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Daphni la Rouge, icône de la révolte sociale israélienne

 

"Daphni la Rouge", icône de la révolte sociale israélienne

 

Jérusalem Correspondant - "Je ne pense vraiment pas que c'est lié à moi, mais à un moment les gens descendent dans la rue, parce qu'ils ont le sentiment qu'ils peuvent changer le cours de l'histoire." Cette phrase de Daniel Cohn-Bendit, Daphni Leef pourrait la faire sienne. L'ancien leader de Mai 68, aujourd'hui président du groupe des Verts au Parlement européen, est venu en Israël, fin septembre, pour rencontrer les jeunes du mouvement de la révolte sociale et celle qui en est devenue l'égérie.

Ecrire l'histoire... Nul doute que Daphni Leef aimerait être celle qui aura fait craquer le carcan d'une économie israélienne ultralibérale au profit de réelles avancées sociales en faveur de la classe moyenne et de la jeunesse. Depuis qu'elle a initié, le 14 juillet, la "révolte des tentes" dressées sur le boulevard Rothschild de Tel-Aviv, la jeune femme est emportée par un tourbillon médiatique.

Elle s'efforce de garder la tête froide face à cette extrême personnalisation, mais ce n'est pas facile, à 25 ans, d'incarner une jeunesse en colère et d'être courtisée par les partis politiques. Elue "femme de l'année" par le magazine économique israélien Globes, elle assure ne pas être sensible à ce vedettariat. "En Espagne, aux Etats-Unis, dans d'autres pays, il n'y a pas de visage, c'est un mouvement populaire, global, celui des "indignés". Ici, constate-t-elle, cela a commencé avec une seule personne (ELLE), rejointe par d'autres."

Daphni Leef assume cette notoriété, un agenda qui semble aussi rempli que celui du premier ministre, une vie "qui a beaucoup changé" et, depuis quelque temps, une grande fatigue... Nous sommes assis à la terrasse d'un café de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Daphni Leef est une étudiante (en cinéma) comme tant d'autres : de longs cheveux bruns, un rien boulotte, le rire facile, des lunettes dans les cheveux, et beaucoup de détermination.

Elle avait bien aimé cette rencontre avec l'icône de la révolte étudiante française, mais Daniel Cohn-Bendit et son émule israélienne ne parlaient pas tout à fait le même langage. Le grand ancien avait incité les jeunes Israéliens à investir la scène politique, c'est-à-dire à prendre position sur l'occupation israélienne des territoires palestiniens. Il n'a pas convaincu Daphni Leef et les autres leaders du mouvement étudiant - Stav Shaffir, Regev Contes, Yonathan Levy et Itzik Shmuli, le président de l'Union nationale des étudiants -, qui refusent de se laisser embrigader par les partis politiques.

"La droite, la gauche, pour moi, ce sont tous les mêmes. Je conteste cette idée que nous ne pourrons rien tant que nous serons à l'extérieur du système." Celui-ci, poursuit Daphni Leef, doit changer profondément : "Les députés sont complètement détachés du peuple et de ses préoccupations. Aujourd'hui, insiste la pasionaria du Mouvement du 14 juillet, avec Internet, Facebook, le peuple peut "voter" sur des choses très importantes. Or le peuple, c'est nous : nous avons le pouvoir, le peuple d'Israël a le pouvoir !"

Enfin presque : après ce point d'orgue du 3 septembre, lorsque quelque 400 000 personnes sont descendues dans les rues pour la plus grande manifestation de l'histoire d'Israël, le gouvernement a semblé plier : il a rendu publiques les conclusions de la commission présidée par l'économiste Manuel Trajtenberg, lesquelles ont été immédiatement rejetées par la plupart des leaders étudiants. C'était une réponse totalement "à côté de la plaque", résume Daphni Leef.

"Nous sommes le seul pays au monde où le budget est bouclé pour deux ans ! Il faut créer un véritable budget social et ne pas se contenter de sortir de l'argent d'une poche pour le mettre dans une autre. Il faut se poser la question de savoir dans quel pays nous voulons vivre dans trente ans. Il faut envisager des changements du haut en bas de la pyramide, un autre capitalisme."

Qu'est-ce qui fait courir Daphni Leef ? Tout a commencé, d'une certaine façon, par... la dèche. En juin, elle est forcée de quitter son appartement. Commence un parcours d'obstacles pour trouver un logement dans une ville, Tel-Aviv, qui est rude aux étudiants désargentés. "Je travaille énormément (comme éditrice de films), parfois quatorze heures par jour, et en plus, le vendredi et le samedi, je bosse comme serveuse. Je ne peux rien mettre de côté, mes rêves d'aller étudier à l'étranger, de faire un master sont irréalisables : tout est trop cher", insiste-t-elle.

"J'en avais marre, marre, se rappelle la jeune fille, j'éprouvais une énorme frustration." La conclusion s'impose, après des discussions avec quelques amis : "Autant devenir SDF !" Une tente est dressée sur le boulevard Rothschild, puis deux, puis trois, puis cent. Avec Facebook et Skype, le mouvement fait boule de neige.

Rien ne prédestinait Daphni Leef à devenir la voix et le visage d'une révolte sociale. Une enfance à Jérusalem, dans le quartier résidentiel de Rehavia, un père compositeur de musique, une mère employée à la sécurité sociale, et pas de tradition religieuse dans la famille. Daphni Leef sera exemptée du service militaire (pour cause d'épilepsie), mais la presse de droite l'accuse d'avoir signé une pétition, en 2005, dénonçant l'"armée d'occupation"...

Elle juge la querelle dérisoire, préfère se concentrer sur ses "responsabilités" : "Nous devons rester très fermes sur la manière avec laquelle nous faisons naviguer ce navire (le mouvement de contestation) : nous devons nous assurer que les politiciens ne l'emmènent pas dans une autre direction." Est-elle radicale, extrémiste, comme l'affirment certains ? Sans compromis conviendrait mieux. Négocier avec le gouvernement du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, n'entre pas dans sa logique : "Si vous demandez la justice sociale, insiste-t-elle, cela ne se négocie pas !"

Reste donc la pression de la rue. Celle-ci fera-t-elle, une nouvelle fois, plier le gouvernement ? Daphni Leef a confiance : "Aujourd'hui, observe-t-elle, il y a un énorme fossé entre la population d'Israël et le gouvernement. C'est la racine commune d'un grand nombre de soulèvements dans le monde : partout, les gens s'éveillent, parce qu'ils en ont assez d'être déçus, d'être roulés dans la farine."
Laurent Zecchini

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