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D’où viennent les Palestiniens arabes ? Par Sandra Ores

 

D’où viennent les Palestiniens arabes ?  [Analyse] 

Par Sandra Ores © Metula News Agency

 

 

 

Dans les années 1970, l’idée selon laquelle les Arabes de Palestine descendent directement des anciens Cananéens a émergé au sein de la sphère politique internationale. C’est d’ailleurs le narratif historique qu’apprennent actuellement les enfants de l’Autorité Palestinienne, par le biais des manuels scolaires officiels qu’ils reçoivent à l’école. Ces manuels sont souvent financés, d’ailleurs, par l’Union Européenne.

 

Les Cananéens constituaient un peuple de l’Antiquité ayant vécu dans la région du monde où se situe aujourd’hui Israël, entre la Méditerranée et le Jourdain, sur une période s’étendant approximativement de 2000 à 1550 avant l’ère chrétienne. Khatzor, en Haute Galilée, à dix minutes de voiture de Métula, représentait la cité la plus importante de cette civilisation.

 

Pour les historiens, les derniers représentants du peuple cananéen ont complètement disparu à l’époque du Royaume d’Israël, soit vers le Xème siècle avant notre ère ; les derniers Cananéens se sont fondus parmi les Israélites.

 

La question des origines ethniques des Palestiniens reste un sujet sur lequel on ne trouve que très peu d’informations. La province de la Palestine, ainsi baptisée par les Romains, dans un entendement strictement géographique et donc non-politique, a été dominée par différents empires et puissances au cours des siècles. L’absence de données fiables, en ces temps reculés, contribue notamment au manque de connaissance actuel.

 

Ce chapitre ne constitue pas un domaine de prédilection pour les authentiques historiens modernes, qui ne souhaitent pas s’engager dans un imbroglio où tout ce qu’ils touchent résonne d’une consonance politique. En effet, au XXIème siècle, la légitimité de la propriété sur cette terre, des Juifs ou des Arabes, représente toujours un débat particulièrement sensible. Ainsi, toutes les investigations à caractère historique sur le sujet, toutes les découvertes archéologiques, prennent immédiatement des allures de prise de position dans le conflit israélo-arabe.

 

Toutefois, les informations rassemblées par l’Empire Ottoman, à partir du XVIème siècle, les relevés effectués par les autorités du Mandat britannique, au début du XXème siècle, de même que les travaux de rares spécialistes, permettent d’avancer des hypothèses péremptoires sur les origines réelles des Palestiniens.

 

Aux temps bibliques, si les Cananéens se mélangèrent donc aux Israélites, ce ne fut pas le cas des autres peuples de la région : les Moabites, les Edomites, les Hasmonéens, les Ammonites, les Phéniciens et les Philistins.

 

La souveraineté du Royaume d’Israël s’interrompt lors de l’invasion des Assyriens, au VIIIème siècle avant l’ère chrétienne. Les Hébreux dominent à nouveau Eretz Israël (la Terre, le pays d’Israël) à leur retour d’exil, jusqu’à ce qu’ils ne soient vaincus par les Romains en -63. Les Romains s’emparent alors de Jérusalem et transforment le royaume d’Israël en territoire conquis, soumis à la paix romaine.

 

Les peuples de la région subiront pendant vingt siècles des dominations successives qui leur imposeront leurs religions : le christianisme, à l’époque byzantine, l’islam, à l’époque des conquêtes arabes au VIIème siècle.

 

Jérusalem, qui provient de l’hébreu Yerushalaym, Ir-ha-Shalom, la ville de la Paix1, hébergera une présence juive continue pendant près de trois millénaires. La ville sainte accueille notamment, depuis les années 1800, une majorité juive constante, comme que le montrent les chiffres des empires ottoman et britannique ci-dessous, ainsi que ceux de l’Etat d’Israël depuis 1949.

 

Au Moyen-âge, bien que Jérusalem n’apparaisse nulle part dans le Coran, la cité acquiert le statut de troisième ville sainte de l’islam. Elle avait constitué une halte pour les pèlerins musulmans de vastes régions telles le Maghreb, l’Afghanistan, le Yémen ou le Nigéria, en chemin pour la Mecque. Certains d’entre eux se fixent dans la ville sainte et se mélangent à la population. C’est ainsi qu’un petit quartier magrébin existait à Jérusalem depuis cette période, là où se situe aujourd’hui l’esplanade du Temple.

 

Selon une estimation établie par l’historien Bernard Lewis, spécialiste notamment de l’Empire Ottoman, sur la base de registres officiels, la population de Palestine s’élevait à environ trois cent mille âmes dans le premier siècle de la domination ottomane, au XVIème siècle.

 

Ses conclusions indiquent également que près d’un quart de la population était concentré dans six villes : Jérusalem, Gaza, Safed, Naplouse, Ramleh et Hébron. Ces centres urbains, qui jouissaient d’une large indépendance vis-à-vis du Sultanat, faisaient office d’autorités locales.

 

La population rurale était quant à elle organisée par tribus. Certaines d’entre elles, bédouines et nomades, provenaient du nord de l’Arabie.

 

A en croire le Dr. Arnon Gross, spécialiste de l’identité collective des arabophones de Palestine, et journaliste à la radio nationale israélienne en arabe, ces tribus ont commencé à immigrer avant la conquête islamique.

 

S’ils conservaient un point d’ancrage en Palestine, les Bédouins se déplaçaient en fonction des saisons et des sécheresses afin de nourrir les bêtes, avant de revenir au campement principal. L’absence de frontières, jusqu’au XXème siècle, permettait aisément ces mouvements de populations.

 

Toujours selon Gross, au sein des agglomérations, les communautés se regroupaient autour des chefs religieux, musulmans, juifs ou chrétiens.

 

En 1850, la population de Palestine - incluant la Transjordanie (la Jordanie actuelle) - avoisinait les 350 000 personnes, d’après les chiffres d’Alexander Schölch, ancien professeur des études du Moyen-Orient moderne à l’université d’Erlangen en Allemagne. Elle comptait 85% de musulmans, 11% de chrétiens et 4% de Juifs ; soit quelques 300 000 musulmans.

 

En 1922, le premier recensement officiel des autorités du mandat britannique établit une population musulmane d’environ 600 000 individus. A l’aube de la création d’Israël, en 1947, l’expert en démographie Sergio Della Pergola estime que près d’un million deux cent mille mahométans vivaient sur le territoire sis à l’ouest du Jourdain.

 

Cette augmentation de près d’un million d’individus en l’espace d’un siècle, soit de 400%, a été nourrie par des vagues d’immigration en provenance d’autres provinces de l’Empire Ottoman, la Syrie, l’Irak, l’Egypte, le Liban d’aujourd’hui, tombées sous les dominations des Britanniques et des Français à la chute de l’empire turc.

 

Dès 1880, le mouvement sioniste occasionne une importante immigration juive ainsi que des investissements en capitaux dans le Yishuv (le nom donné par les Juifs à leur communauté nationale en Palestine, qui deviendra l’Etat d’Israël). Au début du XXème siècle, la province de la Palestine connaît en effet un développement économique, largement dû à la présence de Juifs entreprenants, qui attire les travailleurs étrangers, notamment ceux des régions avoisinantes. La plupart des Palestiniens arabes actuels est issue de cette immigration.

 

L’administration britannique collabora également à l’installation d’infrastructures, dont la construction d’une voie de chemin de fer entre Jaffa et Jérusalem, ou le traçage de routes. Entre 1922 et 1931, le kilométrage de routes pierrées double de 450 à 922.

 

Dans les années 1920, la province syrienne du Hauran, un plateau volcanique, délimité par le mont Hermon au Nord et la Jordanie au Sud, connut une sévère famine. Ce fléau occasionna un mouvement massif de population (incluant des Israélites) vers les régions de Palestine en plein développement. C’est également dans cette région que se situe Dera, la ville syrienne où la révolution contre Bechar al Assad a commencé, voici un peu plus d’un an.

 

D’après le professeur émérite en géographie Moshe Brawer, de l’université de Tel-Aviv, les côtes méditerranéennes ont accueilli, pendant le mandat britannique, de nombreux travailleurs égyptiens.

 

Cette population vint s’ajouter aux compatriotes déjà établis en Palestine depuis le siècle précédent. En 1832, l’armée du vice-roi d’Egypte, Méhémet Ali, sous le commandement de son fils, Ibrahim Pacha, s’était en effet emparée de la Palestine et de la Syrie, qui tombèrent sous le contrôle du monarque.

 

Jusqu’en 1840, date à laquelle le Traité de Londres rendit la souveraineté de ces territoires à l’Empire Ottoman, des hommes en provenance d’Egypte s’installèrent en terrain conquis. Des écrits britanniques de 1918 rapportent à ce sujet une abondante présence égyptienne en Palestine, notamment à Gaza.

 

Les Anglais dénombrent, par ailleurs, en 1931, plus de cinquante langues parlées entre la Méditerranée et le Jourdain. Les patronymes que portent certains Palestiniens, à l’instar de Masri, "Egyptien" en arabe, ou en encore El Soudi "le Saoudien" (celui du chef de la Ména palestinienne, Sami El Soudi), illustrent les origines géographiques variées des autochtones.

 

Des pratiques religieuses qu’observent certains Palestiniens de Cisjordanie, de même que des études génétiques récentes, mettent par ailleurs en évidence une origine ancestrale particulièrement méconnue.

 

Sami El Soudi soutient que plus de la moitié des Palestiniens arabes actuels de Cisjordanie sont d’origine juive. Ses propos trouvent tout leur sens dans certains villages, situés dans les collines du sud d’Hébron, en Judée, où des familles musulmanes observent, en cachette, des rites juifs.

 

Dans certaines maisons, l’on peut trouver des objets du culte juif aux origines incertaines : des téfilines2 (phylactères), ou encore une mézouzah3 ; autre manifestation de la pratique du judaïsme : le vendredi soir, des femmes allument des bougies.

 

En octobre 2009, quatre Palestiniens sont entrés en contact avec des rabbins israéliens, se réclamant descendants de Juifs forcés à se convertir à l’islam. Ils étaient accompagnés par l’auteur israélien Tsvi Misinaï. Se basant sur des recherches historiques, géographiques, culturelles et scientifiques, ce dernier estime également que des centaines de milliers de Palestiniens de Cisjordanie seraient des descendants des Israélites.

 

Il appuie ses théories sur des études génétiques, notamment celles conduites par Ariella Oppenheim, chercheuse en génétique à l’Université hébraïque de Jérusalem et professeur en hématologie expérimentale à l’hôpital Hadassah à Jérusalem.

 

La scientifique israélienne a isolé la présence du fameux Gène Cohen, le gène récurrent au sein des populations juives, situé sur le chromosome Y, parmi les Palestiniens. Ceux-ci s’avérant, en outre, selon les conclusions d’Ariella Oppenheim, plus proches, génétiquement, des Juifs ashkénazes d’Europe que ces derniers ne le sont des Juifs du Moyen-Orient.

 

Le chercheur Antonio Arnez-Vilna, de l’Université Complutense de Madrid, s’est lui aussi penché sur le sujet. Il a réalisé une étude génétique, publiée en 2001, mettant en évidence une forte similitude entre les systèmes immunitaires des Juifs et des Palestiniens.

 

Selon l’hypothèse de Misinaï, les Juifs et les Palestiniens descendent d’une même population ayant vécu dans la région : les anciens Hébreux. Les Juifs modernes représenteraient la descendance des habitants des villes, et les Palestiniens, ceux des zones rurales, des paysans qui auraient prêté allégeance aux puissances et aux confessions étrangères ayant occupé la contrée.

 

Une autre explication vient se superposer aux théories de Misinaï. Au début du XIXème siècle, la Judée aurait été le théâtre de pillages incessants, perpétrés par des tribus bédouines d’Arabie sévissant dans les hauteurs du sud d’Hébron. L’Empire Ottoman, ne parvenant pas à venir à bout de ces brigands, proposa à une tribu juive d’Arabie, la dernière connue subsistant dans cette partie du monde, de venir pacifier la région en s’installant en ces lieux. Ce, contre forte rémunération, évidemment.

 

Les membres de cette tribu juive auraient, par la suite, été contraints de se convertir à l’islam. Certains auraient cependant continué à observer, discrètement, le culte de leurs ancêtres.

 

La connaissance du destin de ces bédouins juifs reste floue ; c’est pour tenter d’en savoir plus que je me rendrai, dans les prochaines semaines, dans les collines du sud d’Hébron, où, d’après les universitaires, elles se seraient initialement établies.

 

Depuis l’avènement de l’Etat d’Israël, les Palestiniens juifs sont devenus israéliens, et le terme "Palestiniens" ne désigne plus, depuis 1964, que les Arabes de Palestine. Cette année-là, Yasser Arafat déclara que les Arabes de Palestine incarnaient les véritables Palestiniens. Jusqu’alors, lorsque l’on évoquait les "Palestiniens", on parlait plutôt des Israélites.

 

En 2012, on trouve dans les manuels scolaires de l’Autorité Palestinienne et d’un certain nombre d’Etats arabes que les "Arabes Cananéens" constituent les seuls habitants légitimes de Palestine4.

 

Cette narration, historiquement controuvée – et cela est une certitude -, forme un outil politique, destiné à encourager la volonté de combattre Israël et à alimenter l’idée que seuls les Arabes sont propriétaires des lieux.

 

Cela participe de l’ironie de l’histoire, drôle ou tragique, lorsque l’on sait, au vu des études scientifiques et historiques, que les Palestiniens et les Israéliens possèdent assurément des origines ancestrales communes. De 35 à 70% des Palestiniens ont des origines israélites, une estimation que ne nient pas les historiens ni les politiciens de l’Autorité Palestinienne. C’est sur la proportion uniquement, que les avis divergent. Une partie du peuple des Hébreux est demeurée fidèle à la loi de Moïse, l’autre s’est adaptée aux influences des divers envahisseurs s’étant succédés dans la région, et particulièrement à l’islam déferlant. Une fraternité dont ne semblent pas se soucier les parties à l’un des conflits les plus durables de l’histoire moderne.

 

 

 

Notes :

 

 

1A l’époque, la racine ShLM, qui a donné les mots shalom et salam, signifiait moins "paix", au sens où on l’entend aujourd’hui, que "plénitude" ou "complétude".

 

On trouve également, sur des hiéroglyphes égyptiens, environ vingt siècles avant notre ère, l’appellation de "hurushalimu", qui était utilisée afin de définir tout le pays de Canaan, et qui signifiait littéralement le "lieu du dieu Shalem (entier, complet, plein en hébreu) ou Shalimu". Shalem ou Shalimu était le nom d’une divinité alors amplement vénérée à Canaan.

 

2Les téfilines, selon la tradition rabbinique, consistent en deux lanières en cuir munies d'une boîte chacune contenant des parchemins, que les hommes, à partir de l'âge de treize ans, portent sur la tête et sur toute la longueur du bras gauche, chaque matin, juste après le lever du soleil ou au moment de l'office en semaine.

 

3Mézouzah, objet de culte juif, qui consiste le plus souvent en un rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques, emboîté dans un réceptacle, et fixé au linteau (ou aux poteaux) des portes d'un lieu d'habitation permanente, à l'exclusion des lieux d'aisance et de rangement.

 

4Voir les ouvrages de l’Autorité Palestinienne "Reading and Texts", Grade 9, Part 2 (Lectures et Textes, classe de 3ème, Partie 2) 2004, pp.34-35 ou encore "National Education", Grade 2, Part 1 (Education Nationale, CE1, Partie 1), 2001, p.4, dans lesquels on affirme que les "Arabes Cananéens" sont les seuls habitants légitimes de Palestine.

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