De tous côtés, la violence (info # 012706/13) [Analyse]
Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency
Un nouveau grand exercice de l’Armée israélienne s’est déroulé cette semaine dans la ville de Kiryat Shmona, à 11 kilomètres de la rédaction ; il fait suite à un autre drill qui a eu pour théâtre la cité de Tzfat (Safed), quelques jours auparavant. Nous avons atteint un rythme de plusieurs entraînements majeurs à caractère sécuritaire par semaine, du jamais vu aussi loin que je puisse m’en souvenir.
Tous les scénarios sont envisagés, conflit avec le Hezbollah au Liban, avec le Hamas à Gaza, avec les diverses forces en présence en Syrie, et, bien sûr, avec l’Iran. On simule aussi un engagement global face à tous les ennemis d’Israël simultanément, testant notre aptitude à réagir à des attaques de roquettes, de missiles et d’armes de destruction massive, et singulièrement au gaz.
Des manœuvres à caractère offensif sont organisées un peu partout, et particulièrement dans le Golan, où les exercices de blindés alternent avec ceux de l’artillerie ; et de nature défensive, dans lesquels la défense civile ainsi que les équipes médicales sont mises à contribution.
Deux raisons président à ces activités : l’éventualité d’exercer l’option d’une attaque préventive visant l’infrastructure nucléaire de Téhéran, d’une part, et de l’autre, les violences ainsi que l’instabilité qui perturbent tous nos voisins limitrophes sans exception.
Même le royaume hachémite est en proie à la contestation ; les Américains y ont déployé des forces quasi permanentes, fortes d’un millier d’hommes environ, destinées à faire face à une éventuelle détérioration à la frontière syrienne aussi bien qu’à une espèce d’ "été jordanien", que redoute le régime, sous la poussée d’éléments islamistes et de la majorité palestinienne.
En Egypte, l’état de violence est permanent et le Président Morsi ne contrôle plus grand-chose et certainement pas l’armée et la police, qui rament pour leur propre compte. Les minorités chrétienne et chiite souffrent quotidiennement d’agressions et de meurtres perpétrés contre leurs membres.
A Gaza, le Hamas a maille à partir avec plus islamiste que lui ; des mouvements salafistes qui provoquent Israël par des tirs de Katiouchas dans l’espoir de provoquer un embrasement.
Reste que les situations les plus préoccupantes demeurent celles qui prévalent au pays des cèdres et en Syrie. Au Liban, où les foyers d’affrontements se multiplient de façon anarchique, en l’absence de gouvernement et de tout pouvoir efficace. Entre dimanche et mardi, des événements très préoccupants pour tout le monde se sont déroulés dans l’agglomération de Sidon, à 35 km de Métula.
Un cheikh sunnite, Ahmad el Assir, y exigeait depuis déjà quelques semaines le départ des miliciens du Hezbollah et de leurs arsenaux d’appartements qu’ils occupent depuis les années 90 dans la banlieue d’Abra, à l’est de la ville côtière.
El Assir prétendait, non sans bon sens, que la présence de ces hommes armés faisait courir un risque majeur à sa région. A la tête de sa propre milice comptant environ 200 membres, armée et financée par l’Arabie Saoudite et des Emirats du Golfe, il avait même adressé un ultimatum pour l’évacuation des Hezbollani, qu’il avait fixé à lundi dernier.
Mais dimanche, la situation dégénéra rapidement, aux alentours de 14h 20, lorsque des partisans du cheikh s’attaquèrent à un barrage de l’Armée libanaise, tuant deux officiers et un soldat et endommageant plusieurs véhicules militaires.
Les versions divergent quant aux mobiles de l’affrontement. Pour l’Armée, l’agression n’avait aucune justification, tandis que selon les sunnites, l’accrochage faisait suite à l’arrestation de l’un des gardes du cheikh, Fadi Beyrouthi. Plus prosaïquement, on observe, qu’au moment de l’incident, des unités des Forces armées libanaises, assistées par des miliciens chiites des "Brigades de la Résistance libanaise", le nom que se donne le Hezbollah au Liban-sud, opéraient un encerclement de la région en vue de surprendre et d’étouffer Ahmad el Assir et ses combattants.
Les affrontements ont fait rage de dimanche à mardi dans la matinée ; l’Armée bénéficiait de contingents quinze fois plus nombreux que les sunnites et a eu recours à ses chars et à ses canons, qui ont bombardé Abra sans discernement. L’Armée a également refusé plusieurs tentatives d’instaurer un cessez-le-feu proposées par des intermédiaires. Elle a fini par s’emparer de la mosquée de Bilal bin Rabah, dans laquelle s'étaient retranchés les derniers défenseurs du cheikh. Quant à el Assir, il demeure introuvable : certains ont cru l’apercevoir à Sidon, d’autres, ailleurs au Liban, et d’autres encore en Syrie, auprès de l’insurrection.
Officiellement, au Liban, tout le monde se félicite du triomphe de l’Armée nationale, y compris les autorités religieuses, politiques et sécuritaires sunnites et chrétiennes. Elles claironnent que l’intervention de la troupe a permis d’éviter l’implosion générale du pays, et elles noircissent à dessein la personnalité d’Ahmad el Assir, présenté comme un salafiste extrémiste.
Mais officieusement, le malaise gagne. Le correspondant permanent de la Ména à Beyrouth, Michaël Béhé, alerté par des officiers de la sécurité libanaise de la participation du Hezbollah aux combats, s’est rendu durant 48 heures à proximité du théâtre des opérations afin d’en avoir le cœur net. Avec les autres reporters, il a été tenu à distance respectable de la ligne de front, soi-disant pour préserver leur sécurité. Cela ne les a pas empêché de constater que des centaines de miliciens barbus, arborant la chemise noire et le foulard jaune distinctif du Hezb ont pris part aux combats.
D’ailleurs, la milice chiite n’a pas même tenté de cacher que l’un de ses chefs principaux au Sud, Mohammad Saleh, a perdu la vie lors des affrontements autour de la mosquée.
Toute aussi préoccupante que la nouvelle de la collusion entre l’Armée libanaise et le Hezbollah, l’observation effectuée par notre camarade Béhé, affirmant, sans la moindre hésitation, que l’ "écrasante majorité des militaires ayant pris part aux combats de Sidon étaient chiites", et "qu’ils ont obéi à un commandement conjoint d’officiers chiites et du Hezbollah".
Pour Michaël, "des officiers chrétiens et sunnites n’auraient jamais agi avec autant de haine et de férocité, rejetant les arbitrages et empêchant les civils (sunnites) de quitter les lieux de l’affrontement plusieurs jours durant".
A cause probablement de la participation de la milice et de l’identité confessionnelle des soldats, plusieurs zones floutées demeurent quant aux détails des combats et notamment de leur bilan. L’Armée reconnaît officiellement une douzaine de tués dans ses rangs, ce qui semble exact. Il convient cependant, selon Béhé, d’ajouter le décès d’une dizaine de miliciens du côté des assaillants et pas moins d’une centaine de blessés.
Parmi les partisans du cheikh sunnite, ce serait l’hécatombe : plus d’une cinquantaine de morts et un nombre indéfini de blessés, aussi bien civils qu’armés.
A Yarzé, où se trouvent le ministère de la Défense et l’état-major de l’Armée libanaise, on élude les questions dérangeantes, comme celles de savoir ce que faisaient des miliciens aux côtés des militaires, qui donnait les ordres et qui avait commandité l’opération.
En l’absence d’un ministre de la Défense en poste, il appartient au commandant des Forces Armées Libanaises, le brigadier-général chrétien Jean Kahwagi, et à celui qui l’a nommé à ce poste, le Président de la république Michel Souleiman, maronite également, de fournir des explications à leurs compatriotes. Les deux ont affirmé leur "soutien total à l’Armée libanaise".
Michaël Béhé rapporte qu’un immense malaise a saisi son pays depuis l’assaut donné à Abra. Les dirigeants du Courant du 14 mars, indépendantiste et nationaliste, demandant pourquoi l’Armée ne commence pas immédiatement le nettoyage des zones de non-droit aux mains de la milice chiite et de ses hôtes iraniens. Des régions interdites à tous les représentants de l’Etat libanais, de son armée à sa police, en passant par ses juges.
Dans tous les coins du pays au cèdre, les violences opposant les chiites et les émigrés alaouites au reste de la population se multiplient, comme on peut s’en convaincre en prenant connaissance de la carte commentéepréparée par Elie Wehbé pour L’Orient-le-Jour.
L’un des officiers chrétiens les plus influents au sein de l’état-major de l’Armée a confié à Michaël Béhé, sous la condition du plus strict anonymat, que "le moment n’était pas encore approprié pour se confronter aux chiites", que ceux-ci "sont encore trop puissants et particulièrement au Sud", et que le choix avait été fait de "préserver les combattants sunnites, chrétiens et druzes pour la suite des événements et pour la défense du pays en dernier recours".
D’autre part, tant cet officier que les contacts de Béhé au sein des Forces de Sécurité Intérieure – dirigées par un sunnite et appartenant au corps de la police – confirment ses observations et ses conclusions, ajoutant [l’un des FSI] que "des chefs du Hezbollah ont participé à la prise des décisions opérationnelles à Sidon et qu’ils étaient même dominants, les officiers chiites se pliant volontiers à leurs requêtes".
Sur la frontière entre l’Etat hébreu et la Syrie, la situation reste extrêmement volatile, comme nous avons pu nous en rendre compte de visu hier et tôt ce matin. Il ne se passe pas une seule journée sans que des Syriens, animés de plus ou moins bonnes intentions, ne s’approchent des barrières indiquant le territoire israélien.
Les soldats de Tsahal ont reçu l’ordre d’ouvrir le feu à la hauteur des jambes sur quiconque n’obtempérerait pas à leurs injonctions et "toucherait" le grillage. Il y a quelques jours on est ainsi passé à deux doigts d’un regrettable incident, lorsque des Casques bleus autrichiens, qui avaient délaissé sans prévenir personne la position qu’ils occupaient en Syrie, se sont approchés de la frontière israélienne. Au tout dernier moment, un soldat israélien s’est aperçu qu’ils parlaient allemand et a donné l’ordre de ne pas ouvrir le feu.
Les combats acharnés continuent de faire rage à quelques centaines de mètres d’Israël. Hier soir (mercredi), l’écho des explosions était nettement perceptible à Métula une heure durant, à 25 kilomètres du lieu où se déroulaient les échanges d’artillerie dans le Golan.
Les médecins israéliens opérant dans l’hôpital de campagne dont l’existence avait été dévoilée par nos soins sont débordés. Dans la nuit de mardi à mercredi, ils ont transféré deux jeunes Syriens, âgés respectivement de 15 et 9 ans, à l’hôpital Rivka Ziv de Tzfat. Le premier est dans un état sérieux ; il souffre de multiples lésions internes et a déjà subi une opération en Syrie. Le second a perdu l’œil droit et a été atteint par des éclats d’obus.
La Ména est aussi en mesure d’affirmer que les livraisons d’armes aux rebelles syriens à partir d’Israël augmentent sans cesse en volume. Elles incluent également, comme l’avait signalé Sami El Soudi dans son article d’il y a trois jours, du matériel américain, déposé à proximité de la frontière par hélicoptère.
D’autre part, les contacts entre responsables israéliens et chefs de l’Armée Syrienne Libre deviennent presque monnaie courante, les Hébreux tentant de porter assistance aux habitants des localités qui se tiennent à l’écart des combattants islamistes du Front al Nosra.
Quant à l’adversaire le plus menaçant pour la sécurité d’Israël, l’Iran, qui soutient, arme et encadre le Hezbollah et l’armée des al Assad, personne, parmi nos confrères analystes, ne croit que le nouveau président, Hassan Rohani, jouisse de la moindre indépendance face au Guide suprême Ali Khamenei.
Comme nous le prévoyions, le régime théocratique instrumentalise l’élection de Rohani afin de s’aménager une "fenêtre stratégique de sortie de crise négociée", en faisant dire au nouvel "élu" qu’il favorisait des négociations directes avec les Etats-Unis.
Suite à des rencontres secrètes à Genève entre émissaires de Washington et de Téhéran, les Iraniens auraient désigné les membres de leur délégation en vue de négociations devant s’ouvrir prochainement.
Le Guide Khamenei a soutenu cette démarche hier, pendant qu’il s’adressait à un groupe de magistrats. Il a notamment affirmé : "La solution du dossier nucléaire iranien constitue une tâche aisée et sans encombres si les puissances occidentales désirent réellement parvenir à un accord".
Il a également accusé l’Occident de ne pas vouloir solutionner le problème et a reproché à l’administration américaine de "faire valoir de nouveaux prétextes pour bloquer le chemin des négociations sur le programme nucléaire iranien".
A propos de cette remarque quelque peu inaccessible, la Ména croit savoir que Washington, avant d’accepter de renouveler le dialogue, aurait demandé à ses interlocuteurs perses des garanties afin que le cœur du débat soit enfin abordé, un cadre-temps pour l’aboutissement des pourparlers, ainsi qu’un engagement des Iraniens à ne pas poursuivre leurs activités en direction du "point de non-retour" de leur programme nucléaire.
A Jérusalem, une source proche des décideurs nous a dit qu’il s’agissait des discussions de la dernière chance pour les ayatollahs, que les Israéliens ne laisseraient pas les pourparlers déborder d’un calendrier qui leur conservent un sens, et qu’ils craignent que les Occidentaux ne se contentent d’un accord insuffisamment coercitif, vérifiable et précis, dans l’intention d’éviter un affrontement armé à tout prix. La même source nous a assurés qu’Israël prendrait seule, en fin de compte, les décisions lui garantissant la sécurité de ses habitants. Et que le moment de prendre ces décisions était bien plus proche que la majorité des gens ne l’imaginent.
Ce qui explique la multiplication des exercices militaires. Les avatars chez nos proches voisins expliquant, pour leur part, leur diversité.
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