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Des Juifs en quête de leur mémoire

Des Juifs en quête de leur mémoire

 

 

 

 

C'est dans un climat tendu que quelques 2 500 Juifs ont accompli, entre mai, le pèlerinage annuel à la synagogue La Ghriba, à Djerba. Pourtant, de nombreux Juifs tunisiens vivant en Israël témoignent de leur attachement à leurs racines.

"En arrivant à l'aéroport, je prendrai un taxi pour aller directement à Sousse", déclare Maurice Aehad, 67 ans, un Juif tunisien qui n'a pas vu son pays natal depuis cinquante-huit ans. Pourtant, il se souvient très bien de son enfance passée sur la côte tunisienne. "La première chose que je veux boire, c'est du legmi", ajoute-t-il à propos du traditionnel jus de datte qu'il n'a pas goûté depuis ses 9 ans.

Maurice Aehad vit à Jérusalem et fait partie de la diaspora juive qui a quitté la Tunisie pour Israël en 1956, peu après l'indépendance tunisienne. En 1948, il y avait environ 105 000 Juifs en Tunisie, le plus grand nombre jamais recensé dans ce pays, mais la plupart d'entre eux ont fini par partir en France ou en Israël. Aujourd'hui, moins de 2 000 Juifs vivent en Tunisie, dont la plupart sur l'île de Djerba.

Les Israéliens d'origine tunisienne ont une relation complexe avec le pays de leurs aïeux. Récemment, la question de l'entrée sur le territoire tunisien de visiteurs israéliens a déclenché une polémique et a de nouveau attiré l'attention sur le lien entre ces deux Etats [en mars, quelques Israéliens qui se trouvaient à bord d'un bateau de croisière qui a fait escale à Tunis n'ont pas été autorisés à descendre à quai].

Troubles postrévolutionnaires

"Tous les ans, nous nous disons que nous allons retourner voir notre pays, notre ville natale et les tombes de notre famille, explique Maurice Aehad. Les années ont passé et nous n'y sommes jamais retournés." Maurice Aehad est né à Sousse, une ville côtière à 150 km au sud de Tunis. Sa grand-mère vendait des fota, la tenue traditionnelle des femmes, ainsi que d'autres tissus. Son père vendait du matériel de cuisine. Il se souvient avec nostalgie de son lieu de naissance.

"J'ai écrit cinq histoires sur mon enfance en Tunisie et lorsque les lecteurs lisent mes descriptions, ils me demandent pourquoi j'en suis parti. Je réponds que les circonstances nous y ont contraints." La famille de Maurice Aehad, comme celles de nombreux Juifs tunisiens à l'époque de l'indépendance, ont eu peur de ce qui pouvait arriver à leur communauté. 

Curieux d'en savoir plus sur la Tunisie née du printemps arabe, il me pose des questions sur la sécurité et les changements que traverse la société. Il explique que les médias évoquent des troubles postrévolutionnaires et la prise de pouvoir des extrémistes. A mesure qu'il partage ses souvenirs, son désir de retourner en Tunisie grandit.

Chants et musiques soufis

"Je retournerai voir ma Tunisie, ô mon pays, je t'ai abandonné", commence-t-il à chanter sur un ton mélancolique. "La Tunisie est sans égale, quel pays magnifique. Je voudrais un passeport tunisien. Est-ce que j'y ai droit ? Je voudrais vivre en Tunisie, dans mon pays", poursuit-il. 

Il reste très attaché non seulement à sa nation d'origine, mais aussi à la ville de son enfance. "Quand je vais en France et que les gens me demandent d'où je viens, je réponds 'Soussien sans soucis'." Plusieurs dizaines d'années plus tard, Maurice Aehad aime toujours autant la musique, la nourriture et les confiseries tunisiennes. "Mes musiques préférées sont la hadhra et la musique soufie. Elles me vont droit au cœur. Quels bons moments j'ai passés en Tunisie, quelle nourriture délicieuse j'y ai mangé, se souvient-il. C'est incomparable."

La génération de Maurice Aehad, née en Tunisie, garde des souvenirs précis du pays. L'arabe tunisien, toutefois, n'a pas été transmis aux générations suivantes qui ont grandi en Israël. "Les jeunes viennent à Jérusalem depuis la France, mais ils ne savent pas parler tunisien", dit-il. Quant à Maurice Aehad, il a lui-même principalement parlé en arabe, utilisant le dialecte palestinien. La Tunisie d'aujourd'hui est un grand mystère pour lui. Pendant l'interview, il me demande s'il est vrai que les jeunes Tunisiens ne parlent plus que le français et s'il est obligatoire d'étudier cette langue à l'école.

La Tunisie reste méconnue en Israël

Non loin de Maurice Aehad se trouve David Emmanuel Uzan, un jeune de 20 ans, étudiant à Jérusalem, dont les grands-parents sont nés en Tunisie. Il y est allé pour la première fois en 2011, deux semaines seulement après la révolution. Il explique qu'au cours de son voyage, nombre de Tunisiens lui ont affirmé qu'ils gardaient de bons souvenirs des Juifs. Il ajoute que la Tunisie reste essentiellement méconnue en Israël. "Ici, personne n'a d'image précise de la Tunisie. Pour les Israéliens, c'est un pays lointain dont ils ignorent tout. La Tunisie, le Congo, c'est du pareil au même pour eux", avoue-t-il. 

Le conflit politique qui a éclaté après la décision du gouvernement tunisien d'autoriser l'entrée de touristes israéliens [notamment à l'approche de la date du pèlerinage de La Ghriba et, de manière générale, pour relancer le tourisme] n'a pas fait beaucoup de bruit en Israël, affirme David Emmanuel Uzan [la ministre du Tourisme, Amel Karboul, et le ministre délégué à la Sécurité, Ridha Sfar ont été visés le 9 mai par des motions de censure à l'Assemblée, une procédure qui n'a pas abouti]. "J'ai entendu parler du problème de la 'normalisation avec Israël' sur Internet, mais ici personne ne l'évoque. Je n'ai lu qu'une ou deux lignes sur la question."

Bazelel Raviv, un compositeur-interprète né de parents juifs originaires de Tunisie, a évoqué le pays dans une chanson de 2010 intitulée Tunisia. "En Israël, ma chanson est restée méconnue, mais elle a été très appréciée des Musulmans tunisiens", explique le chanteur. En 2013, il s'est rendu à la synagogue La Ghriba de Djerba pour le pèlerinage juif annuel. "Tout le monde s'est montré aimable et j'ai été très bien accueilli", raconte-t-il. Il ajoute que sa prochaine chanson sera consacrée à La Ghriba et il souhaite filmer le clip à Djerba.

Bazelel Raviv et David Emanuel Uzan ont tous deux affirmé qu'ils n'avaient pas eu de problème pour entrer en Tunisie avec des passeports israéliens. "La situation tunisienne est unique au monde, déclare Bazelel Raviv à propos de la cohabitation pacifique des musulmans et des juifs. Plus la Tunisie s'ouvrira au monde, plus sa beauté sera reconnue."

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