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Bahi Ladgham : Le grand miltant nationaliste et l'un des bâtisseurs de la Tunisie moderne

 

Bahi Ladgham : Le grand miltant nationaliste et l'un des bâtisseurs de la Tunisie moderne

 

 

La Tunisie célèbre ce 10 janvier le centenaire de Bahi Ladgham, militant nationaliste de grande envergure qui a été, dès l’indépendance en 1957, le véritable N°2 du régime, Destourien et dauphin de Bourguiba, jusqu’en 1970. Secrétaire général du parti destourien, il continuera à occuper ce poste jusqu’en 1971. En tant que secrétaire d’Etat à la Présidence (selon le système américain), il avait dirigé le gouvernement, composé par de grands ténors comme Taieb Mehiri, Mongi Slim, Ahmed Ben Salah et autres Hédi Khefacha, et longtemps conservé sous son autorité directe le ministère de la Défense nationale.

En première position aux côtés de Bourguiba, il avait été l’un des bâtisseurs de la Tunisie moderne, fondateur de l’armée nationale et de la tunisification de l’administration. Il est connu pour son militantisme, sa loyauté à la patrie et sa discrétion, son intégrité, sa rectitude, son respect de la chose publique et son sens de l’État. Bourguiba a dit de lui : «Son seul défaut est son humilité». Fin négociateur, il fut l’homme des missions difficiles : négociations franco-tunisiennes pour l’indépendance, différend tuniso-égyptien, crise de Bizerte, crise de la nationalisation des terres  appartenant aux colons, règlement du contentieux frontalier avec l’Algérie et la crise jordano-palestinienne de 1970. 

Dès 1971, il entrera en brouille avec Bourguiba et les retrouvailles n’ont pu se réaliser que dix ans après, reprenant avec la même fidélité. Mais Bahi Ladgham avait déjà pris ses distances avec l’action politique pour ne plus revenir sur la scène . Maintes fois sollicité par Ben Ali, il avait toujours décliné ses approches, invitant ses pairs à refuser toute compromission avec lui. Retour sur un parcours militant qui se croise avec une partie charnière de l’histoire contemporaine de la Tunisie.

Bahi Ladgham (الباهي الأدغم) est né le 10 janvier 1913 à Tunis et décédé le 13 avril 1998 à Paris. 

Issu d’un milieu modeste, son père Ahmed  dit Muftah, fils d’un immigrant libyen, Haj Omar Ladgham de Musrata installé en Tunisie depuis le milieu du XIXème siècle à la suite d’une révolte locale contre la présence turque, et d’une Tunisienne de la famille Kachoukh du Sahel, détenait un petit commerce d’épicerie fine et de journaux à la rue Bab Saâdoun ; sa mère Zohra Ben Aouda, fille d’immigrants algériens de Médéa, descendants de Sidi Ahmed Ben Aouda, connu pour ses dons de dompteur de lions, qui ont fui  la répression française des adeptes de l’émir Abdelkader, est morte quand il avait 8 ans et demi.

La famille  a toujours habité le quartier populaire de Bab El Akouas, situé entre Bab Souika et Bab Saâdoun et la rue Ezzaouia Bokria. Le jeune Bahi a vécu une atmosphère culturelle polymorphe où se mêlent des Tunisiens d’origines diverses (Arabes, Andalous, Turcs..) mais aussi Italiens, Corses, Maltais  de condition modeste ou plus bourgeoise telle la famille Slim ou Méhiri. Prédestiné à des études religieuses à la grande mosquée de la Zitouna, lorsqu’au début de l’année scolaire 1921/22 à 8 ans et 9 mois après plusieurs années au Kottab du quartier, un des amis de son père Hassen Chedli (père du Pr Amor Chedli, devenu médecin personnel du Président Bourguiba) insista  auprès de son ami pour inscrire son fils à l’annexe primaire du collège Sadiki. Ce qui fut fait, le jeune élève a très vite appris : langues, histoire , géographie, calcul. Ses études secondaires lui ont permis d’être plus brillant, puisqu’il a accumulé prix, bonnes notes et appréciations de ses maîtres et professeurs : n’a-t-il pas prononcé un discours d’adieu à l’âge de 17 ans au départ de l’un de ses professeurs français, M. Lescat, qui a suscité l’admiration du directeur, M. Meyrat,  qui a dit, en remettant le prix d’excellence à son élève : «Ce jeune m’a particulièrement impressionné …et à l’entendre j’ai perçu l’œuvre civilisatrice de la France et la reconnaissance de la Tunisie». Ce qui a fait regretter au jeune Bahi son discours pour ne pas être assimilé à un « bon » Tunisien reconnaissant.   L’arrière-boutique de son père, un homme pieux et ouvert, a constitué un lieu privilégié de réunions et de discussions autour de thèmes politiques et culturels  de l’époque après la Première Guerre mondiale, la révolution turque ou la dislocation de l’empire austro-hongrois et bien entendu la situation en Tunisie avec le Destour fondé par Abdelaziz Thaalbi. Ces discussions étaient animées par certains intellectuels de l’époque.

Ainsi s’est formée la personnalité de Bahi Ladgham, dans une atmosphère de saga de l’émir marocain  Abdelkrim El Khattabi et ses victoires dans la guerre du Rif, des informations sur la situation en Libye et sa lutte anti-italienne où son père a gardé quelques contacts avec sa famille d’origine, de la chute de l’Empire ottoman avec des sentiments mitigés pour la révolution turque et contre la «désislamistation outrancière» d’Atatürk  et sa rupture avec le califat. Dans cette atmosphère intellectuelle, le jeune Bahi a ingurgité tout ce qui lui tombe sous la main comme journaux ou livres en arabe ou en français, prêtés parfois par des amis corses de parents bonapartistes habitant le quartier.  Cette ambiance de fréquentation, de lecture et  aussi de formation religieuse, culturelle et historique au sein du prestigieux collège Sadiki, sous la houlette de professeurs français et de Tunisiens de renommée tels les Cheikhs Tahar Ben Achour, Laziz Jaït  et Mohamed Salah Mzali , au moment de la crise de naturalisation et du congrès eucharistique de Carthage de 1930, a accentué chez lui une prise de conscience et ce sentiment de révolte contre l’occupant français et la volonté d’affranchissement du colonialisme, sans nier l’apport objectif de la culture des lumières.

Cet événement charnière a permis l’éclosion d’une jeunesse qui passe d’écoliers meneurs de manifestations anticoloniales à de vrais leaders politiques pour devenir plus tard les bâtisseurs de la Tunisie moderne. 

Dans cette ambiance de stagnation politique,  l’Eglise catholique a décidé d’organiser son congrès eucharistique mondial à Carthage en mai 1930, à l’occasion du centenaire de l’occupation française en Algérie célébré en grande pompe à Alger en présence du président français Gaston Doumergue  et du cinquantenaire du protectorat français en Tunisie. Signant ainsi l’implication de l’Eglise catholique dans le processus colonialiste sur le thème de l’ancienne église catholique d’Afrique de l’époque romaine et le mythe des saintes Félicité et Perpétue livrées aux fauves après leur martyr et à une époque plus récente la mort de Louis IX, roi de France, appelé Saint Louis, empesté à Carthage en 1270 lors des dernières croisades, sans compter la présence du cardinal Lavigerie que certains appelaient Primat d’Afrique à l’instar de primat des Gaulles avec les troupes françaises en 1881 lors de la campagne de « pacification » de la Tunisie, sa statue est restée en face de Bab Bhar (Porte de France) jusqu’à l’indépendance. 

Ainsi la  présence aux festivités du cardinal français Alexis-Henri-Marie Lepicier, Légat du pape Pie IX, est à cet égard significative de l’autre face de la même pièce du colonialisme: le ministre français des Affaires étrangères Aristide Briand n’a-t-il pas répondu  à la question de l’implication de la France dans ce processus purement religieux : « La France est laïque à l’intérieur de l’Hexagone  et catholique en dehors ».

Pour eux, la Tunisie  a été  une fois chrétienne et elle l’est redevenue par la foi et française par l’administration, la présence arabo-musulmane n’a été que  de courte durée.

Côté tunisien, le bey, le parti (le Cheikh Thaalbi étant exilé) et les hommes de religion ont démontré leur irresponsabilité par l’immobilisme pour les uns et leur implication comme Ahmed Bey comme président du comité d’organisation, et ses filles (les princesses) ont veillé à broder une écharpe offerte au pape. La jeunesse a alors pris ses responsabilités, c’est ainsi que des manifestations de grande ampleur ont eu lieu à Tunis organisées par les élèves de tous les lycées et collèges et les écoles religieuses telle la Zitouna, sous la houlette d’un groupe de jeunes dirigés par Bahi Ladgham, dont Abdelaziz Méhiri, Hédi Chennoufi, Khemaïs Hajri de Sadiki, Taïeb Slim du lycée Carnot et bien d’autres du collège Alaoui et de la Zitouna.

Il s’en est suivi une vague d’arrestations et d’exclusions dont le jeune Bahi, réintégré ensuite avec d’autres de ses camarades après des négociations laborieuses avec la direction, il s’agissait des élèves les plus brillants du collège.  C’est à cette occasion qu’il a rencontré personnellement maître Habib Bourguiba, qu’il avait déjà vu lors de réunions publiques dans les locaux du Destour. Le jeune élève a demandé à l’avocat de défendre ses camarades emprisonnés lors des troubles, ce que le futur leader a accepté avec ferveur et conviction, et encouragé le jeune militant de continuer à s’organiser.

Bahi Ladgham pense, et l’a déclaré plus tard, que les événements du congrès eucharistique et la défense des détenus ont signé l’engagement direct de Bourguiba dans la lutte nationale et la scission du Destour de 1934.

Cette première action a été suivie d’autres, telle la création  en 1932  de la jeunesse scolaire, chapeautée par l’association des anciens de Sadiki. Il a été son premier secrétaire général  et rédacteur en chef de sa revue, et Habib Mebarek son premier président. Cette association avait une grande activité culturelle, de formation politique et d’encadrement, et a constitué un creuset idéologique du nationalisme tunisien des temps modernes ; et en septembre 1934, l’association la Rachidia dont il est membre fondateur, a été la  résultante de l’activité de la jeunesse scolaire, issue à son tour du Comité dirigeant des manifestations de 1930.

A participé pour la première fois en tant que délégué élu au congrès du Néo-Déstour en 1937, alors qu’il était présent à ceux de 1933,34 et 35. La maladie puis la mort de son père en 1936 ont été un moment charnière dans sa vie, qui l’a empêché de continuer ses études en France et a été recruté en tant que fonctionnaire à la direction des affaires régionales et communales au ministère de l’Intérieur où il a travaillé aux côtés de  Charles Saumagne (un avocat féru d’archéologie et d’histoire, né à Sousse et mort à Tunis en 1972). Ensuite, il a été reçu au concours des finances où il a travaillé jusqu’à son incarcération en 1939. Les deux personnes s’appréciaient au point que Charles Saumagne intervint en sa faveur à deux reprises pour faire libérer son collaborateur en 1938 des mains de la police après les événement du 9 avril 1938, ensuite sans succès en 1939 à la suite d’affaires plus complexes dites du cinquième bureau politique  clandestin du Néo-Destour, et sa condamnation en 1940 à 15 ans de travaux forcés et 15  ans d’interdiction de séjour pour incitation à la haine raciale et la désobéissance civile et militaire. Il a échappé à la peine de mort lors du même procès par manque de preuves au sujet d’un attentat à la bombe qu’il a organisé contre le mur d’enceinte de la caserne militaire de la Kasbah à Tunis, sans faire de victime.

Il s’en est suivi quatre longues années de bagne, avec 46 de ses camarades à El Harrach près d’Alger et Tazoult (La maison du diable de Lambèze) près de Batna. Le froid, la faim, les privations de la guerre, les maladies, le manque de soins et la violence ont eu raison de 23 détenus sur 46 au départ de Tunis. Bahi Ladgham guérit miraculeusement d’une dysenterie amibienne contractée à cause du manque d’hygiène alimentaire. Ces années lui ont permis de faire la connaissance de personnalités prestigieuses incarcérées, tels les nationalistes algériens Messali Haj et Mohamed Khidher, le communiste italien Maurizio Valenzi, militant antifasciste devenu plus tard sénateur-maire de Naples, et bien d’autres, républicains espagnols, gaullistes et même espions français pro-allemands paradoxalement jugés par le régime de Vichy.  A la fin de la guerre, il bénéficia d’une grâce amnistiante accordée par le général De Gaulle, il rentre avec ses camarades à Tunis le 7 mai 1944, le jour de la visite du général. Pendant la période 1944 à 1946, le parti destourien s’est réorganisé, tous ses leaders étaient libres de leurs mouvements sans pour autant avancer en matière d’acquis, la France restant sourde à ses revendication jusqu’au congrès national de l’indépendance de la nuit du Destin d’août 1946. Il s’en est suivi une vague d’arrestations dans tous les milieux : destourien, moncefiste (le Premier ministre Mhamed Chenik), zeitounien (Cheikh Fadhel Ben Achour). Bahi Ladgham était parmi eux. Libéré quelques mois plus tard, il se marie et devint le nouveau directeur de la Chambre de commerce de Tunis à la mort de son ami Slaheddine Bouchoucha. Cette nouvelle fonction lui confère une certaine immunité, une liberté de mouvement et la possibilité d’étudier les dossiers économiques et sociaux de l’époque dont dispose la chambre. Il a mis à profit  cette nouvelle situation pour accomplir plusieurs missions en France, et surtout en Algérie où il a repris langue avec les milieux nationalistes sans grand succès, mais c’est surtout au Maroc, grâce à de bonnes adresses, qu’il a pu entrer en contact avec le parti Istiqlal et les proches du roi Mohammed V, qui l’a reçu lors de la cérémonie de la fête du Trône et s’est inspiré de son discours pour rédiger plus tard celui du Bey Lamine.

Cette cérémonie purement marocaine a particulièrement marqué Bahi Ladgham qui a  remarqué la différence nette entre cette cérémonie où l’élément marocain était prépondérant et le discours du monarque particulièrement orienté vers les demandes légitimes du peuple marocain, et celle  organisée en Tunisie où la symbolique de la présence tunisienne etait quasi inexistante. Cette symbiose existait déjà au Maroc, mais pas encore en Tunisie. Pendant cette période, il a participé à la création d’organisations nationales (UGTT, UNAT, UTICA), mais il a surtout créé l’Ecole des cadres, institution qui  avait vocation de former les futurs cadres politiques du Néo-Destour qui sont devenus par la suite les responsables de la Tunisie indépendante tels Taieb Mehiri et Béji Caïd Essebsi. 

Il a assisté en tant que seul haut responsable du Néo-Destour en  septembre 1948 aux cérémonies d’inhumation de Moncef Bey.

Il a contribué depuis 1948 à l’élaboration du journal Mission dont il a été le rédacteur en chef où il écrit sous le pseudonyme Le Kroumir, Hédi Nouira étant le directeur. Ce journal a été une tribune politique et un organe de conscientisation des jeunes élites.

Apres le retour de Bourguiba d’Egypte en 1949 et suite au discours de Robert Schuman à Thionville reconnaissant à la Tunisie le droit à l’indépendance, a été constitué le  gouvernement Chenik en 1950. Le nouveau gouvernement a été rapidement contré par les Français qui ont tergiversé pendant un an, jusqu’aux négociations de l’automne 1951 auxquelles Bahi Ladgham participa en tant que conseiller du gouvernement. 

Mais «la fin de non-recevoir» du gouvernement français par la lettre du 15 décembre 1951 a poussé le gouvernement et le Destour à internationaliser le conflit et déposer une plainte devant le Conseil de sécurité des Nations unies à Paris ensuite à New York parrainée par les pays arabes et surtout le Pakistan qui en assumait la présidence  pendant le mois d’avril 1952. Bahi Ladgham s’acquitta de cette tâche pour faire connaître la question tunisienne et la faire reconnaître par une majorité d’États et de la presse américaine et internationale.

Il retourne au pays le 9 octobre 1955, à la fin de sa mission et à la reconnaissance de l’autonomie interne à la Tunisie par la France et le retour de Bourguiba le 1er juin à Tunis, accueilli dans une liesse populaire. Mais le leader silencieux, tel qu’on l’appelle, se trouve devant une situation grave où Bourguiba venait de faire exclure Salah Ben Youssef du parti pour avoir refusé les accords d’autonomie. Pourtant, les deux hommes étaient à l’aéroport d’El Aouina pour l’accueillir.

Alerté par Ahmed Ben Salah et Ahmed Tlili, il tenta une médiation entre les deux leaders, mais il n’arriva pas à les réconcilier, le désaccord étant trop profond entre les deux ego. Bahi Ladgham, poussé par les deux hommes à entrer au gouvernement Tahar Ben Ammar, accepta dans l’unique but de faire évoluer l’autonomie interne vers l’indépendance totale. Ce qui fut accompli le 20 mars 1956, cinq mois après. Mais malheureusement, la guerre civile entre les frères ennemis a commencé surtout après le congrès de Sfax, Ben Youssef a quitté le pays, ayant eu peur pour sa vie. Il fut assassiné en août 1961 en pleine crise de Bizerte par des éléments bourguibiens sous la tutelle de Béchir Zarg Layoun.

C’est dans cette ambiance que Bahi Ladgham  a été nommé ministre d’État, vice-Premier ministre, il a entamé aussitôt les négociations où il a été le principal négociateur, Bourguiba étant à Paris mais ne faisant pas partie de la délégation officielle, mais toujours là pour désamorcer les blocages.  A l’indépendance, il a été nommé vice-président du conseil (vice-Premier ministre) au gouvernement Bourguiba, et  élu député de l’Assemblée nationale constituante. Fondateur de l’armée nationale et de la tunisification de l’administration, il s’en acquitta avec abnégation et fidélité à ses principes : humilité, intégrité et amour de la patrie.

Après l’avènement de la république en juillet 1957, il est de fait numéro 2 du régime, secrétaire général du parti destourien pendant 15 ans, occupant de facto les fonctions de chef du gouvernement comme  secrétaire d’Etat à la présidence et à la défense nationale. Puis Premier ministre entre 1969 et 1970, à la suite de la maladie de Bourguiba, après le coup d’arrêt de la politique de collectivisation « forcenée » initiée par Ahmed Ben Salah. Il a été pendant cette période un président par intérim.
Politique mais fin diplomate, il a participé à plusieurs missions à l’étranger : rencontre à plusieurs reprises avec :

• Nasser, lors de sommets arabes (1956, 1964, 1967 et 1970). Ces rencontres ont permis de raffermir les relations entre les deux pays et tisser une amitié et un respect profond entre les deux hommes

• John Kennedy en août 1961 à la suite de la crise de Bizerte, le président américain l’assura du soutien américain pour la sécurité de la Tunisie. 

• Le général de Gaulle à deux reprises, en juillet 1962, pour dénouer la crise de Bizerte où le président français lui annonça l’intention de quitter la base «sans contrepartie ni esprit de retour» ; et en octobre 1968 pour reprendre les relations tendues entre les deux pays après la nationalisation des terres agricoles de 1964.
Et enfin la crise de septembre noir, en septembre 1970, chargé par le sommet arabe pour présider le haut comité arabe inter-palestino-jordanien pour mettre en application l’accord du Caire. Il organisera particulièrement la sortie de Yasser Arafat de son refuge à Amman et son transfert par avion vers la capitale égyptienne. Cette mission de pacification a été fortement appréciée aussi bien par les Jordaniens que les Palestiniens. 

Mais auparavant, les relations avec le Président Bourguiba se sont dégradées à la suite du retour de celui-ci après un séjour à Paris pour des soins. Bahi Ladgham a pendant cette période œuvré pour consolider la cohésion nationale et le redressement économique après la période socialiste. Apres une réunion houleuse avec Bourguiba, il présenta sa démission le 26 juillet 1970. Celui-ci la refusa et demanda à son second de rester quelque temps pour permettre à son successeur Hédi Nouira de prendre la relève le 2 novembre 1970, vint la mission en Jordanie comme pour sauver la situation.

Bourguiba poussa le bouchon quand son ancien dauphin gagna les élections du comité central du parti destourien du congrès de Monastir d’octobre 1971, où il a été ovationné par les congressistes. Ahmed Mestiri suivant au classement des élus a été exclu du parti quelques jours plus tard.

La brouille entre les deux hommes a duré  10 ans, jusqu’à juin 1981 où Mohamed Mzali a joué un rôle pour les réconcilier. Bourguiba ayant présenté ses excuses en évoquant les fameux vers de Samawaal (poète arabe d’origine juive, ayant vécu pendant la jahilya, et connu pour sa loyauté)

فــكــــــل رداء يـــرتــديــه جـمــيــــل          إذا المــرء لم يدنس من اللـؤم عــرضـه
فليــــس لـــه إلى حسـن الثنــاء سبيـل           وإن هو لم يحمل على النفس ضيمهــا
فقلــت لهــــا إن الكـــــرام قـــــلـيــل          تعيــــرنـــا أنــــا قلــيــــل عـــــديــدنـــــا
عــزيــــز وجــــار الأكثــــريــن ذلـــيـــل      ومـــــا ضـرنــــا أنــــا قلـــيـــل وجــارنــــا

(Si l’honneur d’un homme n’a pas été souillé par la bassesse, tout habit qu’il portera ne sera que magnifique). Cette allusion a permis aux deux anciens amis de se réconcilier. Mais les rencontres se sont faites rares, surtout après le départ de Mzali et la crise de 1987. Bien que conscient de la dérive du pouvoir bourguibien, il n’a jamais accepté l’avènement de Ben Ali au pouvoir, connaissant le personnage, son passé et ses connaissances. 

N’a-t-il pas dit, excédé par les louanges au futur dictateur, un jour de juin 1988, en public devant une présence médusée : «Arrêtez ça, un jour il vous dressera des potences à Bab Souika». Il n’a pas été loin de cette prédiction.

Après la déposition de Bourguiba, Bahi Ladgham a repris ses visites à Monastir une fois par an jusqu’à 1996. Il décéda à Paris le 13 avril 1998.Il a eu des funérailles officielles mais non nationales, le cortège ayant pris le Boulevard du 9 Avril au lieu de passer par le centre-ville, initialement prévu, le déchu ne supportant pas de tels honneurs. Bahi Ladgham a laissé une épouse, un fils, Abderrahman (professeur de médecine) devenu ministre chargé de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption dans le gouvernement Jebali, 3 filles (un cadre bancaire, une diplomate de carrière et une mère de famille), 9 petits -enfants et 4 arrière-petits-enfants. 

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