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Comment Patrick Drahi, le patron de Numericable, a bâti sa fortune

Comment Patrick Drahi, le patron de Numericable, a bâti sa fortune

 

 

Diplômé de Polytechnique, le probable acquéreur de SFR est un entrepreneur qui n'a pas froid aux yeux.

Patrick Drahi a fait salle comble. Trois jours après avoir obtenu l'exclusivité des négociations avec Vivendi pour le rachat de SFR, le propriétaire de Numericable a tenu une conférence de presse, lundi à Paris, la première depuis près de 10 ans. Visiblement ému, l'homme d'affaires a détaillé son projet de mariage, durant près de deux heures: "Notre métier, c'est les télécoms, nous ne savons rien faire d'autre. Nous sommes des ingénieurs télécom, ouverts sur le monde, et nous sommes des entrepreneurs: nous sommes là pour régler les problèmes, pas pour en créer."

Patrick Drahi est donc un entrepreneur, un vrai. "Il ne supporte pas la subordination, il est totalement désinhibé, il n’a peur rien", résume son ami Olivier Huart, PDG de TDF. Le personnage a très tôt démontré son côté transgressif. Le jeune Drahi est un élève brillant. Sa mère et son père, tous les deux professeurs de mathématiques, lui ont donné le goût des chiffres. A 12 ans, quand la petite famille vit encore à Casablanca, avant de migrer vers Montpellier, il s’amuse à corriger les copies des élèves de troisième ramenées à la maison par ses parents.

Plus tard, il tente d’échapper à Polytechnique: pas question de faire l’armée. Son père le ramène dans le droit chemin, mais sitôt débarqué sur le campus, il s’empresse de trouver l’entreprise qui remboursera sa "pantoufle": Philips lui offre un précontrat. A SupTelecom, le surdoué s’ennuie: il adresse un rapport à l’administration de l’école expliquant comment elle doit se rénover. L’impudent se fait rembarrer, prépare un doctorat d’optique pour se consoler et part en stage six mois à Eindhoven, au siège de Philips, où il planche sur les télécommunications à distance.

Businessman intrépide

La multinationale néerlandaise parviendra à le garder deux ans. Le jeune polytechnicien refuse un poste au département recherche: "Je voulais faire du business." Il devient donc commercial, vend des systèmes de télévision par satellite. Et quand il regarde l’empilement de managers au-dessus de lui, il se dit que sa vie est ailleurs. Les vingt-cinq années suivantes, il les consacrera au câble. La construction de son groupe s’est faite en plusieurs -allers-retours, une tactique épique qui lui vaut d’ailleurs aujourd’hui sa réputation d’investisseur machiavélique. "C’est un opérationnel qui est devenu financier et il n’a pas froid aux yeux, il s’attaque souvent à plus gros que lui", témoigne Michel Combes, le directeur général d’Alcatel-Lucent, qui l’avait conseillé, en 2012, lors d’une précédente tentative de rapprochement avec SFR.

Patrick Drahi a mis au point sa méthode en plein capharnaüm du plan câble: il commence par câbler la Provence en se faisant financer par un opérateur américain, et poursuit avec Marne-la-Vallée quelques années plus tard. Son petit conglomérat grandit tranquillement, et l’américain UPC lui rachètera ses parts en 1999, après lui avoir confié le job de patron de l’Europe, un poste basé à Genève, où il réside toujours. Quelques mois plus tard, la bulle Internet explose, UPC met la clé sous la porte, mais Patrick Drahi est à la tête d’une petite fortune qui lui aurait largement permis de prendre sa retraite.

Investir au bon moment

Il s’occupe pendant quelques mois, tâte de l’immobilier, et se remet rapidement en selle. L’opportunité est trop belle: au début des années 2000, il est le seul à croire encore au câble en France. "C’est un intuitif rationnel, analyse le banquier Bernard Mourad, de Morgan Stanley. Il comprend parfaitement les cycles et sait acheter et vendre à la bonne valeur." Il rachète donc des opérateurs les uns après les autres.

Démarrant par Strasbourg, il contrôle quasiment 100 % du câble français en 2007… dès les prémices de la crise financière. L’homme d’affaires en a déduit un axiome : les télécoms suivent des cycles septennaux, comme dans la Torah. Tous les sept ans, le secteur marque une pause. Et dans l’intervalle, il passe à l’offensive, tous azimuts. La méthode Drahi va au-delà de l’art du coup financier.

"Il ne s'embarrasse pas des détails"

"Personnage atypique", dixit Michel Combes, le roi du câble n’a jamais eu de bureau. A ses débuts, il travaille dans son appartement parisien, sur une table achetée 200 francs (30 euros) à Ikea. Quand les copains viennent dîner, il descend son gros ordinateur à la cave et le meuble se transforme en table de salle à manger. "Il a la capacité de simplifier les problèmes, et ne s’embarrasse pas des détails", observe Olivier Huart.

Le nom Altice, il l’a imaginé seul, il trouvait que ça faisait bien. Il a dessiné le logo lui-même sur son Mac, en trois couleurs seulement, pour que l’impression des cartes de visite ne coûte pas trop cher. L’entrepreneur le -répète souvent, il se voit comme un boutiquier: le matin, il ouvre le magasin; le soir, il compte la caisse. Quand il câble Marne-la-Vallée, il fait le point au café après 21 heures, avec ses commerciaux une fois leur tournée achevée, et adapte les offres pour le lendemain. "Il ne fait pas confiance aux process, et préfère de beaucoup le contact humain, il aime créer des liens forts et durables avec les gens", confie Eric Denoyer, PDG de Numericable.

A prendre ou à laisser

Ancien compagnon de chambrée à Polytechnique, ce dernier fait partie de la poignée de fidèles qui l’accompagne depuis une dizaine d’années. Le quartier général n’est plus l’appartement ou le café, mais le lobby de l’hôtel Scribe, à Paris, où Patrick Drahi a sa chambre et mène des réunions deux jours par semaine. A tous, le patron d’Altice réclame une parfaite loyauté. Comme pour toutes ses entreprises d’ailleurs…

Quand il s’agit de business, l’homme est intraitable. "Dans les négociations, il est dur et il peut se montrer arrogant: avec lui, c’est à prendre ou à laisser", raconte Michel Combes. Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a pu s’en rendre compte lors de leur première rencontre, il y a deux ans et demi. "Il est arrivé sur un mode assez agressif, pas très élégant, avec une liste de doléances", se souvient-il. Les deux hommes se sont revus plus récemment lors de la cession à Altice de la filiale dominicaine d’Orange. "L’ambiance était radicalement différente, plus conviviale, raconte Richard. Il a pris de l’ampleur, fait son chemin dans un secteur où s’affrontent beaucoup de grands groupes."

Un affectif avec le sens des affaires

Son ami Jacques Veyrat, ex patron de Neuf-Cegetel, traduit autrement le style Drahi: "Il pousse très loin l’exercice de besoin en fonds de roulement." Numericable était client de Neuf quand il en était le patron. Le câblo-opérateur était dans la tourmente. Les factures n’étaient pas payées et Veyrat a dû appeler personnellement son camarade à plusieurs reprises, ce dernier promettant à chaque fois de régler dans les deux jours. Neuf a finalement coupé le service et Patrick Drahi s’est fendu d’un coup de fil catastrophé à son copain de promo: "Je ne croyais pas que tu le ferais…" L’histoire est typique du personnage. "Il joue systématiquement le côté affectif, témoigne un concurrent. Mais sa vraie force, c’est d’aller vite : il n’attend pas d’avoir un cadre réglementaire propre, il passe en force et régularise ensuite."

Pour Olivier Duha, fondateur de la société de centres d’appels Webhelp, qui travaille depuis dix ans avec Altice, sa méthode est un petit bijou de lean management : "Il pousse pour que ses structures soient le plus agiles possible." Une rapidité d’exécution qui n’est pas toujours au bénéfice des utilisateurs, l’intérêt pour le client n’étant pas la priorité. Avec l’expérience désastreuse de la fusion entre Noos et Numericable en 2006, et les images de clients parisiens prenant d’assaut les boutiques pour s’indigner de la dégradation du service, l’homme avoue « un moment de honte ». Mais le câblo-opérateur -figure aujourd’hui en tête des études de satisfaction.

Enracinement israélien

Il y a quelques années, Patrick Drahi a commencé à s’intéresser à Israël pour des raisons « professionnelles et intellectuelles ». Il détient aujourd’hui la nationalité israélienne, un très bel appartement dans la tour Rothschild qui surplombe Tel-Aviv, ainsi qu’une chaîne de télévision, i24: "Je voulais montrer le vrai visage d’Israël vu par les Israéliens, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens."Il est aussi propriétaire de l’un des quatre opérateurs mobiles du pays. Il a monté l’opération avec Michaël Boukobza, désormais installé à Tel-Aviv. Pour Patrick Drahi, l’ancien bras droit deXavier Niel, le fondateur de Free, faisait partie de la famille, jusqu’à ce qu’il apprenne par la presse sa défection et son ralliement à son ancien mentor pour lancer un opérateur concurrent en Israël. Les deux hommes ne se sont plus jamais parlé.

La relation est également très refroidie avec Niel lui-même. Encore plus depuis le récent réchauffement des relations entre le patron de Free et Martin Bouygues, candidat malheureux au rachat de SFR. Ils n’ont jamais été proches, mais, en 2007, ils avaient sérieusement discuté d’une fusion. Et le patron d’Altice reste admiratif du chemin parcouru par son rival, notamment dans le mobil: "Quand j’ai vu l’offre de Free, je me suis dit: génial! Et j’étais sûr dès le départ qu’il réussirait." Bien sûr, cette histoire-là n’est rien en comparaison de celle qu’il envisage avec SFR : "Ce projet industriel serait énorme, colossal !"

Il en rêve. Mais il nourrit une autre ambition, plus personnelle. "Mon rêve absolu est que mes quatre enfants viennent travailler avec moi. Ils sont déjà au courant de ce qui se passe dans le groupe et donnent souvent leur avis." La famille. Son socle. 

 

Par Gilles Fontaine

Challenges.fr

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