, ils sont venus continuer et non abolir. Ce rappel de leur consanguinité spirituelle serait de nature à relativiser les choses dans les petites têtes brunes ou blondes.

Impies sont donc ceux qui détruisent, souillent ou mitraillent les sanctuaires où devraient prier ensemble les fils d'Abraham (Ibrahim). Impies ceux qui ternissent le sourire de l'Ange de Reims. Impies les intégristes et les inquisiteurs. Sacrilège, comme disait la grand-mère aragonaise de l'un d'entre nous, celui qui crache au visage d'un juif, car c'est cracher au visage de Marie. Au nom de la République... Au nom d'Abraham : serrons les rangs. Pour que la paix soit avec nous tous.

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